Dans le numéro de Panoramic de 2013 : Le pouvoir de la duration, j’ai utilisé l’exemple du marché obligataire américain en 1994 pour analyser l’impact de la duration lors d’une hausse marquée des rendements. À titre de rappel, en 1994, l’embellie économique a incité la Fed à relever les taux d’intérêt à plusieurs reprises, provoquant une grave crise obligataire.
J’utilise souvent cet exemple pour démontrer que la maîtrise du risque de taux d’intérêt sur les marchés obligataires d’aujourd’hui est fondamentale. Dans un fonds d’obligations d’entreprises investment grade sans positions de change, les mouvements des rendements (et donc la duration du fonds) prennent le dessus sur ceux des spreads de crédit. Autrement dit, même si vous savez très bien choisir les valeurs, toute mauvaise position sur la duration réduit vos efforts à néant.
Nous avons à présent un exemple récent des effets d’une hausse des rendements sur différentes classes d’actifs obligataires. En mai 2013, Ben Bernanke, alors président de la Fed, a mentionné, pendant un discours, que le Conseil d’administration de son institution envisageait de réduire la quantité des actifs qu’elle achetait chaque mois dans le cadre du programme d’assouplissement quantitatif. Entre cette date et la fin de l’année 2013, les bons du Trésor américain à 10 ans et les Gilts à 10 ans ont subi une chute d’environ 100 points de base.
Dans quelle mesure cette hausse des rendements de 1 % a-t-elle eu des retombées pour les investisseurs obligataires ? Comme le montre le graphique ci-dessous, tout dépend de la duration intrinsèque de chaque classe d’actifs. Si l’on évalue les différentes classes d’actifs d’après les indices, on voit que celles affichant la duration la plus élevée (barres orange) ont enregistré des performances bien inférieures à celles des obligations d’entreprise à duration courte, dont la performance a été positive (barres vertes).
C’est vrai pour les marchés en dollars US et en livres sterling. En revanche, les indices européens à plus longue échéance ont plutôt tiré leur épingle du jeu au cours de cette période. La raison en est simple : il y a eu un découplage des Bunds par rapport aux Gilts et aux bons du Trésor américain, à mesure qu’il était de plus en plus probable que la zone euro adopte des mesures de relance monétaire au cours des mois à venir. Le rendement du Bund à 10 ans n’a donc gagné que 0,5 % au deuxième semestre 2013.
Quelle que soit leur opinion sur le durcissement de la politique monétaire, notamment sa date et ses modalités, les investisseurs obligataires doivent constamment surveiller leur exposition à la duration au niveau de chaque obligation et de chaque fonds.
La Banque centrale européenne (BCE) a déjà fait preuve d’un degré de tolérance anormalement élevé, pour ne pas dire préoccupant, vis-à-vis des très faibles taux d’inflation enregistrés. Elle n’a pris aucune mesure supplémentaire, alors même que l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) de la zone euro s’élève à 0,5 % en glissement annuel et que l’inflation continue de baisser dans de nombreux pays.
Pourquoi ? L’une des raisons pourrait être que, bien qu’extrêmement préoccupée par la déflation, la BCE ne sait pas clairement à l’heure actuelle quel outil employer pour soulager les pressions désinflationnistes, ou comment le mettre en œuvre. Une autre raison pourrait être qu’elle n’est pas particulièrement préoccupée par la menace que constitue la désinflation et qu’elle se contente d’attendre que les chiffres repartent à la hausse.
En ce qui concerne cette dernière possibilité, Mario Draghi a déclaré lors de la Conférence de Davos en janvier dernier que les faibles taux d’inflation s’inscrivaient dans un mouvement d’ajustement relatif des prix entre les économies européennes, et qu’ils traduisaient une amélioration de la compétitivité. On peut déduire de cet argument que les taux d’inflation les plus faibles sont uniquement observés dans les pays périphériques et qu’en conséquence, le nécessaire ajustement des prix entre la « périphérie » et le « centre » commence à avoir lieu. L’autre conclusion est que la BCE n’y voit aucun inconvénient.
Toutefois, le graphique ci-dessous montre l’inflation en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie (pays qui, ensemble, représentent environ 80 % du PIB de la zone euro) en termes de taux de taxation constants sur une base globale. C’est important dans la mesure où les réformes fiscales peuvent avoir un impact significatif sur les chiffres de l’inflation, alors qu’il conviendrait peut-être de ne pas les prendre en compte en raison de leur caractère provisoire et artificiel. Par exemple, si un pays décide de relever son taux de TVA, l’inflation augmentera pendant un certain temps avant que l’effet de base finisse par disparaître. Ce graphique révèle de manière assez préoccupante que l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas font désormais l’objet d’une déflation à taux de taxation constants. Il indique également que la France est au bord du précipice, avec un taux d’inflation sur cette base de 0,2 % en glissement annuel.
Les deux graphiques ci-dessus suscitent une autre préoccupation liée à l’argument de la BCE selon lequel les faibles taux d’inflation périphériques ne représentent qu’une étape provisoire sur la voie d’un ajustement interne important et souhaitable de la compétitivité. Cet argument serait valable si la faible inflation se limitait aux pays périphériques tandis que les pays centraux affichaient une inflation stable, conforme (voire supérieure) aux objectifs, se traduisant par un taux d’inflation global proche de (mais inférieur à) 2 % au sein de la zone euro. Toutefois, ces deux graphiques montrent que la tendance à la désinflation ne se limite pas aux seuls pays périphériques, ce qui jette de sérieux doutes sur la thèse de la compétitivité soutenue par M. Draghi. La BCE serait peut-être bien inspirée d’anticiper cette tendance inquiétante et d’agir sans tarder.
Le 29 avril, Energy Future Holdings Corp (le producteur d’énergie anciennement connu sous le nom de TXU) demandait sa mise sous protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Le groupe affichait alors une dette de 49,7 milliards USD. Cette demande est intervenue quelques mois après la tenue de négociations entre plusieurs créanciers et les propriétaires du groupe. Le dépôt de bilan avait été largement anticipé et la dépréciation des actifs du groupe prise en compte par le marché.
Le large éventail de valeurs de récupération sur les différentes tranches de dette émises par la société constituait en revanche un indice révélateur. Cette multitude de valeurs de recouvrement s’explique en partie par la complexité intrinsèque de la structure capitalistique de l’entreprise. La société avait procédé à quatorze émissions obligataires de grande ampleur, initiées par différentes entités jouissant de droits différents sur les actifs de l’entreprise comme illustré dans le graphique ci-après :
La grande diversité de titres de dette et d’entités juridiques au sein de la structure capitalistique impliquait de facto une différenciation similaire dans le calcul des valeurs résiduelles des obligations. Le graphique ci-dessous répertorie certains des cours des obligations les plus liquides. Alors que les obligations TXU assorties d’un taux d’intérêt de 11,75% à échéance 2022 s’échangent à 119,5% de leur valeur nominale, les obligations TXU assorties d’un taux d’intérêt de 10,5% à échéance 2016, d’un extrême à l’autre, s’échangent quant à elles à 8,8% de leur valeur nominale. La différence de prix s’explique par le rang respectif qu’occupent chacune des obligations dans la structure de capital de la société, celles-ci étant classées en fonction d’un ordre de priorité de remboursement.
Les écarts de rendement entre ces obligations sont également frappants. Les obligations assorties d’un taux d’intérêt de 11.75% à échéance 2022 ont dégagé un rendement d’environ 20% sur les deux dernières années (en plus du coupon annuel de 11,75%) tandis que les détenteurs d’obligations assorties d’un coupon de 10,25% à échéance 2015 ont enregistré une moins-value autour de 70%.
Il nous semble que ces exemples illustrent parfaitement le fait que le concept de créancier privilégié (titres de dette senior) a une incidence majeure dès lors qu’il s’agit de calculer les risques de perte qu’encourent les détenteurs d’obligations à haut rendement. En effet, en cas de défaut, ce facteur peut avoir une incidence plus importante que la qualité de crédit ou la solvabilité de l’emprunteur sous-jacent. Par ailleurs, et contre toute attente, il en ressort que les créanciers obligataires peuvent toujours réaliser des rendements même lorsque l’entreprise dans laquelle ils ont investi fait faillite.
Si la faillite de TXU illustre bien la frénésie des LBO de 2006-2007, il nous semble que le type de titres de dette que les investisseurs souscrivent dans la structure de capital aura également son importance à l’avenir. En cas de hausse du taux de défaut par rapport aux niveaux faibles actuellement constatés, investir dans des obligations privilégiées dans la structure capitalistique d’une entreprise permettrait aux investisseurs de limiter les pertes qu’ils sont susceptibles d’encourir au sein de leur portefeuille de titres à haut rendement.
La cure d’amaigrissement de la banque d’investissement de Barclays a fait couler beaucoup d’encre récemment. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un changement de plan d’affaires, qui consiste à se détourner en partie des obligations, des matières premières et des produits dérivés, pour s’orienter vers un modèle plus classique, moins gourmand en capitaux. Il est intéressant de noter qu’il ne s’agit pas d’une évolution idiosyncrasique, mais d’une tendance générale.
Barclays, tout comme RBS, UBS et Credit Suisse, a décidé de revenir sur son objectif d’avant-crise (acquérir une place prépondérante sur le marché obligataire mondial). Cela peut sembler étrange dans la mesure où la forte hausse des volumes d’obligations d’entreprise et d’État en circulation représente une opportunité d’affaires gigantesque. Dès lors, il convient de s’interroger sur les raisons qui ont motivé la décision de Barclays de se retirer de ce segment porteur.
En général, une entreprise délaisse un métier lorsqu’elle considère qu’il est ou deviendra moins rentable, ce qui pourrait être le cas de Barclays. Malgré le développement des marchés obligataires, les banques éprouvent plus de difficultés à faire de l’argent à cause de la hausse du coût du capital. Les organismes de réglementation ont réduit la capacité des banques à gagner de l’argent en imposant des limites aux ratios d’endettement, ce qui est bon pour les détenteurs d’obligations, mais accroît leurs coûts réels et pèse sur la rentabilité.
Néanmoins, cette tendance bancaire est plus marquée en Europe. Aucune des banques ayant revu leurs ambitions à la baisse n’est américaine. Il convient de s’interroger sur cette différence entre les deux côtés de l’Atlantique, dans la mesure où les deux blocs économiques sont confrontés à un renforcement de la réglementation et des exigences en fonds propres. Les banques d’Amérique du Nord disposent d’un avantage naturel par rapport aux banques d’investissement du reste du monde sur trois plans.
Tout d’abord, elles opèrent sur le plus grand marché de capitaux au monde. Cela leur permet de réaliser de vastes économies d’échelle par rapport aux « champions nationaux » dont le marché national est plus petit.
Ensuite, même si l’on compare le marché de capitaux américain avec le deuxième plus grand marché de capitaux de la zone euro, les Européens ont un handicap. L’euro a créé un seul marché, mais les banques sont soumises à des contraintes nationales. Elles ont un poids important dans l’économie de leur pays d’origine, ce qui attise de fait la nervosité des organismes de réglementation nationaux (c’est compréhensible) et incite ces derniers à imposer des exigences plus strictes en matière de fonds propres, d’endettement et de capacité à absorber les pertes aux banques qu’ils surveillent. Ce problème est moins présent aux États-Unis, où la zone géographique placée sous la surveillance de l’autorité de tutelle correspond à la zone couverte par la monnaie nationale pour une partie bien plus importante des activités des banques. Le régulateur américain est donc moins nerveux à l’idée d’avoir plusieurs grandes banques opérant sur le territoire.
Enfin, la mondialisation a également contribué à accentuer la domination des entreprises américaines hors secteur bancaire, que ce soit grâce à l’innovation ou à des économies d’échelle dans leur pays d’origine. La vente par Vodafone de sa division de téléphonie mobile à Verizon, le rachat de Virgin Media par Liberty Global et les tentatives de Pfizer pour prendre le contrôle d’Astra Zeneca sont autant d’opérations qui étayent cette assertion. Les entreprises américaines travaillent naturellement avec des banques américaines et, l’émergence de grands groupes aux besoins de financement considérables nécessite un marché de capitaux adapté. Tous ces facteurs jouent en faveur du développement des marchés de capitaux américains. C’est notamment cela qui a entraîné une augmentation de la taille relative des marchés obligataires investment grade européens et américains, comme le montre le graphique ci-dessous.
La décision de Barclays de revoir ses ambitions à la baisse s’inscrit dans une tendance observée au sein de l’ensemble du secteur bancaire. Ce type d’évolution est courant ; il n’est pas rare de voir les dirigeants des banques adopter une stratégie similaire. Certes, la mondialisation a changé le visage de l’économie mondiale, mais elle profite d’abord aux pays qui allient efficacité et innovation, et possèdent les marchés intérieurs les plus grands, afin de permettre des économies d’échelle. C’est une bonne nouvelle pour les entreprises cotées américaines, mais peut-être pas pour le reste du monde.
Comme toujours, le 1er mai a donné lieu à toute une série d’articles et de commentaires sur le fameux dicton boursier « sell in May and go away ». Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette stratégie de trading complexe, l’idée est de dénouer toute position actions détenue le 30 avril et de réinvestir le 1er novembre. Les données historiques montrent que les actions américaines sous-performent durant la période de six mois courant de début mai à fin octobre par rapport à celle courant de novembre à avril. Si personne n’est en mesure d’expliquer ce phénomène saisonnier, les théories avancées pointent notamment la baisse des volumes d’échanges durant les congés estivaux et l’augmentation des flux d’investissement une fois les opérateurs rentrés de vacances.
Dans ce contexte, il nous a semblé intéressant de regarder si ce même effet est observable sur les marchés obligataires européens. Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons reproduit la performance totale mensuelle d’un portefeuille d’obligations souveraines, d’obligations « investment grade » et d’obligations à haut rendement européennes. Nous avons ensuite reproduit la performance totale d’un portefeuille investi entre les mois de novembre et d’avril, que nous avons comparée à celle d’un portefeuille investi entre les mois de mai et d’octobre. Afin de formuler le plus grand nombre d’observations possible, nous sommes remontés jusqu’au lancement des indices Merrill Lynch Bank of America correspondants. Les résultats sont présentés ci-dessous.
Il semble qu’il y ait effectivement un effet saisonnier sur les marchés européens des obligations à haut rendement. Cette classe d’actifs affiche le plus haut degré de corrélation avec les marchés d’actions et l’analyse montre que les investisseurs obtiennent de meilleures performances entre les mois de novembre et d’avril (performance totale de 199%). De fait, cette stratégie surperforme nettement la stratégie qui consiste à investir en continu durant l’intégralité de la période (1997 à avril 2014). A supposer qu’un investisseur ait choisi d’investir uniquement entre mai et octobre, il aurait subi une perte de 21% au cours de ces 16 années.
La suite logique de cette analyse est d’évaluer ce qu’aurait été la performance d’une stratégie consistant à être entièrement investi en emprunts d’Etat européens entre les mois de mai et d’octobre, et entièrement investi en obligations européennes « investment grade » entre les mois de novembre et d’avril au cours de ces 18 années. Nous sommes ainsi en mesure d’évaluer ensuite la performance de cette stratégie par rapport à des portefeuilles entièrement et uniquement investis en emprunts d’Etat européens, en obligations d’entreprises européennes « investment grade » et en actions européennes. Les résultats indiquent que la stratégie consistant à vendre les obligations « investment grade » en mai et à acheter des emprunts d’Etat dégage un rendement supérieur, de 5,9% par an, et surperforme les actions européennes de 56% au total (soit 2,5% par an).
Le graphique ci-dessus présente la même analyse, mais examinant cette fois ce que serait la performance totale de la stratégie en remplaçant l’exposition aux obligations européennes « investment grade » par des obligations à haut rendement. L’adoption d’une telle stratégie aurait généré une performance annualisée d’environ 10,5%, soit 391% sur une période d’un peu plus de seize ans. Cette performance est largement supérieure à celle dégagée par les obligations européennes à haut rendement et les actions européennes durant la même période (155% et 43%, respectivement).
Notre analyse met en évidence un fort effet saisonnier sur le marché des obligations européennes à haut rendement, dont les performances sont plus volatiles et sur lequel les investisseurs peuvent enregistrer d’importantes plus-values ou moins-values en raison des fluctuations du cours des obligations à haut rendement. Il convient toutefois de noter que les résultats sont faussés par le fait que les évènements déclencheurs de fortes poussées d’aversion au risque (Lehman Brothers, crise financière asiatique, crise financière russe par exemple) sont intervenus généralement entre les mois de mai et d’octobre. Pour autant, l’historique des performances totales fait ressortir sur les marchés européens des obligations à haut rendement un effet saisonnier auquel les investisseurs devraient probablement être attentifs. Abstraction faite des coûts de transaction ou des incidences fiscales venant grever la performance totale, une stratégie consistant à vendre ses obligations d’entreprise « investment grade » ou à haut rendement en mai en faveur d’emprunts d’Etat détenus jusqu’en novembre aurait produit des rendements supérieurs à ceux dégagés par à un portefeuille constitués d’emprunts d’Etat européens, d’obligations d’entreprise « investment grade », d’obligations à haut rendement européennes et d’actions européennes.
S’il est toujours risqué de fonder une stratégie de négociation sur un dicton, l’historique des performances totales laisse penser qu’il pourrait effectivement être avantageux de vendre les actifs risqués en mai en faveur d’emprunts d’Etat, susceptibles d’être les premiers bénéficiaires d’une éventuelle poussée d’aversion au risque, et de renforcer l’exposition au risque des portefeuilles obligataires en novembre. Cela étant, un autre adage n’en conserve pas moins tout son sens : les performances passées ne sauraient préjuger des résultats futurs.
Les tensions géopolitiques entre la Russie et l’Ukraine dictent les prix des actifs de ces deux marchés depuis février. Comme le montre l’étude suivante réalisée par BofA Merril Lynch, il est peu probable que le scénario central formulé par les investisseurs, lequel repose sur l’hypothèse d’une aggravation du conflit sous la forme d’une annexion pure et simple d’une partie de l’est de l’Ukraine par la Russie, se produise. Une telle opération serait aussi risquée que de jouer à la roulette russe, un jeu où les chances de gagner sont minces mais dont les conséquences sont dramatiques.
Je reviens tout juste d’un voyage à Moscou. En arpentant les rues de la ville, rien ne laisse supposer qu’un conflit armé est susceptible d’éclater aux portes de la Russie, sauf à regarder les journaux télévisés. Le beau ciel bleu printanier qui y régnait contrastait vivement avec les sombres menaces planant sur l’économie russe.
Le mécanisme de transmission de l’impact politique à l’économie est assez prévisible :
- Persistance d’une prime de risque élevée et d’une forte volatilité, entraînant une pression baissière sur le rouble ;
- Pression haussière sur les taux dictée par la dépréciation du rouble (la banque centrale russe a déjà relevé ses taux de 200 points de base, avec une hausse inattendue de 50 pb la semaine dernière. De nouvelles hausses seront toutefois nécessaires si la demande de monnaie forte reste au niveau du premier trimestre 2014 et si la pression sur le rouble s’intensifie) ;
- Ralentissement de la croissance dû à la baisse des investissements et à l’impact des sanctions actuelles ou des sanctions supplémentaires attendues (en raison du renchérissement du coût du capital) ;
- Diminution des réserves de change à mesure de la détérioration du compte de capital et de l’intervention de la banque centrale pour endiguer la baisse du rouble ;
- Diminution du fonds de réserve pétrolier s’il venait à être consacré à des mesures budgétaires contracycliques ou au refinancement de la dette arrivant à échéance (ce fonds de 90 milliards USD est théoriquement suffisant pour couvrir un an d’amortissements, mais dans ce cas, la fuite des capitaux et la dollarisation de l’économie s’intensifieraient dans le sillage d’un renforcement du sentiment de risque).
Tous ces éléments pèsent sur la solvabilité du pays, et il n’est guère surprenant que S&P ait dégradé la note de la Russie à BBB- tout en maintenant une perspective négative quant à son évolution. En revanche, il est plus difficile de prévoir l’ampleur de la détérioration de chacun de ces éléments, laquelle sera fonction des évènements politiques et de la portée des sanctions économiques.
Il me semble que la perception des risques géopolitiques parmi les investisseurs locaux n’est pas réellement différente de celle qu’ont les investisseurs étrangers, telle que présentée plus haut : eux aussi estiment qu’une aggravation du conflit constitue un risque extrême. En réalité, ces chiffres comportent un haut degré de subjectivité et toute réaction excessive de la part de l’une des forces en présence (Russie, Ukraine, pays occidentaux) est susceptible d’exacerber rapidement une situation déjà instable. Les habitants prennent leurs précautions, notamment en convertissant leur épargne en monnaie forte (sur place ou à l’étranger), en stockant des biens de consommation non périssables, en étudiant les choix possibles en cas d’intensification des sanctions financières, y compris via la création d’un système de paiement alternatif et la réalisation des échanges commerciaux dans d’autres devises, dans la mesure du possible. Les russes estiment que la fuite des capitaux a atteint son paroxysme au premier trimestre, à supposer que la situation géopolitique se stabilise. Le conflit pourrait s’envenimer encore plus aux alentours du 1er et 9 mai (jour de la victoire sur l’Allemagne nazie) et à l’occasion des élections ukrainiennes du 25 mai.
Le tableau ci-dessous attribue différents niveaux de spreads des CDS en fonction de chaque scénario, l’étude évoquée précédemment présentant le degré de probabilité afférent à chaque cas. La moyenne pondérée reste supérieure aux niveaux actuels, bien que nous ayons assisté à une correction relativement importante la semaine dernière. J’ai utilisé uniquement les CDS car ils constituent la meilleure protection indirecte (« proxy hedge ») contre le risque quasi-souverain et contre le risque lié aux entreprises. De plus, il est probable que le rouble soit sévèrement contrôlé par la banque centrale en cas de nouvelle hausse de la prime de risque et ne fournisse pas une couverture optimale pour un temps, alors que la liquidité des obligations locales et des swaps serait affectée en cas de sanctions visant directement les principales banques russes.
Le profil risque-rendement semble appelé à se détériorer à court terme.
Je me suis récemment rendu à Hong Kong et Singapour afin d’assister à des conférences et de rencontrer des clients régionaux. Au cours de mon voyage, j’ai tourné un petit film dans lequel je livre mes impressions sur les économies émergentes d’Asie et sur les marchés émergents dans leur ensemble.
Comme l’explique Claudia dans son analyse macro-économique, le repli marqué des marchés observé en 2013 et la forte volatilité constatée ces derniers temps traduisent un changement de comportement de la part des investisseurs vis-à-vis des marchés émergents. La volatilité des flux de capitaux, l’utilisation de modèles de croissance non durables, la détérioration des comptes courants, des niveaux d’endettement excessifs et les dépréciations monétaires sont autant de facteurs qui suscitent l’inquiétude des investisseurs locaux et internationaux. Certaines tendances sont devenues insoutenables et les pays concernés ont engagé un processus de rééquilibrage. Les économies émergentes devront désormais composer avec une réduction des flux de capitaux, et ce sur plusieurs plans et pour plusieurs années.
Ces ajustements offrent aux investisseurs des opportunités de placement. Cependant, les marchés émergents ne sont pas tous logés à la même enseigne. Certains pays connaissent un ralentissement de leur croissance, à l’instar de la Chine, tandis que d’autres enregistrent un rebond (Philippines et Sri Lanka). Dès lors, les investisseurs se doivent d’allouer leur portefeuille et de sélectionner les titres dans lesquels ils souhaitent investir à l’aune de ces éléments. Regardez la vidéo pour en savoir plus sur les titres et secteurs que nous privilégions :