J’ai toujours eu du mal à concevoir l’or comme un investissement. En toute vraisemblance, quiconque achèterait de l’or à cette fin souhaiterait le stocker dans un endroit sûr et l’assurer. Néanmoins, les investisseurs en or doivent prendre en compte le fait que dormir sur ses deux oreilles ne se fait pas sans contrepartie. Les coffres-forts et les assurances ont un coût et ce coût peut être considéré comme un rendement négatif ou comme des surestaries sur l’or.
En tant que gestionnaire obligataire, un investissement à rendement négatif était pour le moins un comble. Le mot « était » est assez révélateur. Les investisseurs obligataires évoluent dans un monde où certaines obligations offrent un rendement négatif depuis un certain temps déjà. Les investisseurs positionnés sur la partie courte de la courbe des taux allemands payent pour avoir le privilège de détenir des bunds depuis la fin de l’été 2014.
Je me suis alors demandé jusqu’à quel niveau en dessous de zéro les rendements obligataires devraient-ils plonger pour que l’or devienne un investissement rentable en termes de rendement. Une recherche rapide sur Google m’a permis d’apprendre que les investisseurs souhaitant stocker moins de 15 lingots d’or (ce qui représente plus de 7,5 millions de dollars sur la base du cours de l’or actuel) devaient s’acquitter de coûts de stockage et d’assurance représentant 12 points de base (pb) par an. Un simple coup d’œil au graphique permet de constater qu’il n’y a presque pas de différence entre l’or et les bunds à court terme.
Pour les investisseurs obligataires traditionnels soucieux de ne pas perdre le montant initialement investi (c’est-à-dire la valeur nominale de leur investissement), l’or n’est pas l’actif le plus sûr. Détenir des liquidités pourrait être la solution. Cependant, à l’heure où les taux d’intérêt sur les dépôts bancaires tombent en territoire négatif en Europe, les investisseurs conservateurs se demandent quoi faire.
Une recherche plus poussée sur Google m’a permis de dénicher le coût de location d’un coffre-fort bancaire et le nombre de billets qui composent une pile de dollars. Partant, j’ai pu calculer le coût annuel de location d’un coffre rempli de dollars. Le rendement négatif des liquidités stockées de cette manière dépend largement du montant des liquidités stockées. Ainsi, il en coûterait 7 pb par an pour stocker un montant inférieur à 400 000 dollars dans les coffres de la banque dont j’ai consulté le site internet. Le coût de location annuel pour tout montant supérieur à 3 millions de dollars ressort à 3 pb.
Sans surprise, je ne suis pas le premier à me pencher sur ce sujet, comme le montre le site internet de la Banque nationale suisse (BNS). 61 % des billets de banque en circulation sont des billets de 1000 francs suisses (CHF) ! La BNS explique que « la forte proportion de grosses coupures indique que les billets de banque ne sont pas qu’un moyen de paiement, mais également – à un degré considérable – une réserve de valeur ». Dans une économie en proie à un épisode déflationniste, au sein de laquelle une grande proportion des emprunts d’État offrent un rendement négatif, stocker ses liquidités dans un coffre de banque pour un coût de quelques points de base semble être un investissement sûr… jusqu’à ce que quelqu’un décide de vous le voler s’entend.
Malheureusement, je n’ai trouvé personne pour assurer un coffre-fort rempli de monnaie. Cependant, si vous souhaitez vraiment stocker une somme d’argent importante, vous pouvez toujours construire une forteresse et vous attacher les services de mercenaires pour le protéger. Certes, les choses relèvent plutôt de l’hypothétique à ce stade (j’espère que vous pardonnerez le fait de ne pas avoir fait des estimations pendant que je suis au travail), mais je pense que l’on peut affirmer sans risquer de se tromper que cela vous coûterait plus que quelques points de base par an. Quel que soit le coût d’un tel dispositif, cela permettrait de fixer un taux plancher en dessous duquel les taux d’intérêt négatifs pourraient descendre. Seules une transition totale vers l’argent dématérialisé et la fin du stockage physique pourraient faire tomber cette borne (et par la même occasion, contribuer à réduire les activités frauduleuses et la fraude fiscale).
Retour à la réalité… Si Mario Draghi annonce – comme prévu – le lancement d’un programme d’assouplissement quantitatif de grande ampleur plus tard dans la journée (NDLR le 22 Janvier dernier), je pense que le nombre d’actifs se négociant à un taux négatif augmentera et que le débat sur les frais de surestaries entre les différentes classes d’actifs sera ravivé. Dans un monde caractérisé par des rendements obligataires négatifs, par une forte aversion au risque et par une tendance déflationniste, l’argent liquide est roi.
S’il devait émettre des titres de créance à courte échéance aujourd’hui, le gouvernement allemand pourrait théoriquement emprunter à des taux de rendement négatifs. Les titres à plus longue échéance offrent eux aussi des rendements qui n’ont jamais été aussi bas. L’effondrement des rendements pourrait-il être une bénédiction pour l’Allemagne et l’Europe ? Tel est l’avis de deux économistes du Fonds monétaire international (FMI). En effet, en poursuivant sa politique dite « zéro noir » (équilibre budgétaire), le gouvernement allemand pourrait bien faire fausse route à ce stade du cycle économique si la zone euro continue d’avancer sans modifier sa composition actuelle.
Dans un récent document de travail intitulé « Das Public Kapital : How Much Would Higher German Public Investment Help Germany and the Euro Area? », les économistes du FMI Selim Elekdag et Dirk Muir ont présenté les arguments en faveur d’une relance massive des dépenses d’infrastructure en Allemagne. Ils font valoir qu’une hausse de l’investissement public allemand stimulerait non seulement la demande intérieure à court terme, mais également la production intérieure à plus long terme et que ses retombées seraient favorables à l’ensemble de la zone euro.
Le niveau d’investissement public en Allemagne est le deuxième plus faible de l’OCDE (1,5 % du PIB) et l’investissement public net est négatif depuis 2003. Ces nombreuses années de sous-investissement ont entraîné une détérioration du patrimoine public, de sorte que le moment semble opportun d’accroître les investissements dans les infrastructures de l’État. D’autant que certains domaines bénéficieraient grandement d’un tel plan d’investissement, notamment les ponts et le réseau routier vieillissants. Dans la mesure où les taux de croissance moyens du PIB allemand diminuent depuis 1980 et qu’ils se sont établis en deçà des tendances plus récemment, un électrochoc serait le bienvenu pour stimuler la croissance de l’économie allemande et certaines mesures de relance supplémentaires lui seraient extrêmement bénéfiques. Contrairement à la consommation du secteur public, qui a tendance à produire une impulsion à court terme sur la croissance économique si elle n’est pas maintenue, une relance de l’investissement public allemand entraînerait une hausse plus durable du PIB intérieur tant à court qu’à long terme dans la mesure où les projets d’infrastructure se transforment en patrimoine public productif.
Les économistes du FMI estiment qu’une hausse des investissements publics allemands représentant 0,5 % du PIB sur 4 ans (un niveau conforme aux règles budgétaires de l’Allemagne) produirait une hausse durable du PIB réel de 0,75 %. Conséquence tout aussi importante, un tel programme de dépenses stimulerait également la croissance dans la zone euro, avec notamment des répercussions maximales sur les PIB réels grec, irlandais, italien, portugais et espagnol (cumulés) à hauteur de 0,3 %. Ces retombées se propageraient sur le reste de la zone euro par deux principaux canaux. Tout d’abord, les autres nations de la zone euro bénéficieraient de la hausse de la demande allemande en faveur des produits de ses partenaires commerciaux européens. Deuxièmement, le taux d’inflation serait plus élevé en Allemagne à mesure que la demande augmente, entraînant une dépréciation du taux de change réel effectif pour le reste de la zone euro et rendant ces pays plus compétitifs. Cet aspect est vital dans un contexte où l’Europe est prête à tout pour relance la croissance.
Sous l’effet du repli des attentes en matière d’inflation à travers l’Europe et d’une certaine stabilisation des perspectives concernant les pays périphériques, les rendements se sont effondrés, non seulement en Allemagne, mais également dans le reste de la zone euro. Si les responsables politiques européens pouvaient accorder leurs violons et profiter des faibles rendements offerts (comme le président de la BCE Mario Draghi les en a implorés) pour mener un plan coordonné de hausse des investissements publics à travers l’Europe, les conséquences sur l’activité économique seraient considérables. Une relance budgétaire coordonnée (définie comme une hausse des investissements publics à hauteur de 1 % du PIB sur 2 ans financée par emprunts) au sein de la zone euro entraînerait une hausse soutenue du PIB allemand et de celui des autres pays de la zone euro de 1,2 % et 1,1 % respectivement. Si ces arguments économiques sont solides, pourquoi le gouvernement allemand n’agit-il pas ?
La réponse réside dans l’opinion de l’électorat allemand. Les Allemands craignent de devoir subventionner indéfiniment l’ensemble des pays périphériques européens (un peu comme l’ouest de l’Allemagne subventionne l’est depuis 25 ans sans en jamais voir la fin). Pour éviter de se placer dans une situation dans laquelle il devra régler la facture des pays périphériques endettés, le gouvernement allemand tente d’imposer l’austérité à l’ensemble de la zone euro. La seule façon pour l’Allemagne de le faire en restant crédible est de prêcher par l’exemple, comme des parents qui exigeraient d’un vilain garçon qu’il mange ses légumes. Si l’Allemagne augmentait ses investissements publics et commençait aujourd’hui à accumuler des déficits, elle n’aurait plus aucune espèce d’autorité (morale) pour exiger des pays périphériques qu’ils maintiennent une discipline budgétaire.
Par conséquent, à ce stade, il semble que le projet « zéro noir » soit incontournable pour le gouvernement comme pour l’électorat allemand. Le type d’effort coordonné dont l’Europe a besoin (associant des mesures de stimulation à la fois budgétaire et monétaire) semble hors de portée. En l’absence de tout plan coordonné de la part des responsables politiques, il est difficile de voir comment l’Europe parviendra à accroître le niveau de vie de ses 330 millions d’habitants à plus long terme.
Il y a un an, la gestion de la duration constituait la promesse de rendements intéressants pour l’année 2014. La décision de la Fed de réduire progressivement son programme d’assouplissement quantitatif et de normaliser ses taux était alors censée entrainer une hausse des rendements. Partant, seuls les plus courageux adopteraient une position longue sur la duration à l’aune de la nouvelle année. Cette décision audacieuse aurait mérité des explications, notamment eu égard aux recommandations formulées par les prévisionnistes à l’époque, lesquels enjoignaient les investisseurs à établir une position courte sur la duration et une position longue sur le risque de crédit.
Avec le recul, il est évident que la duration a joué un rôle important eu égard aux rendements de certains segments du marché obligataire. Les classes d’actifs à duration courte sont cependant loin d’occuper les premières places en termes de rendement. En fait, c’est plutôt l’inverse. Les investisseurs qui ont adopté une position longue sur la duration ont été récompensés, car les taux des emprunts d’État ont évolué dans un seul et même sens. Le taux du Bund allemand à 10 ans est probablement l’exemple le plus parlant : à l’heure où j’écris ce blog, il s’établit à environ 0,55 %.
Parallèlement, les taux des bons du Trésor se sont repliés de 3 % à 2,2 % (ils ont même avoisiné les 2 % plus tôt dans le mois) et les taux des gilts se sont contractés, passant d’un peu plus de 3 % à environ 1,8 %.
Les courbes de taux se sont aplaties en 2014.
Les bons du Trésor à court terme ont résisté à cette tendance, comme en atteste la hausse de 0,4 % à 0,7 % des taux à deux ans. Cette hausse s’explique par la prise en compte par le marché des hausses de taux d’intérêt à court terme dans la valorisation des actifs. Parallèlement, les taux à moyen et long terme ont enregistré les plus fortes baisses, dictées par une liquidité restée abondante, par une révision à la baisse des prévisions de hausse des taux d’intérêt et par une révision à la hausse des prévisions d’inflation.
Les rendements exceptionnels des actifs à long terme expliquent en partie pourquoi les marchés obligataires libellés en livre sterling ont signé quelques-unes des meilleures performances parmi les indices obligataires que nous avions sélectionnés pour l’année 2014. Les gilts indexés sur l’inflation, qui affichent une duration moyenne de plus ou moins 20 ans, ont progressé de 18,7 % (voir l’article publié récemment par Mike pour plus d’informations à ce sujet) et les gilts classiques (dont la duration moyenne est à peine inférieure à 10 ans) ont progressé de 13 %. Les obligations investment grade libellées en livre sterling ont également signé de solides performances et peu auraient prévu un rendement de près de 13 % sur l’année pour les obligations non financières investment grade libellées en livre sterling. Les autres marchés du crédit investment grade ont également signé de bonnes performances. Même si elles affichent une duration légèrement inférieure aux titres de crédit libellés en livre sterling, les obligations non financières investment grade libellées en euros ont progressé de 8,9 %. Cette hausse s’explique non seulement par la contraction des taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat, mais également par le fait que le marché européen du crédit, contrairement à la plupart des marchés, a vu les écarts de crédit se resserrer plus avant en 2014.
Il est surprenant de constater que les obligations européennes indexées sur l’inflation (principalement les emprunts d’État français et italiens) ont progressé de 8,3 % au cours d’une année marquée par le rebond de l’économie américaine et la contraction de la croissance européenne. A titre de comparaison, les obligations américaines à haut rendement, fraichement entrées en territoire positif, n’ont progressé que de 2,5 %. Ce taux indiciel cache néanmoins des performances segmentielles disparates sur le marché du haut rendement américain. Le segment des obligations notées BB, plus sensibles à l’évolution des taux d’intérêt, a signé un rendement satisfaisant de 5,3 %, tandis que les obligations les moins bien notées (censées signer des rendements plus élevés en période de reprise économique), plus sensibles au risque de crédit, ont figuré parmi les seules classes d’actifs de notre sélection à signer des rendements négatifs, se repliant de 2,5 % sur l’année. Cette tendance a été observée sur les autres marches du haut rendement. Ainsi, les obligations BB libellées en euro ont progressé de 7,5 % tandis que les obligations notées CCC et moins ont chuté de 3,3 %.
Quid des marchés émergents ? 2014 a été une année riche en événements, marquée par la tenue de plusieurs élections, la crise russo-ukrainienne, le défaut partiel de l’Argentine, la crise économique au Venezuela et la chute brutale des cours du pétrole. Les indices d’emprunts d’État émergents libellés en dollar US ont signé parallèlement les meilleures et les moins bonnes performances de 2014 : en hausse de 19,9 %, les emprunts d’État turcs se sont emparés de la première place, juste devant les emprunts d’Etat argentins (18,3 %). Sans surprise, les emprunts d’État ukrainiens (-22,2 %) et vénézuéliens (-30,7 %) occupent les dernières places du classement.
2014 a donc été un bon cru pour les obligations dans l’ensemble. Néanmoins, dans la mesure où les taux d’intérêt des emprunts d’État sont nettement plus bas qu’ils ne l’étaient au début de l’année et que les écarts de crédit se sont sensiblement resserrés par rapport à leur niveau record d’il y a quelques années (même s’ils se sont creusés dans l’ensemble par rapport au début de l’année 2014), il ne fait aucun doute que les principaux marchés obligataires auront du mal à générer des rendements aussi élevés à l’avenir. Mais encore une fois, nous avons déjà connu cette situation par le passé…
L’année 2014 s’est avérée plutôt mouvementée pour les obligations des Marchés émergents (ME). Après une période de performances robustes qui s’est prolongée jusqu’en septembre, la fin de l’année a été marquée par une forte correction alors que l’intensification de la crise russe et la chute des cours pétroliers ont entraîné le repli le plus marqué depuis les turbulences survenues en juin 2013, époque à laquelle un grand nombre d’acteurs anticipaient la réduction progressive du troisième programme d’assouplissement quantitatif. Globalement, les marchés émergents ont tout de même affiché un rendement total positif en 2014, malgré le recul sur les marchés en devises locales (voir graphique 1). La capacité des gérants à procéder à une allocation d’actifs avisée et à éviter quelques obligations en perte de vitesse, clairvoyance qui revêt une importance cruciale à ce stade du cycle, a contribué à rehausser les performances.
- La duration, une des surprises majeures de 2014
Les taux des bons du Trésor américain ont progressé, ce qui a constitué l’une des principales sources de rendement et également l’une des surprises majeures de 2014. Partant, l’allocation entre actifs libellés en monnaie forte et actifs libellés en monnaie locale s’est avérée un exercice délicat, nettement plus difficile que prévu. Même si la chute des cours du pétrole et des matières premières est profitable dans une certaine mesure, elle importe moins pour l’IPC aux États-Unis que pour les autres pays émergents. Le marché du travail et les salaires seraient davantage à prendre en compte pour la politique monétaire américaine.
- Creusement des écarts de crédit, notamment des obligations pétrolières
La fin de l’année a été marquée par un creusement des écarts de crédit d’environ 40 points de base entre les obligations souveraines et les obligations d’entreprises.
Toutefois, cette tendance masque deux périodes très distinctes : un resserrement jusqu’en été (les investisseurs s’étaient jusqu’alors montrés relativement avers au risque et ont dû se positionner, compte tenu de la forte collecte des fonds obligataires de détail) et un creusement depuis (du fait d’une décollecte et de l’augmentation des risques, notamment pour les pays exportateurs de pétrole). Ces derniers figurent en queue de peloton, puisque le cours du baril de brut a dégringolé de 75 à 55 USD. Comme les marchés testent la réaction de l’OPEP (ou son absence), les obligations pétrolières vont rester sous pression jusqu’à ce qu’un plancher des cours pétroliers se dégage.
En dépit de la récente correction, cette classe d’actifs a réussi à composer avec une collecte inférieure à celle observée les années précédentes, dans le cadre d’un ajustement sur plusieurs années. La dispersion des rendements entre obligations souveraines libellées en monnaie forte et obligations d’entreprises s’est avérée moins marquée que prévu, en partie du fait de la politique de taux plus conciliante adoptée par la Fed, et les évènements extrêmes ont affecté essentiellement les titres de crédit fragiles, notamment au Venezuela et en Ukraine.
Pour 2015, il faut s’attendre à une dispersion accrue des rendements, notamment concernant les titres surveillés de près par les marchés. Reste à déterminer si ces États procéderont aux changements budgétaires ou structurels nécessaires pour stabiliser les niveaux d’endettement (y compris les pays mis à mal par la baisse des cours des matières premières) et aux réformes structurelles requises pour renforcer la croissance potentielle. Je reste très prudent en matière de sélection de titres au Brésil et en Afrique du Sud tout en évitant les marchés frontières (Ghana, Costa Rica, Serbie) et les obligations pétrolières (Bahreïn, Équateur), où, à mon avis, les investisseurs sous-estiment les risques et où les ajustements vont sans doute susciter la déception.
- Dette en devises locales : une contre-performance imputable de nouveau aux fluctuations de change
Le rebond des rendements américains a contribué à stabiliser les courbes en monnaie locale dans plusieurs pays, mais n’a pas suffi à contrebalancer les rendements négatifs dus aux dépréciations des devises émergentes vis-à-vis du dollar US. Sur tous les marchés à l’exception de la Chine, les taux ont dépassé les rendements des devises. Les devises émergentes ont en fait distancé plusieurs devises des pays développés, notamment l’euro (EUR), mais également la couronne norvégienne (NOK) (en raison du contexte pétrolier) et les dollars australien et canadien (AUD/CAD) (évolution des matières premières) ; cette année devrait selon moi correspondre surtout à une remontée du billet vert, et non à une vente massive de devises émergentes (le rouble constituant l’exception majeure). Dans de nombreux cas, la dépréciation monétaire s’est avérée relativement sans heurt et/ou n’a pas eu d’effet défavorable sur les bilans des États souverains ou des entreprises. Par conséquent, elle n’a pas donné lieu à un creusement significatif des écarts de crédit. Quelques pays, toutefois, restent malmenés et figurent parmi les lanternes rouges. L’ampleur de la contre-performance russe a été stupéfiante, un des facteurs qui a entraîné la réduction de la pondération du pays dans l’indice GBI-EM de 10% à 5%. Les obligations émergentes en devises locales n’auraient généré qu’un rendement légèrement négatif (environ -1%) si la Russie avait été exclue. La prudence est toujours de mise sur les devises caractérisées par un ajustement incomplet et une aggravation des conditions des échanges commerciaux, en particulier dans les régimes moins souples, tels que le Nigeria ou les pays de l’ancienne Union soviétique entretenant des liens économiques étroits avec la Russie. Après une allocation relativement faible en obligations libellées en devises locales en 2014, l’objectif en 2015 consistera à renforcer sélectivement l’exposition aux pays où le rééquilibrage de la balance des paiements courants est en bonne voie et/ou les valorisations sont inférieures aux fondamentaux. L’Indonésie et l’Inde ont illustré ce cas de figure en 2014 et réussi à enregistrer des performances satisfaisantes en dépit de la vigueur du dollar.
- Nombreux risques idiosyncratiques, accrochez-vous
En 2014, je m’attendais à ce que les risques idiosyncratiques, notamment les risques politiques, deviennent une source de rendements plus importante. Le risque politique est pris en compte en évaluant son impact éventuel sur l’économie et l’impact de l’économie sur les prix des actifs, l’objet ultime de nos investissements.
Dans certains cas, les risques politiques ont eu un effet favorable (ex : Indonésie et Inde). Autrement, malgré un impact sur l’économie, l’impact sur les prix des actifs est modéré (notamment en Thaïlande, qui fait état d’une longue histoire d’ingérence militaire, avec généralement peu de répercussions sur les prix des actifs).
Dans d’autres cas, les risques politiques se sont sensiblement intensifiés (ex : Russie et Ukraine), ce qui pèse sur leur économie et sur le prix des actifs. La prudence s’impose quant à notre exposition à ces pays, dans la mesure où les risques d’instabilité persistants dégénèrent en une crise bancaire et régionale. Un an après le début du conflit, aucune résolution rapide n’est encore en vue, puisque les positions restent très divergentes et l’Ouest (notamment les États-Unis) n’est pas pressé de lever les sanctions économiques. J’ai rédigé un blog à ce sujet en avril dernier, consultable ici.
Aux deux extrêmes, les rendements solides en Argentine (malgré un défaut de paiement partiel) et médiocres au Venezuela (pas encore en situation de défaut) ont souligné les attentes d’une politique économique plus efficace pour le premier (après les élections d’octobre 2015) et les faibles espoirs de redressement pour le second, rendu encore plus délicat en raison du recul des cours pétroliers.
En 2015, le calendrier électoral sera nettement plus calme qu’en 2014. L’attention va se porter sur la mise en œuvre des réformes, les problèmes géopolitiques durables et les mesures politiques (ou leur absence) de la part des pays touchés par la détérioration des échanges commerciaux. C’est notamment le cas de quelques pays importants, comme le Brésil. Alors que les récentes nominations ministérielles constituent à mon avis une étape sur la bonne voie d’une meilleure politique monétaire et budgétaire, des améliorations constantes et rapides sont nécessaires en matière de rééquilibrage budgétaire afin de stabiliser les anticipations et d’empêcher une révision à la baisse des notations.
En résumé, l’allocation d’actifs entre devises fortes et devises locales devrait rester un facteur décisif, notamment au début 2015. La sélection obligataire au sein du segment libellé en devises fortes prendra davantage d’importance qu’en 2014, puisque la dispersion des rendements va probablement se renforcer ; l’essentiel est d’éviter les risques extrêmes, source de contre-performances.
Les banques et autres spécialistes de la recherche ont publié leurs perspectives pour l’année 2015. Pour les obligations d’entreprises émergentes, c’est l’Asie qui est donnée favorite, valeurs indiennes et chinoises en tête.
La majeure partie de ces prévisions ont été publiées fin novembre ou début décembre, c’est-à-dire au moment où les obligations d’entreprises émergentes libellées en dollars pouvaient se targuer d’un très solide 6,1 % de rendement total sur l’année (au 26 novembre 2014). Mais depuis lors, la dégradation de la dynamique macroéconomique dans les pays émergents (contraction de la croissance, chute des cours du pétrole et forte volatilité du rouble) ainsi que l’impact de l’affaiblissement du marché américain du haut rendement se sont traduits par le plus grand élargissement des spreads émergents depuis 2011. La performance de l’indice a été réduite de moitié (rendement total de 3,0 % au 15 décembre), avant de rebondir à environ 5,0 % en fin d’année. La correction a entraîné une revalorisation brutale des obligations en Amérique latine, en Europe émergente, au Moyen-Orient, en Afrique… et c’est tout. Contrairement aux précédents décrochages, l’Asie s’est révélée très résistante, comme le montre le graphique ci-dessous.
Compte tenu des changements drastiques intervenus sur les marchés de la dette privée émergente en décembre, c’est-à-dire depuis que les analystes sell-side ont publié leurs perspectives pour 2015, les obligations d’entreprises asiatiques sont-elles encore intéressantes en termes de rendement relatif ?
Risques macroéconomiques : l’Asie est la moins exposée, risques baissiers importants en Europe émergente, en progression en Amérique latine et au Moyen-Orient.
Cela ne fait aucun doute : l’Asie restera confrontée à des risques macroéconomiques non négligeables en 2015, notamment le ralentissement de la croissance chinoise et les craintes liées au système bancaire parallèle (« shadow banking »), comme l’expliquait récemment Jim dans une vidéo. Mais en termes relatifs, elle devrait être la moins exposée des marchés émergents aux risques macroéconomiques baissiers. L’Amérique latine souffre de problèmes spécifiques (atonie de la croissance et scandales de corruption au Brésil, défauts potentiels ou avérés du Venezuela et de l’Argentine, faiblesse des cours des matières premières, etc.). La chute des cours du pétrole pèse sur le Moyen-Orient et la Russie, qui souffre par ailleurs des sanctions économiques imposées par l’Occident en raison de son implication dans la crise ukrainienne.
L’Asie est donc non seulement confrontée à des risques macroéconomiques plus limités, mais elle compte également des pays, notamment l’Inde ou l’Indonésie, qui devraient profiter de la baisse des prix de l’or noir.
Valorisations : l’Amérique latine et l’EMOA réévaluées, l’Asie globalement inchangée.
Si la récente correction émergente a épargné l’Asie, elle s’est traduite par une revalorisation significative des obligations d’entreprises d’Amérique latine.
En ce qui concerne les spreads moyens par niveau de levier (les spreads corrigés de la dette), les obligations latino-américaines sont intéressantes dans les segments BBB et BB, tandis que la dette privée asiatique a l’avantage sur la catégorie B. Notons que les émetteurs notés B sont, selon moi, moins transparents en Asie qu’en Amérique latine et que la loi chinoise sur les faillites comporte encore des lacunes au niveau des obligations offshore. Tout cela a son importance, car les taux de défaut en Asie devraient passer de 0,9 % en 2014 à 2,5 % en 2015.
Les spreads obligations d’entreprises d’Europe émergente semblent intéressants (notamment dans le segment BBB), car ceux d’un certain nombre d’obligations russes et ukrainiennes ont touché des niveaux extrêmes en 2014, alors que la région a globalement un niveau d’endettement peu élevé. Cependant, les risques macroéconomiques baissiers intenses qui planent sur l’Europe émergente ont relégué les fondamentaux des entreprises au second plan, car les observateurs sont nombreux à prévoir un défaut de l’Ukraine en 2015, et la trajectoire des cours du pétrole et du rouble est incertaine. Par ailleurs, les spreads reflètent le piètre état de la liquidité sur le marché dans cette région.
Au Moyen-Orient, quelques entreprises ont souffert à tort de la chute des cours du pétrole, et la revalorisation de certaines obligations les rend attrayantes pour qui sait les identifier.
Facteurs techniques : la dynamique d’offre et de demande profitera à l’Asie.
Avec plus de 170 milliards de dollars d’obligations d’entreprises émises en 2014, l’Asie a représenté la moitié du volume annuel, la Chine atteignant à elle seule autour de 30 %, selon JP Morgan. Le marché estime que les émetteurs asiatiques vont encore augmenter leur poids dans les émissions de dette privée et pourraient inscrire un nouveau record en 2015. L’un des plus grands risques est donc que la demande ne soit pas à la hauteur de cette offre colossale. Cela étant, les obligations asiatiques sont moins sensibles que leurs homologues latino-américaines aux sorties de capitaux des marchés américains. Et l’Asie s’est forgée, au fil des années, une vaste base d’investisseurs locaux qui devrait absorber une grande partie de l’offre en 2015. Pour ceux qui n’en sont pas convaincus : jetez un œil à la résistance dont l’Asie a fait preuve lors de la correction de décembre 2014.
Conclusion : en 2015, l’Asie devrait bien s’en sortir et l’Amérique latine, allier surperformance et volatilité
Selon moi, la récente correction des marchés émergents a en quelque sorte rebattu les cartes pour 2015 puisqu’elle a (i) généré de nouvelles opportunités d’investissement dans les obligations d’entreprises latino-américaines et (ii) démontré la résistance croissante de l’Asie aux chocs encaissés par les autres régions. Je pense que l’élargissement des spreads des obligations d’entreprises d’Europe émergente n’a pas changé la donne de manière significative, car les risques géopolitiques en Russie, et donc en Europe de l’Est, ne devraient pas disparaître en 2015.
Je pense que les obligations d’entreprises d’Amérique latine devraient surperformer après le décrochage de décembre 2014, en restant toutefois très volatiles, car la revalorisation régionale reflète également une montée une puissance des risques macroéconomiques baissiers. La sélection, des pays comme des titres, y sera déterminante.
Au regard des fondamentaux des entreprises, les spreads des obligations asiatiques semblent moins intéressants. Je ne table donc pas sur une forte contraction des spreads dans la région en 2015, notamment pour les crédits à haut rendement. L’Asie reste toutefois, selon moi, la région la moins exposée aux risques macroéconomiques baissiers. Elle devrait également profiter de facteurs techniques positifs tout au long de l’année. La résistance croissante de l’Asie à l’aversion au risque émergent pourrait donc constituer une bonne couverture pour les autres classes d’actifs émergents en cas d’accès de volatilité sur le marché.
« Ave César, ceux qui vont mourir te saluent » : certes, une épitaphe prestigieuse des gladiateurs il y a deux millénaires, mais il y a peu de chances que les créanciers subordonnés de Caesar’s Entertainment Operating Co partagent cet avis.
En 2008, TPG et Apollo Global Management, deux locomotives du secteur du private equity, ont orchestré le rachat de Harrah’s Entertainment Inc, groupe américain de jeux de hasard, pour 30,7 milliards de dollars. Il s’agit de l’une des vagues de rachats avec effet de levier de grande envergure, alimentée par la disponibilité du financement bon marché. Presque immédiatement, le groupe criblé de dettes a commencé à éprouver des difficultés alors que l’économie américaine s’essoufflait, et compte tenu du lourd fardeau de l’endettement, il a été incapable d’investir dans de nouveaux pôles de croissance, tels que Macao. Sept ans plus tard, les principaux actionnaires et créanciers garantis du groupe ont accepté l’inévitable, et convenu de mettre en œuvre une vaste restructuration de la dette au début de l’année 2015*.
A l’instar de la faillite de TXU en 2014, la restructuration de Caesar’s va entraîner une longue série de conséquences pour ses investisseurs obligataires. Cela est dû en partie à la complexité inhérente de la structure financière (voir graphique ci-dessous). Il existe 3 principales entités émettrices (Caesar’s Entertainment Operating Co, Caesar’s Entertainment Resort Properties, et Caesar’s Growth Properties) et il convient de noter que la restructuration proposée ne concernera qu’une des entités (Caesar’s Entertainment Operating Co). La structure financière est le produit d’une série de refinancements, de swaps d’actifs, d’émissions d’actions et d’autres strates de l’ingénierie financière au fil des années.
Par ailleurs, au sein de chaque entité émettrice, il existe des niveaux distincts de priorité pour les diverses obligations, allant des obligations de 1er rang jusqu’aux créances non garanties. Si nous examinons où se négocient quelques-unes des émissions obligataires les plus liquides, on constate que les recouvrements escomptés varient entre un montant proche de la valeur nominale (à savoir quasiment aucun impact) pour certaines obligations adossées à des créances directes de premier rang sur une série de biens immobiliers, et environ 12 cents de dollar pour certaines des obligations non garanties.
Alors qu’en 2014, la phase finale de la restructuration approchait, la position différente dans la structure du capital s’est également reflétée dans les performances des prix des obligations. Les créances non garanties, certes déjà sinistrées au début 2013, ont subi une nouvelle perte évaluée à la valeur du marché d’environ 75% au cours des 2 années suivantes.
Cette nouvelle défaillance illustre le risque de baisse potentiel de l’investissement dans une société fortement endettée. Toutefois, le cas de Caesar’s nous montre également comment une partie de l’asymétrie inhérente à l’investissement dans les obligations d’entreprises (risque marqué de perte en capital avec un potentiel de hausse limité) peut être atténuée en privilégiant les instruments de rang supérieur au sein d’une structure financière. Par conséquent, la question cruciale que les investisseurs obligataires doivent se poser n’est pas nécessairement « si » il est judicieux de prêter des fonds à une société, mais « à quel niveau » de la structure financière ils devraient risquer leur argent.
Obligation d’information complète : M&G est détenteur d’obligations Caesar’s Entertainment Resort Properties.
*N.B. : sous réserve d’obtenir l’accord des autres créanciers et des tribunaux américains.