Les inquiétudes se multiplient actuellement concernant l’économie américaine et sa capacité à résister à l’effondrement des cours du pétrole et des produits miniers, au ralentissement en Chine et à la récente hausse d’un quart (oui, il s’agit bien d’un quart !) de point des taux d’intérêt – ou, compte tenu de l’état d’esprit actuel du marché, sa capacité à s’adapter au doublement de son taux directeur. Certes, les spreads des obligations à haut rendement sont proches de niveaux récessionnistes, mais cette situation est faussée par le secteur de l’énergie. L’activité manufacturière affiche un recul manifeste mais le secteur des services, qui importe davantage pour la croissance américaine, fait preuve d’une plus grande fermeté (bien que l’indice ISM manufacturier se soit nettement replié par rapport à ses récents plus hauts). La courbe de rendement américaine reste encore assez loin d’une inversion, signe traditionnellement annonciateur d’une récession, bien qu’elle s’aplatisse au lieu de se pentifier comme il le faudrait. Au train où vont les choses, nous pensons que la Réserve fédérale américaine (Fed) continuera à relever ses taux car elle devrait se focaliser sur les données témoignant de la solidité croissante du marché du travail.
Si les perspectives en termes d’activité économique et de production industrielle étaient si moroses, les entreprises réduiraient leurs effectifs de la manière traditionnelle, c’est à dire à coup de licenciements. Or, comme le montre le graphique ci-dessous, les licenciements dans le secteur privé (en pourcentage de la population active) atteignent leur niveau le plus faible depuis 15 ans. Cette situation dénote la vigueur continue du marché du travail et le faible niveau des suppressions de postes laisse présager du maintien de la bonne orientation de l’emploi.
Dans leurs analyses du marché du travail et de la santé de l’économie, les économistes évoquent la notion de taux d’emploi naturel. Dans ce contexte, l’on pourrait supposerl’existence d’un niveau naturel de licenciements en dessous duquel l’économie ne saurait aller. De fait, il est inévitable que certains employeurs se retrouvent en difficulté et soient contraints de supprimer des emplois. Le graphique ci-dessus laisse penser que ce niveau naturel se situe aux alentours de 0,02%, ce qui renforce l’idée que le marché du travail aux Etats-Unis reste bien orienté.
Si l’économie américaine se dirigeait vers une récession, des signes avant-coureurs seraient incontestablement apparus à l’heure qu’il est. En effet, le marché du pétrole est en baisse depuis plus d’un an, les actions chinoises reculent depuis neuf mois, les cours des produits miniers plongent depuis deux ans et le léger relèvement des taux était entièrement anticipé (et a été reporté).
La réalité est au contraire, que le repli des cours du pétrole aide l’économie, que la baisse des prix des matières premières est un problème d’offre et non pas de demande, que l’économie chinoise n’est pas un facteur majeur pour l’économie américaine et que les taux d’intérêt et la politique de la Fed demeurent exceptionnellement accommodants. Les places boursières, les marchés des matières premières et l’économie n’évoluent pas toujours en parallèle. La Fed ne devrait pas se focaliser sur ces indicateurs. Sa mission n’est pas de soutenir le marché des actions ou des matières premières, mais de soutenir le marché du travail. Elle doit donc rester vigilante et ne pas se laisser distraire par des « bruits » qui ont peu d’incidence sur les anticipations d’inflation à long terme ou sur les perspectives à court terme du marché de l’emploi.
l y a un an, la BNS mettait fin soudainement au peg du franc suisse (CHF) à l’euro, provoquant un séisme sur le marché des changes. À l’occasion du premier anniversaire de la suppression du cours plancher du franc suisse, j’ai pensé qu’il serait intéressant de voir comment l’économie helvétique avait évolué au cours des douze derniers mois.
Une économie suisse robuste, mais pas solide comme un roc en 2015
L’économie suisse a montré une grande capacité de résistance en 2015. Pour preuve : une croissance régulière et un chômage faible malgré la déflation et la force du CHF, qui auraient dû peser sur le dynamisme d’une nation exportatrice comme la Suisse. Comme la BNS l’a souligné dans sa dernière évaluation de la politique monétaire, cette résilience économique a été favorisée par une demande étrangère soutenue pour les biens et services suisses et par une demande domestique toujours robuste, alimentée quant à elle par une augmentation des salaires réels.
Un examen plus détaillé des chiffres de l’économie suisse révèle cependant une image moins rose. S’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de données portant sur une période très courte, certaines d’entre elles montrent toutefois des signes de faiblesse depuis la suppression du cours plancher du CHF et pointent un risque potentiel de détérioration de l’économie.
Alors que la BCE sort la grosse artillerie pour raviver l’inflation dans les économies voisines, la Suisse souffre de déflation depuis près de 4 ans. La suppression du cours plancher a aggravé la situation, en augmentant le pouvoir d’achat du CHF et en alimentant la baisse des prix à la consommation (-1,3 %). Alors que le taux de chômage a commencé à baisser dans la zone euro, il remonte en Suisse après deux années de stabilité, même si dans l’absolu il reste très faible. Ainsi, la dernière enquête de confiance des consommateurs (du Secrétariat d’État aux Affaires économiques) révèle une baisse de confiance au niveau de la sécurité d’emploi. Il faut d’ailleurs noter que, depuis la suppression du peg du CHF, la confiance a chuté à -18 (contre -6 début 2015), soit un niveau nettement inférieur à sa moyenne historique de -9 points.
Le franc fort a également eu un impact direct sur le tourisme l’été dernier, comme le montrent les statistiques publiées récemment. Selon l’Office fédéral (suisse) de la statistique, le nombre de nuitées des voyageurs européens a chuté de 741 000 (-10,9 %). En cause : principalement les touristes allemands, avec une chute de 358 000 nuitées (-15,1 %) par rapport à 2014. L’augmentation de la demande asiatique et américaine n’a pas suffi à compenser cette chute en provenance des pays voisins.
L’appréciation de la devise suisse par rapport à l’euro en janvier 2015 non seulement rend la Suisse moins attractive pour les visiteurs de la zone euro, mais elle incite également les Suisses à dépenser plus à l’étranger. C’est d’autant plus facile que la Suisse est parfaitement intégrée dans le réseau de communication européen. Les frontières ouvertes permettent aux Suisses, souvent en moins d’une heure, de se rendre confortablement (en train) dans les pays voisins pour leur shopping. Rien d’étonnant donc à ce que la force du CHF ait conduit à une hausse de 8 % des achats à l’étranger, selon le Crédit Suisse. En revanche, les ventes au détail en Suisse ont reculé de 2,1 % en 2015 (chiffres arrêtés en novembre).
Baisse de la confiance à l’égard de la BNS
Les derniers résultats de l’enquête M&G YouGov M&G Inflation Expectations Survey, dans laquelle nous interrogeons également les consommateurs sur leur confiance à l’égard des banques centrales, indiquent une baisse de confiance pour la BNS. Aujourd’hui, la confiance dans la politique de la BNS est inférieure de 9 points à celle exprimée il y a un an. Ce qui montre clairement que les consommateurs suisses ont conscience de la pression qui pèse sur les épaules du président de la BNS, Thomas Jordan, et de son équipe.
La perte record de 23 milliards de CHF, qui vient d’être annoncée, est due presque entièrement aux positions de la banque en devises étrangères, ce qui n’est pas non plus de nature à raviver cette confiance. La BNS a réussi tout de même à payer un dividende et à distribuer 1 milliard de CHF à la Confédération et aux cantons grâce ses réserves accumulées. Il faut toutefois s’interroger sur l’opportunité d’une telle distribution dans la mesure où les réserves de la banque fondent à vue d’œil et où de nouvelles pertes ne sont pas à exclure dans la foulée de nouvelles interventions sur le marché. Le bilan de la BNS est composé à 90 % environ d’investissements en devises étrangères. En clair : les moindres mouvements des cours de change peuvent avoir un impact considérable sur ses bénéfices.
Pression persistante
Johann Schneider Amman, le nouveau président fédéral, a souligné dans son discours de Nouvel An l’importance pour le pays de disposer d’entreprises solides. Ce qui est, à mon sens, un vœu pieux si ces entreprises ne peuvent pas s’appuyer sur un franc suisse compétitif. Cette condition ne sera pas facile à remplir. Il faut craindre en effet une pression persistante et de nouveaux stimulants de la BCE en 2016, en particulier si les prix du pétrole continuent à faire baisser les chiffres de l’inflation.
Dans un blog récent, nous avons discuté de l’effet de l’effondrement des cours des matières premières, notamment le pétrole et l’énergie, sur l’inflation dans le monde. Selon les chiffres de l’inflation, les principaux pays occidentaux sont en situation de déflation, ou s’en sont rapprochés tout au long de l’année, malgré la poursuite de la croissance économique et le redressement durable des marchés du travail.
La question intéressante est de savoir si ce type de déflation par les coûts apparemment temporaire (à savoir un recul des prix provoqué par le repli des cours des matières premières, l’assouplissement budgétaire ou les importations moins onéreuses) pourrait avoir un impact prolongé sur l’inflation réelle et les prévisions d’inflation, ce qui serait susceptible, à son tour, d’influencer la consommation et la détermination des salaires. Les banques centrales devraient se montrer attentives à tout signe précoce d’instabilité des prévisions de hausse des prix à la consommation.
Selon les résultats de l’enquête M&G YouGov sur les prévisions d’inflation menée au 4ème trimestre 2015, les prévisions de hausse des prix à la consommation au Royaume-Uni ont de nouveau légèrement reculé à la fois sur une période d’un et cinq ans. L’indice moyen des prix à la consommation pour l’année à venir est passé de 1,5% à 1,0%, soit le plus bas niveau enregistré depuis le lancement de notre enquête. Sur un horizon de cinq ans, les prévisions ont perdu -0,1% pour s’établir à 2,5%. Par ailleurs, notre analyse montre que les prévisions de revenu net en Grande-Bretagne se sont améliorées ces derniers mois : 22% des consommateurs britanniques tablent sur une hausse du salaire net au cours des douze prochains mois.
En Europe, les prévisions d’inflation trimestrielles semblent s’être stabilisées en Allemagne, en Autriche et en Italie, mais ont reculé en Espagne et en Suisse, les deux seuls pays de l’UE qui ont connu six trimestres consécutifs d’inflation nulle ou négative. Néanmoins, on constate qu’à long terme, tous les pays interrogés prévoient toujours une inflation égale ou supérieure à 2%, ce qui porte à croire que les consommateurs européens restent largement confiants dans la capacité des banques centrales à s’acquitter de leur mission de stabilité des prix.
En Asie, les prévisions d’inflation à Singapour ont fait état d’une légère baisse à la fois à court (3,1% à 3,0%) et moyen terme (4,5% à 4,0%), inversant la tendance à la hausse enregistrée au trimestre précédent. En revanche, les anticipations à Hong Kong restent inchangées et font preuve d’une remarquable stabilité, les prévisions à 5 ans se maintenant à 5% pour le sixième trimestre consécutif.
Le rapport complet et les statistiques de notre enquête du 4ème trimestre 2015 sont disponibles ici.
Note : la vidéo suivante est seulement disponible en anglais.
En 2014, j’ai publié un billet intéressant pour les gourmands : la chute du prix des denrées rendait la préparation de gâteaux moins chère. Hélas, (et contrairement aux prix des autres produits de base, notamment le pétrole qui a récemment atteint de nouveaux plus bas depuis la fin de la crise financière internationale), le prix des denrées est reparti à la hausse au cours du dernier trimestre 2015.
En septembre, nous parlions des retombées possibles du phénomène météorologique El Niño, ici. Quelques mois plus tard, nous commençons à y voir plus clair alors que ses conséquences se font ressentir dans plusieurs des principales régions agricoles du monde. L’Indonésie (premier producteur d’huile de palme au monde) et l’Afrique (producteur de cacao) ont souffert de la sécheresse, tandis que le Brésil (leader dans la production de sucre et de café) a dû faire face à de fortes précipitations et à la plus grave inondation en 50 ans ; tous ces événements étant imputables à El Niño. En raison des craintes et des contraintes pesant sur la production du fait de la météo, les prix du sucre, de l’huile de palme, du café et du cacao ont augmenté de 42 %, 18 %, 8 % et 2 % au quatrième trimestre 2015, respectivement.
Comment cela se traduit-il dans l’indice des gâteaux de M&G ?
Suite à l’envolée des prix des denrées au dernier trimestre de l’année passée, j’ai actualisé l’indice des gâteaux de M&G. Cet indice tient compte des données mondiales concernant le cours des produits de base utilisés pour plusieurs recettes basiques, que l’on retrouve sur le site internet de la BBC dédié à la cuisine, et se compose d’un panier indicatif de denrées visant à refléter l’évolution du coût de la préparation de gâteaux (l’huile de palme remplace toutefois le beurre).
Le prix du sucre étant en nette hausse – et s’agissant d’un ingrédient essentiel en pâtisserie –, rien d’étonnant à ce que le prix de tous les gâteaux ait augmenté. Toutefois, la baisse du prix du blé faisant contrepoids, les pâtisseries à base de farine sont épargnées, à l’image des scones et des génoises. Les cours du cacao et du café, quant à eux, prennent la direction inverse. Il convient néanmoins de noter que le gâteau au chocolat ne constitue pas seulement un indicateur pour le cacao, sa recette nécessitant également la quantité de sucre la plus importante. C’est pour cette raison que le gâteau au chocolat revient plus cher que le gâteau au café, même si le prix de ce dernier ingrédient affiche une plus forte hausse. Tout ceci ne présage rien de bon pour la consommation de gâteaux au Nouvel An ni pour ceux qui pensaient voir leur porte-monnaie se remplir de nouveau après les fêtes.
À l’inverse de ce qui a été précédemment mentionné, les données publiées ces dernières semaines par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture indiquent que l’ensemble de son indice des prix alimentaires a reculé en décembre. Cet indice se compose de cinq groupes de denrées : la viande, les produits laitiers, les céréales, les huiles végétales et le sucre, tandis que l’indice des gâteaux de M&G n’inclut que les deux derniers. La chute de l’indice des prix des denrées laisse penser que les effets d’El Niño ne favorisent pas encore ni ne provoquent d’inflation au niveau de ces produits. Les météorologues ont toutefois affirmé qu’El Niño était le plus puissant phénomène en son genre depuis 1998 et qu’il ne s’était pas encore dissipé. Que cela finisse par favoriser ou entraîner la hausse des prix de toutes les denrées ou non, l’inflation était sans conteste au menu ces derniers mois en ce qui concerne les gâteaux.
Les fluctuations des prix du pétrole et leurs impacts sur les marchés émergents devraient rester d’actualité en 2016. Il est indéniable que la baisse des cours a confronté les économies massivement tributaires des exportations de pétrole et des recettes fiscales associées, comme l’Arabie saoudite, la Russie ou le Venezuela, à un environnement macroéconomique extrêmement difficile. Toutefois, parmi les pays émergents, les importateurs nets sont plus nombreux que les exportateurs nets de pétrole. En outre, les obligations d’entreprises du secteur pétrolier et gazier représentent un pourcentage relativement faible de l’ensemble des obligations d’entreprises des marchés émergents, selon différents indices obligataires en devises fortes. Alors, pourquoi le recul des cours du pétrole pèse-t-il régulièrement sur les prix des actifs des marchés émergents ?
Les pays en développement sont nombreux à profiter directement du recul des prix du pétrole.
L’Asie est le principal bénéficiaire de cette évolution de l’environnement tarifaire, à l’exception de la Malaisie qui est exportateur net de pétrole, comme le confirme le graphique ci-dessus. Dans la région, l’Inde, la Chine, la Thaïlande et la Corée du Sud devraient profiter le plus de cette baisse des cours, notamment via des importations de pétrole moins cher, une réduction des coûts de production, une diminution des subventions des carburants et/ou une augmentation des dépenses de consommation. En dehors d’Asie, certains autres grands pays en développement sont importateurs nets de pétrole, comme la Turquie, l’Afrique du Sud et le Brésil. Les pays d’Europe orientale, en particulier la Hongrie, la Pologne et la République tchèque, profitent également de la baisse des prix du pétrole (et du gaz). Enfin, les Caraïbes et l’Amérique centrale bénéficient sans doute indirectement du soutien que le recul des cours du pétrole apporte à la consommation américaine.
Les émissions des entreprises énergétiques représentent au maximum 25 % des indices des obligations d’entreprises des marchés émergents.
Il est plutôt surprenant, bien que très conforme aux fondamentaux des économies en développement, que le secteur pétrolier et gazier représente au maximum 25 % des indices des obligations d’entreprises des marchés émergents (13,6 % de l’indice CEMBI BD de JPM et 23 % de l’indice EMCB de BAML). Toutefois, il convient de tenir compte du facteur macroéconomique car au Moyen-Orient, par exemple, les financières sont susceptibles de souffrir de la baisse des prix du pétrole. Par conséquent, lorsqu’ils analysent leur exposition au secteur pétrolier, les investisseurs doivent intégrer un filtre supplémentaire à leur processus d’investissement et identifier les obligations d’entreprises qui sont exposées à des pays eux-mêmes exposés au pétrole. Selon nos calculs, les obligations d’entreprises des marchés émergents des pays exportateurs nets de pétrole représentent 30,3 % de l’indice (CEMBI BD). Ainsi, deux tiers de l’indice sont – en théorie tout du moins – à l’abri de la volatilité des cours du pétrole.
Les matières premières et les monnaies sont les principales voies de contagion.
Bien que les importateurs nets de pétrole soient plus nombreux que les exportateurs nets parmi les pays en développement, la baisse des cours du pétrole continue de peser sur les prix des actifs des marchés émergents, les matières premières non pétrolières et les monnaies agissant comme des circuits de contagion.
Lorsque les prix du pétrole ont commencé à s’effondrer, les pays massivement tributaires des recettes pétrolières ont observé une dépréciation brutale de leur monnaie, parfois sous forme de dévaluations (p. ex., le Kazakhstan). Le premier effet était (et continue d’être) technique, avec une répercussion de la défiance à l’égard de l’ensemble des monnaies des marchés émergents, ainsi que des matières premières. Le deuxième effet, plus fondamental, était double :
(i) le pétrole, dont le coût en tant que facteur de production est important, influence le seuil de rentabilité de la production de métaux et de denrées alimentaires ; dans un environnement marqué par un ralentissement de la croissance et des surcapacités de production de matières premières, une baisse des cours du pétrole pèse par conséquent sur les prix des autres matières.
(ii) la dépréciation de la monnaie a eu pour effet secondaire une amélioration de la compétitivité des exportations d’autres matières premières des pays exportateurs de pétrole, comme par exemple la Russie avec les engrais. Cette situation a entraîné un accroissement des pressions sur les monnaies des pays non exportateurs de pétrole, leurs métaux ou leurs matières premières agricoles étant devenus moins compétitifs.
Le pétrole est partout, mais l’influence des situations particulières prédomine.
Dans ce contexte, il convient d’admettre qu’un portefeuille d’obligations des marchés émergents a peu de chances d’être pleinement à l’abri des fluctuations du pétrole. S’agissant de 2016, il s’agit d’une bonne nouvelle si vous anticipez une remontée des prix du pétrole : dans la plupart des cas, toute appréciation significative des cours entraînera une forte hausse des prix des actifs des marchés émergents. À l’inverse, si vous tablez sur une baisse des prix du pétrole, il demeure toutefois possible d’identifier des opportunités d’investissement attractives : le secteur pétrolier et gazier a connu une baisse de 3 % en 2015 dans les pays émergents, mais la dispersion des performances des obligations d’entreprises a été considérable et pas nécessairement corrélée aux prix du pétrole. Par exemple, la baisse des obligations Petrobras a plutôt résulté du scandale actuel de corruption au Brésil et du niveau d’endettement du groupe que du recul effectif des prix du pétrole. À l’inverse, et malgré l’exposition de leur pays au pétrole, les obligations PDVSA (société pétrolière d’État vénézuélienne) ou LUKOIL (producteur de pétrole russe) ont progressé de plus de 10 % en 2015. L’enseignement que l’on peut en tirer pour 2016 est que, dans les pays émergents, les situations particulières – au plan macroéconomique et du crédit – importent souvent plus que l’évolution des prix du pétrole.
Dans le prolongement de l’analyse de Gordon des pires et meilleures performances de l’univers obligataire en 2015, je souhaitais analyser plus en profondeur comment les marchés émergents s’étaient comportés en 2015 et ce qu’il faut attendre de 2016.
Certains des thèmes qui ont sous-tendu l’évolution du marché en 2015 étaient les mêmes qu’en 2014. Une fois de plus, l’allocation d’actifs s’est révélée cruciale. La dette libellée en monnaie locale a sous-performé la dette libellée en monnaie forte pour la troisième année consécutive. Sur le segment des obligations émergentes libellées en monnaie forte, les emprunts d’Etat et les obligations d’entreprises se sont comportés de façons relativement similaires au niveau des indices globaux.
Néanmoins, comme je l’écrivais il y a un an, la dispersion des performances a augmenté en 2015 et la capacité à éviter les accidents s’est révélée essentielle. Voici la liste des thèmes principaux qui ont marqué le marché en 2015 :
- La duration n’a pas été une source clé de performance
Bien que la Réserve fédérale américaine (Fed) ait fini par resserrer sa politique monétaire, les taux des bons du Trésor à dix ans ont clôturé l’année 2015 en légère hausse, car le marché avait anticipé et pris en compte depuis un certain temps déjà une telle éventualité. Tant que les actions de la Fed seront conformes aux prévisions du marché en 2016 (c’est-à-dire un resserrement de la politique monétaire compris entre 50 et 75 points de base), les marchés émergents devraient pouvoir y faire face, dans la mesure où ils s’y sont déjà préparés depuis plusieurs années en dépréciant leurs monnaies, réduisant les injections de liquidités et renchérissant les coûts de financement.
- La baisse des devises s’est poursuivie, mais la situation devrait s’améliorer en 2016
Comme le montre le graphique ci-dessus, la sous-performance de la dette libellée en monnaie locale s’explique en grande partie par la baisse des devises, partiellement liés à la vigueur du dollar en elle-même et non pas nécessairement aux marchés émergents. En d’autres termes, de nombreuses devises émergentes ont signé des performances comparables aux grandes devises comme l’euro ou certaines devises liées aux matières premières comme le dollar australien ou le dollar canadien. Elles les ont même parfois surperformées. Le cours du dollar devrait se stabiliser en 2016, si l’on se fonde sur les cycles de resserrement de la Fed antérieurs, au cours desquels le dollar s’appréciait en grande partie avant la première hausse de taux. La sous-performance de la dette libellée en monnaie locale observée l’an dernier suggère que de nombreuses devises émergentes ne sont désormais plus surévaluées et, dans le cas du zloty polonais, du forint hongrois du peso chilien, que ces baisses ont permis d’améliorer le solde de la balance courante de ces pays ou permettront de procéder à un ajustement budgétaire, comme c’est le cas au Brésil actuellement. Les devises à taux fixe et faisant l’objet d’une gestion stricte restent toutefois vulnérables à la baisse des cours du pétrole (p. ex. indexation des monnaies du Conseil de coopération du Golfe sur le dollar, naira nigérian). Le cas le plus préoccupant est peut-être celui du renminbi, qui oblige les autorités chinoises à arbitrer avec tact entre la volonté de maintenir une faible volatilité mais une devise, dans une certaine mesure, surévaluée ou celle de permettre une dévaluation plus rapide qui risquerait d’entraîner dans son sillage d’autres devises asiatiques ou liées aux matières premières.
- Les spreads se sont écartés, notamment sur le segment des obligations émises par des entreprises exposées au marché des matières premières
Comme en 2014, l’année 2015 s’est divisée en deux périodes en ce qui concerne les spreads. Comme le montre le graphique ci-dessous, de nombreux pays émergents sont des exportateurs nets de matières premières. Toutefois, les spreads ont affiché une corrélation relativement élevée aux cours des matières premières et du pétrole cette année (Charles évoquera ce sujet plus avant dans un autre blog à paraître prochainement). Dans l’ensemble, il me semble que les spreads reflètent déjà en grande partie la détérioration du crédit que nous avons constatée ces dernières années. Toutefois, je ne pense pas qu’ils se resserreront dans la mesure où il est peu probable que la situation s’améliore de manière significative sur le marché du crédit à court terme. Néanmoins, la situation pourrait évoluer en cas de rebond des cours des matières premières ou si la Fed venait à déclarer que le cycle de resserrement sera de courte durée.
- Les risques idiosyncrasiques restent élevés et ne disparaitront pas en 2016
Parmi les pays ayant signé les meilleures performances en 2015, certains ont frôlé le défaut (p. ex. le Venezuela et la Biélorussie). La performance de l’Ukraine est due à une restructuration favorable, l’apaisement des tensions avec l’Ukraine a permis à la Russie de rebondir sur la base des niveaux très bas atteints en 2014, et l’élection probable d’un gouvernement plus favorable au marché dirigé par Mauricio Macri a permis à l’Argentine de se redresser. La plupart des pays cités ont néanmoins peu de chance de surperformer en 2016, car rien ne présage l’annonce d’autres bonnes nouvelles et car les valorisations moins attractives après le rebond de 2015. La situation d’endettement du Venezuela reste ambiguë : en l’absence de défaut, le pays affichera l’une des meilleures performances cette année et l’une des plus mauvaises dans le cas contraire. La victoire de l’opposition lors des dernières élections législatives se révèle positive mais, au vu de la faiblesse des prix du pétrole, ne suffit pas à éradiquer les craintes concernant l’orientation politique du pays en matière d’économie.
En queue de peloton, le Brésil sera au cœur des attentes pour 2016. Comme je l’évoquais dans un billet précédent, je reste prudente au sujet du crédit compte tenu d’importants freins politiques entravant la reprise économique et financière. L’Afrique subsaharienne continue à pâtir de la faiblesse des cours des matières premières et à plier sous le poids d’une dette qui augmente rapidement dans la plupart des pays, du fait de déficits budgétaires abyssaux et, dans certains cas, de fortes dépréciations des devises. Les risques liés à un refinancement de la dette seront faibles en 2016. Néanmoins, je pense que ces risques augmenteront dans quelques années et s’accompagneront de quelques événements de crédit. La volonté d’ajustement budgétaire et de remboursement sera mise à rude épreuve et les données relatives aux remboursements de dettes obligataires et aux valeurs de récupérations sont insuffisantes, dans la mesure où la plupart des obligations ont été émises au cours des dernières années.
Au final, il me semble que l’allocation entre dette libellée en monnaie forte et dette libellée en monnaie locale sera une source de performance plus minime en 2016, car les devises devraient se stabiliser. La sélection des obligations souveraines et des obligations d’entreprises au sein de l’univers de la dette libellée en monnaie forte restera un facteur clé car il est fort à parier, selon moi, que la dispersion des performances augmentera. Enfin, la capacité des investisseurs opérant sur les marchés émergents à éviter les gros accidents et les défauts restera un thème clé en 2016.
Avec le recul, il est aisé de constater que l’année 2015 a été moins propice à la réalisation de performances satisfaisantes que l’année 2014. La plupart des 85 indices obligataires Bank of America Merrill Lynch (comme vous pouvez le voir en regardant l’échantillon plus réduit figurant dans le graphique ci-dessous) que j’ai étudiés ont produit des performances comprises entre -5% et 5%, alors même qu’ils avaient généré des performances comprises entre 5% et 15% en 2014.
En 2014 toutefois, la plupart des classes d’actifs de l’univers obligataire ont profité de l’appétit des investisseurs pour les emprunts d’Etat. Cette forte demande pour des titres sûrs a poussé à la baisse les taux des bons du Trésor américain à dix ans et des emprunts d’Etat britanniques (Gilts) à dix ans, de 3% à 2,2% et 1,8% respectivement, tandis que le taux du Bund à dix ans se repliait de 1,9% à un point bas historique à l’époque de 0,5%. Ce contexte favorable n’a pas perduré l’année suivante, mais 2015 n’a pour autant pas été marquée par une forte baisse des emprunts d’Etat dits « refuges ». L’inflation faible, les regains temporaires d’aversion au risque et les injections massives de liquidité par les banques centrales ont permis d’endiguer la baisse des taux des emprunts d’Etat, alors même que la Fed attendait le dernier moment pour relever ses taux d’intérêt et que la BCE annonçait le lancement d’un vaste programme de rachat d’obligations d’Etat. Ces interventions n’ont toutefois pas empêché la survenance d’un épisode de volatilité. Pis, elles ont probablement alimenté un regain de volatilité : après avoir atteint un point bas journalier historique de 0,05% un mois environ après le lancement du programme de rachat de dette publique par la BCE, en mars, le taux du Bund à dix ans a rebondi à 0,98% en moins de deux mois. Les investisseurs qui s’étaient positionnés à l’achat sur point bas ont ainsi essuyé des pertes substantielles.
Chemin faisant, les taux des emprunts d’Etat américains et allemands à dix ans progressaient de dix points de base, clôturant l’année à 2,27% et 0,63% respectivement. Parallèlement, le taux des emprunts d’Etat britanniques à dix ans progressait de 20 points de base, pour s’établir à 1,96%. A l’inverse, le taux des emprunts d’Etat japonais à dix ans clôturait l’année en baisse de six points de base, à 0,26% seulement.
Alors que les taux des emprunts d’Etat « refuges » ont globalement progressé sur toute la courbe (comme le montre le graphique ci-dessus), les divergences entre les perspectives de politique monétaire des Etats-Unis et de la zone euro ont donné lieu des écarts de taux importants sur l’extrémité courte de la courbe. Par exemple, les taux des emprunts d’Etat à deux ans ont progressé depuis l’épisode de panique suscité par l’annonce de la réduction progressive du programme d’assouplissement quantitatif de la Fed (connu sous le nom de « taper tantrum ») en 2013 et cette tendance haussière s’est accélérée en 2015 à mesure que la probabilité d’une hausse des taux courts américains devenait de plus en plus forte. Le taux du Bund allemand à deux ans, déjà négatif au début de l’année 2015, s’est replié encore plus bas en territoire négatif dès lors que le marché a anticipé l’adoption de nouvelles mesures d’assouplissement et de relance. Cela signifie que l’écart de taux entre le Bund à deux ans et le bon du Trésor à deux ans s’est creusé à 140 points de base en fin d’année, soit l’écart le plus important depuis la mi-2006.
La légère hausse des taux de la plupart des emprunts d’Etat s’est traduite par la réalisation de performances positives dans la mesure où les baisses de cours ont été plus que compensées par les rendements. Le marché des emprunts d’Etat allemands dans son ensemble a progressé de 0,3%, les Gilts ont gagné 0,6%, les bons du Trésor se sont inscrits en hausse de 0,8% et les emprunts d’Etat japonais ont progressé de 1,2%, une performance tout à fait respectable par rapport à bien d’autres classes d’actifs.
Toujours dans l’univers des emprunts d’Etat des marchés développés, nous avons assisté à un resserrement des écarts entre les taux des emprunts d’Etat des pays de la périphérie de l’Europe et des emprunts d’Etat allemands. L’écart de taux entre les emprunts d’Etat italiens à dix ans et le Bund à dix ans s’est ainsi resserré de 40 points de base, clôturant l’année en baisse de 30 points de base, à 1,6%. Cela a permis aux emprunts d’Etat italiens de signer, avec 4,8%, l’une des meilleures performances de 2015. Les emprunts d’Etat portugais ne sont pas très loin derrière avec une performance de 3,9%. Les emprunts d’Etat espagnols et irlandais ont également produit des performances supérieures à la moyenne, de 1,7%. Parmi les marchés de la dette souveraine de l’Europe périphérique, la Grèce a signé la meilleure performance de loin. Avec une progression de 21,5%, les emprunts d’Etat helléniques ont d’ailleurs signé l’une des meilleures performances de l’univers obligataire en 2015. La réalisation de cette performance n’a toutefois pas été de tout repos : après s’être replié de 58 à 30 entre le début de l’année et l’été, le prix moyen de la dette grecque a rebondi pour atteindre 67 en fin d’année.
L’année 2015 a été marquée par un écartement des spreads sur la plupart des marchés, malgré les interventions de la BCE, qui ont permis de soutenir les cours des actifs européens, et malgré un contexte économique intérieur assez porteur pour les actifs américains. Les écartements de spreads se sont révélés relativement limités sur le segment de la dette « investment grade » sur l’année. Les spreads ne se sont toutefois pas maintenus à leur niveau le plus faible atteint au premier trimestre. Ainsi, le spread entre les obligations américaines notées BBB et les bons du Trésor s’est creusé de 43 points de base, de 198 à 241, après avoir atteint un point bas de 175 points de base en mars. L’écartement des spreads s’explique sans aucun doute par les volumes d’émission record observés aux Etats-Unis liés à l’activité sur le marché des fusions – acquisitions et sur la volonté des entreprises d’anticiper la Fed et de profiter des taux faibles pour se financer à bas coût. Les obligations « investment grade » ont produit des performances assez décevants : les marchés des obligations IG libellées en euros et en dollars ont reculé de 0,4% et 0,6% respectivement, tandis que le marché des obligations IG libellées en livres sterling progressait de 0,6%. Au sein de l’univers de la dette IG, les obligations émises par des établissements financiers ont surperformé les obligations d’entreprises, tandis que les obligations financières subordonnées ont surperformé la dette senior. La dette IG de second rang (Tier 2) libellée en livres sterling a ainsi produit une performances de 3,1%, tandis que les obligations IG Tier 2 libellées en euros gagnaient 1,6%. En ce qui concerne les rangs inférieurs de la structure de capital, la dette bancaire IG Tier 1 libellée en livres sterling a signé l’une des meilleures performances, dégageant une performance de 5,2%. Il convient toutefois de préciser que le secteur bancaire est très restreint puisqu’il ne compte que dix obligations.
La baisse continue des cours du pétrole et des autres matières premières a produit ses pleins effets sur les marchés du haut rendement. L’impact a été d’autant plus marqué aux Etats-Unis du fait de l’exposition de près de 20% de l’indice aux secteurs de l’énergie, des métaux et minier (indices Bank of America Merrill Lynch) au début de l’année 2015. Avec une baisse de 4,6% sur l’année, l’indice du haut rendement libellé en dollars a signé l’une des moins bonnes performances parmi toutes les classes d’actifs composant l’univers obligataire. Il apparaît clairement que les secteurs de l’acier, de l’énergie, des métaux et minier ont pesé sur la performance de l’indice. L’année a été particulièrement mauvaise pour ces secteurs, en recul de 20,7%, 23,6% et 26,2% respectivement. Cela a valu à l’indice de remporter le titre peu honorifique d’indice obligataire le moins performant de l’année 2015.
Enfin, comme l’an dernier, les emprunts d’Etat des marchés émergents ont occupé concomitamment la première place et l’une des dernières places de notre classement 2015. Cela souligne le caractère idiosyncrasique des risques liés à cette classe d’actifs et montre que les marchés émergents ne sauraient être considérés comme formant une seule et même entité. Pour une analyse exhaustive des performances des classes d’actifs constituant l’univers obligataire des marchés émergents en 2015 et pour les prévisions de performances pour l’année 2016, nous vous invitons à lire le prochain blog de Claudia, qui devrait paraître bientôt.