La réponse courte serait non. Dans un article du blog (voir ici), Eric Lonergan a déjà réfuté l’idée que les banques centrales avaient épuisé leurs marges de manœuvre. Depuis, le marché est de plus en plus convaincu que la Banque centrale européenne (BCE) fera baisser davantage son taux de dépôt en territoire négatif lors de sa réunion de demain, et il a raison d’y croire. L’inflation et la croissance seront inférieures à ce que la banque prévoyait il y a trois mois à peine et les anticipations d’inflation décrochent elles aussi.
Cela ne signifie pas pour autant qu’un nouvel assouplissement de la politique n’entraînera pas de détérioration de la situation. En réalité, bon nombre des problèmes qui freinent la zone euro sont de nature structurelle et la BCE le sait fort bien. De mémoire, nous n’avons pas souvenir d’une conférence de presse durant laquelle Mario Draghi aurait omis de mentionner la nécessité de s’attaquer à ces problèmes. Est-ce vraiment surprenant lorsque l’on sait que l’unique représentant de la zone euro dans les 20 premiers pays de l’Indice de facilité de faire des affaires de la Banque mondiale est la Lituanie ? Il n’est pas plaisant de constater que la France se classe 27e, l’Espagne 33e, l’Italie 45e et la Grèce 60e de cet indice.
La BCE est tout à fait consciente du risque moral qu’elle crée en ne s’attaquant aux difficultés de la zone euro que par le circuit monétaire. Pourtant, bien que sa seule mission soit d’atteindre un objectif d’inflation aussi proche que possible de 2 %, elle se retrouve à nouveau confrontée à la difficile tâche d’avoir à faire le plus gros du travail. Jeudi, elle décidera probablement d’un abaissement hiérarchisé du taux de rémunération des dépôts pour tenter de résoudre certains des problèmes auxquels le système bancaire est confronté (voir le blog de Mario) ainsi que d’une extension du programme de rachat d’actifs (programme d’assouplissement quantitatif) – tant en termes d’ampleur que de durée. Nous pourrions même observer une volonté accrue de racheter certaines obligations d’entreprises – même si la majeure partie du Conseil des gouverneurs considère qu’il s’agit là d’un pas de trop.
Toutefois, la réalité est que pour se redynamiser, la zone euro a grand besoin d’un accroissement de la productivité et de plus d’innovations. Une réforme radicale des régimes de faillite hérités du passé est nécessaire, la bureaucratie tatillonne doit être balayée et le système bancaire doit admettre d’avantage de pertes sur ses prêts qui n’ont pas encore tété provisionnés. Ces changements ne sont pas faciles à opérer, ne serait-ce que parce qu’ils imposent certains sacrifices à court terme dont les politiciens tireront rarement avantage à long terme.
Prenons le cas de l’Italie. Depuis la crise financière mondiale, le marché du logement italien a perdu près de 19 % de sa valeur par rapport à son pic. Combinée aux récessions qui ont fait tomber le PIB italien à un niveau inférieur de 10 % environ à ce qu’il était en 2008 et à la hausse du chômage à près de 12 %, cette situation a contribué à créer un volume important (d’environ 200 milliards d’euros) de prêts non productifs en Italie, les ménages et les entreprises ayant des difficultés à honorer le service de leur dette.
Contrairement à d’autres pays périphériques de la zone euro, comme le Portugal et l’Espagne, l’Italie a mis du temps à restructurer ses banques et à s’attaquer au problème, d’où de nombreux prêts non productifs qui restent inscrits aux bilans des banques. Le système bancaire italien est par conséquent considéré comme fragile et l’on a récemment observé une vague de faillites de banques de premier plan qui ont nécessité des « renflouements internes ». Conscientes de la situation, les autorités italiennes viennent de mettre en place un mécanisme pour créer des sociétés de gestion d’actifs qui s’efforceront ensuite de titriser ces prêts non productifs, ce qui réduira – en théorie – le bilan des banques et leur offrira une plus grande marge de manœuvre pour prêter à l’économie dans son ensemble. Ce mécanisme venant tout juste d’être mis en place, nous allons devoir attendre pour savoir s’il peut générer l’effet escompté.
En l’absence d’autres changements structurels, nous sommes convaincus que la zone euro peinera du fait d’une croissance potentielle plus faible et aura des difficultés à encourager l’investissement compte tenu de la nécessité d’offrir un taux de rendement du capital attractif. Certes, la BCE peut vraisemblablement abaisser davantage les taux sans risque, organiser une dépréciation de l’euro et fournir davantage de liquidités au système bancaire. Toutes ces interventions peuvent apporter un soutien à court terme. Mais sans réforme réelle, le marché craindra de plus en plus qu’elle n’ait atteint les limites de la politique monétaire. Viendra alors le moment où les conséquences seront importantes si le marché n’arrive pas à se convaincre du contraire.
Les derniers mois ont été difficiles pour tous les actifs risqués, y compris les marchés du haut rendement. Le plus faible d’entre tous a été le marché américain qui a perdu près de 10 % l’an dernier. Durant cette correction, les spreads se sont considérablement élargis et ceux des obligations américaines à haut rendement ont pratiquement atteint 900 pb au-dessus des treasuries. Les rendements ont par ailleurs brièvement dépassé les 10 % au cours du mois dernier.
Les ventes massives et très commentées d’obligations du secteur de l’énergie sont à l’origine de cette situation. La dispersion des performances a été considérable au sein du marché. On notera avec intérêt que malgré une baisse de plus de 10 % en janvier et février, la faiblesse des bancaires subordonnées (l’indice AT1/COCO a perdu 3 % sur l’année au 23 février) a été éclipsée par la chute d’environ 37 % des obligations américaines du secteur de l’énergie durant la même période. Compte tenu du renforcement des prévisions de nouveaux défauts de paiement, il a été essentiel de savoir choisir les bons secteurs l’an dernier.
On observe aujourd’hui un élargissement des spreads, des craintes à l’égard d’un ralentissement généralisé de la croissance et de profondes inquiétudes concernant la destruction de capital dans un segment majeur du marché. L’heure semble-t-elle mal choisie pour investir sur cette catégorie d’actifs ? Peut-être pas.
Pourquoi cette réponse ? Tout d’abord, dressons tout d’abord quelques parallèles intéressants avec le marché du HY en 2001. Des similitudes existent et donnent l’impression que la situation actuelle fait écho au marché obligataire passé.
- Pour l’heure, les inquiétudes se focalisent sur un secteur. En 2001, il s’agissait de l’éclatement de la bulle des TMT et des répercussions d’investissements inconsidérés des entreprises de télécommunication, financés par un marché HY surexcité. Cette situation a entraîné une flambée des défauts de paiement et quelques années douloureuses pour les créanciers. Aujourd’hui, l’éclatement de la bulle des prix des matières premières résulte d’investissements inconsidérés des entreprises énergétiques financés par un marché HY tout aussi surexcité.
- Du fait de ces investissements excessifs des entreprises et du manque de rigueur dans leur structuration de dette, certains ont redouté que cela ait une incidence préjudiciable sur la croissance de l’économie dans son ensemble. Les craintes de récession étaient intégrées dans les primes de risque vers la fin des années 2000, tout comme elles le sont aujourd’hui.
- La correction initiale des spreads s’est produite assez brusquement durant l’année 2000, mais ceux-ci sont restés durablement élevés. Ainsi, les primes de risque ne se sont pas rapidement réduites. Ceci est important, car contrairement aux cycles que nous avons connus en 2009 et 2011 – durant lesquels le resserrement rapide des spreads a été favorisé par des interventions des pouvoirs publics et des banques centrales, la capacité des décideurs à engager le même type d’interventions apparaît aujourd’hui moins visible. Ils semblent disposer d’outils beaucoup moins nombreux à l’heure actuelle. Si nous entrons dans un cycle d’affaiblissement du marché, il y a de grandes chances qu’il dure cette fois-ci un certain temps, comme ce fut le cas au début des années 2000.
Le point intéressant est qu’investir sur des émissions à haut rendement alors que les spreads ont atteint près de 900 pb n’est pas nécessairement un mauvais pari, même au début d’un cycle prolongé de défauts de paiement. Une entrée sur le marché le 1er janvier 2001 a généré une performance de 45 % sur quatre ans (n’oublions pas que les taux de défaut de paiement et les spreads ont atteint leur pic un an plus tard).
En outre, une sélection judicieuse des secteurs a beaucoup contribué à la valorisation des portefeuilles. L’investisseur qui a acheté le marché sans s’exposer aux télécommunications a non seulement enregistré une performance régulièrement positive, mais également une performance totale d’environ 60 % sur quatre ans, soit supérieure de 15 % à la moyenne du marché.
Il convient de noter que ce type de performances n’a été possible que grâce à une contraction significative des spreads en 2003 et 2004 – laquelle a généré des gains en capital qui sont venus s’ajouter aux revenus élevés des coupons.
« Investir de façon précoce » alors que les spreads ont d’abord commencé par s’élargir n’a néanmoins pas été préjudiciable. Il en résulte que même si nous connaissons un cycle prolongé de défauts de paiement, pour un investisseur patient capable de supporter quelques chocs et à-coups et de prendre les bons paris sectoriels, les opportunités de performance globale du marché du haut rendement semblent attractives.
En 2015, nous avons assisté à l’effondrement des primes de risque d’inflation à l’échelle du globe, notamment dans les pays développés. Les taux d’inflation annuels aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe ont été nuls ou proches de zéro pendant la majeure partie de l’année, avec de nombreux pics négatifs. Les points morts d’inflation à court terme sont par conséquent tombés à des niveaux très bas, dernièrement observés pendant la crise financière (à vrai dire, pour être exact, ils sont descendus nettement plus bas à cette période, mais affichent toujours des niveaux de crise aujourd’hui), et les prix des obligations dans de vastes parties du monde ont été soutenus par la faible inflation et par le contexte de stagnation prolongée.
Rétrospectivement, si l’on considère les chiffres de l’inflation publiés il y a trois mois (octobre 2015), l’IPC aux États-Unis s’élevait à 0,1 % en glissement annuel. L’objectif d’inflation de la Réserve fédérale américaine (Fed) à 2 % (pour le PCE à savoir l’indice des dépenses de consommation personnelle– voir mon récent blog) affichait 0,2 %. Le spectre de la déflation régnait alors du fait de la dégringolade constante des prix de l’énergie et des matières premières, des craintes d’un atterrissage brutal en Chine et du cycle imminent de relèvement des taux d’intérêt et de la vigueur (associée) du dollar US. L’année 2016 a ainsi débuté par sous le signe de facteurs déflationnistes : nouvelle décrue du pétrole (où pour la seconde année consécutive une réduction de moitié des cours connus auparavant devient probable), craintes d’une nouvelle dévaluation chinoise et inquiétudes croissantes quant à l’entrée des États-Unis en franche récession. Du fait de ces rumeurs déflationnistes, les points morts d’inflation à 5 ans ont atteint des creux à des niveaux d’après crise de 0,95 % début février.
Toutefois, les perspectives d’inflation semblent avoir changé au cours des derniers mois. L’IPC se situe désormais à 1,4 % et le PCE Core à 1,7 % (non loin des 2 % souhaités), soit un chiffre déjà supérieur au niveau du pic prévu par la Fed pour la fin 2016.
Les facteurs inflationnistes se multiplient rapidement. Selon les statistiques récentes, les prix des marchandises, malgré la vigueur du dollar, sont maintenant en hausse. En outre, les éléments « rigides » de l’inflation, les services en particulier, connaissent également une remontée des prix, actuellement à 2,5 %. Les coûts des loyers représentent toujours une source d’augmentation des prix et, fait intéressant, les frais médicaux repartent désormais à la hausse après une période de stagnation au début de l’entrée en vigueur d’Obamacare.
Certes, les coûts de l’énergie restent un handicap (et février va s’avérer plus défavorable que janvier à ce égard), mais d’ici quelques mois (sous réserve d’une stabilisation des cours pétroliers aux niveaux actuels), les effets de base défavorables vont progressivement disparaître. Le regain d’inflation aux États-Unis va alors dépasser celui observé en Europe ou au Royaume-Uni. Par ailleurs, le marché du travail américain est plus tendu que dans les autres pays du monde et les salaires commencent à évoluer comme si le taux de chômage non inflationniste était atteint.
Il y a trois mois, l’inflation était plus proche de zéro que de l’objectif. Aujourd’hui, c’est l’inverse et la tendance est à la hausse. Le marché obligataire en a pris bonne note, de toute évidence. Comme le montre le graphique ci-dessus, les points morts d’inflation à 5 ans aux États-Unis ont progressé d’environ 40 points de base au cours des trois dernières semaines, tout comme les points morts d’inflation à 5 ans au Royaume-Uni. La situation dépend en grande partie des cours pétroliers à court terme, mais si les chiffres de l’inflation continuent de se rapprocher de leur objectif, il me semble probable que les points morts d’inflation peuvent augmenter davantage, et ce de manière significative.