Tôt ce matin le secteur obligataire a fait l’objet de variations importantes puisque les marchés financiers avaient clairement misé sur un maintien des britanniques au sein de l’Union, conformément aux derniers sondages et surtout aux prévisions des bookmakers qui avaient nettement privilégié ce résultat. Mais les fluctuations les plus significatives se sont produites sur le marché des changes puisque la livre sterling a chuté face au dollar (1,36 contre 1,50 hier), son niveau le plus faible depuis 1985. Le dollar a rebondi de près de 3 % mais le grand vainqueur de ce scénario, qui fait la part belle à l’aversion au risque, est le yen, qui s’est apprécié de 3,6 % face au dollar. L’euro a été affaibli par le résultat du référendum puisque l’Union européenne est en train d’intégrer ses répercussions économiques et politiques : la croissance européenne va-t-elle être affectée ? les autres membres de l’Union vont-ils organiser à leur tour des référendums ? Que va-t-il advenir des pays périphériques et du secteur bancaire ? La monnaie unique a abandonné 3 % face au billet vert. Dans ce contexte d’aversion au risque, les devises émergentes ont également été durement touchées. Le peso mexicain, par exemple, a décroché de 6 %.
Au sein de l’univers obligataire, l’emprunt d’État américain à 10 ans a progressé de 25 points de base (plus de 2 points de pourcentage) depuis hier, et le Bund à 10 ans s’est replié brutalement en territoire négatif puisqu’il se négocie désormais à un niveau historiquement bas de -15 pb. Ces mouvements font suite à la correction des emprunts d’État lors de la séance d’hier, en prévision d’un vote favorable au maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. Les Gilts vont également rebondir au moment de l’ouverture du marché britannique à 8h00, et tous les regards sont tournés vers la Banque d’Angleterre (BoE) qui s’est engagée à injecter d’abondantes liquidités dans le secteur financier. Je n’exclus par une baisse des taux de la part de la BoE en fin de matinée, peut-être de 0,5 % à 0 % (même si une telle décision provoquerait vraisemblablement une dépréciation supplémentaire de la livre sterling). Une possible dégradation de la note de crédit du Royaume-Uni a été signalée en amont en cas de sortie, incident que les marchés ont historiquement rarement sanctionné s’agissant des emprunts d’État les mieux notés (comme ce fut le cas pour les États-Unis après la perte de leur AAA). Un pays qui frappe sa propre monnaie a peu de chances de se retrouver en défaut de paiement.
Les émissions les plus sanctionnées au sein du secteur obligataire sont les plus risquées. Les emprunts d’État du gouvernement italien et d’autres pays périphériques commencent à sous-performer à mesure que les inquiétudes autour d’une implosion de l’Union Européenne se précisent. Les emprunts d’État italiens et espagnols à 10 ans ont augmenté de 30 pb depuis ce matin. Les spreads des émissions financières senior des pays périphériques se sont élargies de près de 60 pb, tandis que leurs équivalents en termes de dette subordonnée ont enregistré un élargissement pouvant aller jusqu’à 130 pb. Les titres du secteur bancaire dans son ensemble, même au sein des pays du cœur de l’Europe, sous-performent également par rapport aux obligations d’entreprises classiques. Les spreads de la dette bancaire senior se sont élargis de 50 pb, et ceux de la dette subordonnée de 100 pb. L’élargissement des spreads des obligations d’entreprises oscille entre 20 et 80 pb. Des rumeurs font état de vagues d’achat par les investisseurs institutionnels compte tenu de la faiblesse des cours, bien que nous n’ayons pas observé d’activité particulière sur le marché depuis ce matin. Les obligations émergentes se sont toutes nettement dépréciées. La dette turque libellée en dollar a perdu 2 points de pourcentage, celle de l’Afrique du Sud 3 points et celle de la Hongrie 6 points. À l’ouverture, le segment du haut rendement a fortement chuté, le spread de l’indice Crossover s’étant élargi de 120 pb à un moment donné. Il a depuis effacé une partie de ses pertes puisque l’élargissement du spread n’est « plus » que de 80 pb.
D’un point de vue fondamental, la correction des actifs risqués offre des opportunités d’entrée pour les investisseurs à long terme. Les marchés du crédit avaient déjà intégré un taux de défaut bien plus élevé que ce que nous imaginions, et les fluctuations observées aujourd’hui augmentent la surcompensation du risque de défaut. Toutefois, compte tenu des niveaux de liquidité vraisemblablement faibles aujourd’hui (et sans doute pendant encore plusieurs jours le temps que les conséquences du référendum se précisent), les opportunités intéressantes ne devraient pas être légion.
Qu’en est-il de l’économie ? 90 % des économistes considéraient qu’une sortie de l’Union européenne serait défavorable au Royaume-Uni. Certains pensent même que les incertitudes qui ont précédé le vote ont gommé 50 pb de la croissance du PIB britannique. Les projets d’investissement de la part des entreprises devraient certainement être reportés, et les ménages pourraient désormais se montrer plus prudents. L’hypothèse d’une récession ne peut être écartée. Les perspectives de croissance étant désormais revues à la baisse à l’échelle mondiale, nous nous attendons à ce que la Réserve fédérale américaine adopte une attitude attentiste et ne prévoit aucune hausse de ses taux d’intérêt dans un avenir proche. L’inflation au Royaume-Uni est une autre affaire. Une dépréciation de cette ampleur pour la livre sterling va entraîner une hausse de la valeur des importations. Après avoir maintenu son taux d’inflation en-deçà de son objectif pendant de nombreuses années, celui-ci devrait dépasser le seuil des 2 %. Mais dans l’intérêt de la croissance et de la stabilité financière, cela ne devrait pas susciter de réponse de la part de la Banque d’Angleterre : comme nous l’indiquions plus haut, une baisse des taux a plus de chances de se produire dans un premier temps.
Pour finir, je voudrais faire part de mon indignation quant à l’absence de commerces ouverts vendant du café sur Cannon Street à 6h00 ce matin.
Au cours des derniers jours et des dernières semaines, alors que les probabilités d’un vote en faveur de la sortie de l’Union Européenne (UE) sont passées d’une lointaine éventualité à quelque chose de moins improbable, les participants de marché ont consacré de plus en plus de temps à se demander comment ils devaient se positionner par rapport au résultat de ce vote, à leur indice de référence, à leur groupe de comparaison, ou à leur budget de risque. Les violentes variations constatées au cours des dernières séances de négociation montrent assez clairement que beaucoup de participants n’étaient pas satisfaits de leur positionnement, ni de leur exposition de risque en amont du référendum. En témoigne la période assez évidente de volatilité et d’aversion au risque qui s’est traduite par des ventes d’obligations d’entreprises et par des achats massifs d’emprunts d’Etat.
Il y a quelques semaines encore, les investisseurs en crédit se bousculaient au portillon pour pouvoir placer des montants raisonnables sur les nouvelles obligations de taille significative émises par des sociétés « investment grade ». Quelques semaines plus tard, si l’on en croit la remontée des spreads de crédit observée au cours des dernières séances, il n’y a plus de nouvelles émissions et les vendeurs de ces obligations jusque-là tant recherchées semblent être bien plus nombreux que les acheteurs. L’explication est simple : plus la probabilité d’un Brexit augmente, plus les investisseurs se sentent obligés de réduire leur niveau de risque et vendent des obligations d’entreprises.
Faisons-nous un instant l’avocat du diable, et imaginons qu’un gérant de portefeuille ait vendu du risque de crédit et accumulé de la trésorerie en amont du vote de la semaine prochaine. Le gérant de portefeuille pavoise en ce moment car l’aversion au risque a augmenté, ce qui a entraîné une augmentation des spreads de crédit. Toutefois, le résultat du référendum est binaire : soit la Grande-Bretagne choisit de quitter l’UE, soit elle décide d’y rester. Si le vote aboutit à un maintien dans l’UE, alors nous pouvons raisonnablement espérer une inversion significative du mouvement d’élargissement des spreads que nous avons observé depuis l’émergence des craintes suscitées par une éventuelle victoire des partisans de la sortie.
Si cela s’avère correct, notre gérant de portefeuille imaginaire est sous-investi en obligations d’entreprises et le risque de crédit qu’il ou elle a vendu devra maintenant être racheté, potentiellement à des niveaux plus onéreux. En cas de vote en faveur de la sortie, et même si les spreads ne se compriment pas, le gérant de portefeuille devra payer la fourchette achat-vente en vigueur pour remplacer les obligations qui ont été vendues.
En d’autres termes, ceux qui vendent actuellement du risque de crédit sont en train d’anticiper un vote en faveur d’une sortie de l’UE. Cette décision sera bénéfique à la valeur du portefeuille en cas d’augmentation des spreads, de hausse de la probabilité d’une sortie, et dans le cas où le référendum aboutit effectivement à une sortie (du moins pour une certaine période de temps, qu’elle soit longue ou courte). Mais ce choix sera perdant en cas de majorité pour un maintien dans l’UE. Ce choix induit en outre un surcroit de frais pour le portefeuille.
Réfléchissons maintenant à ce qu’il conviendrait de faire en matière de positionnement en terme de duration dans la perspective de ce vote. Cette question est selon moi encore plus délicate que celle portant sur le risque de crédit. Dans quelle direction les taux des emprunts d’Etat britanniques vont-ils aller en cas de victoire des partisans de la sortie ? D’un côté, la période d’incertitude économique qui en résulterait pourrait aboutir à une chute de la croissance et de l’inflation, ce qui plaide clairement en faveur de nouvelles baisses des taux des emprunts d’Etat. D’un autre côté, les investisseurs internationaux détiennent actuellement plus d’un tiers du marché de la dette souveraine britannique. Que se passerait-il si ces investisseurs décidaient de ne plus détenir de livres sterling, ou de réduire leur exposition à la devise britannique ? Même si mon intuition me porte à croire que la réponse immédiate et instinctive à un Brexit serait un affaiblissement de la livre sterling et une poursuite de la baisse des rendements obligataires, combien de temps cela pourrait-il durer ? Pourrions-nous terminer la journée avec des rendements plus élevés des gilts et une livre sterling inchangée ? Dans tous les cas, le sens dans lequel les rendements des gilts vont aller me parait très incertain. Cela rend extrêmement délicates les opérations de couverture et de positionnement en duration vis-à-vis du référendum.
À mon avis, du point de vue du positionnement en duration, être exposé à des points morts d’inflation de maturité courte est la façon la plus prudente de passer cette période référendaire. Premièrement, si vous pensez que la livre sterling est susceptible de baisser, alors vous devriez vous exposer aux obligations indexées sur l’inflation. Du fait de l’inflation importée, on devrait dans ce cas observer une hausse des anticipations d’inflation, en particulier sur la partie courte de la courbe. Cela viendrait soutenir la valorisation relative des obligations indexées par rapport aux obligations à taux fixe. En d’autres termes, dans le cas où la livre sterling baisserait, les points morts d’inflation sur les maturités courtes devraient progresser. Deuxièmement, en mettant de côté la devise, si les taux augmentaient (en cas de victoire des partisans de la sortie, les vendeurs internationaux de gilts seraient nombreux, et en cas de maintien dans l’UE, l’appétit pour le risque reviendrait et des hausses de taux seraient anticipées), alors on pourrait s’attendre à une augmentation des points morts d’inflation. Dans ce scénario également, les obligations indexées sur l’inflation devraient surperformer les obligations nominales.
D’un autre côté, si les taux baissaient (ce qui est le scénario le plus probable en cas de vote en faveur de la sortie du fait de l’aversion au risque), alors les points morts d’inflation baisseraient également et les obligations indexées sous-performeraient les titres à taux fixe. Mais au moins, détenir des obligations indexées permet d’être convenablement exposé aux rendements nominaux. Dans le cas d’une victoire des partisans de la sortie, il est difficile d’élaborer un scénario dans lequel les rendements nominaux se redresseraient fortement et les prix des obligations indexées baisseraient (ce scénario serait celui d’un effondrement massif des craintes d’inflation. Ce cas de figure n’est certes pas impossible, mais quand même peu probable).
Etant donné le caractère binaire du référendum : soit un maintien soit une sortie de l’UE, (quelle est la probabilité d’un 50/50 et qu’adviendrait-il alors ?), je pense que la meilleure façon de se positionner en termes de duration, aussi bien en amont du vote, à l’annonce des résultats, que pour leurs conséquences ultérieures, consiste à détenir des obligations indexées sur l’inflation de maturité courte. Ce n’est pas binaire, car s’exposer aux points morts signifie que vous êtes positionnés en faveur d’une hausse de l’inflation. Si les points morts diminuent après le vote et que les rendements nominaux baissent, vous êtes toujours exposés aux taux fixes et vous devriez voir le prix de vos obligations progresser.
Si la livre sterling s’affaiblit à l’annonce du résultat des élections, alors l’inflation importée se traduira par une hausse des anticipations d’inflation. Et si la livre sterling ne recule pas après le résultat, elle est toujours sur une trajectoire baissière depuis novembre dernier, ce qui devrait se répercuter sur les prix au détail. En outre, le profond déficit du compte courant laisse penser, d’un point de vue fondamental, que la livre sterling devrait encore corriger à moyen terme.
Enfin, il existe un certain nombre de raisons de préférer les obligations indexées de maturité courte. Premièrement, les points morts d’inflation sur la partie courte sont les moins chers de la courbe. Deuxièmement, la partie courte de la courbe des obligations indexées est davantage susceptible de refléter les surprises d’inflation et les chiffres d’inflation réalisée (comme les effets de base liés au pétrole, la faiblesse de la livre sterling, ou la croissance des salaires, indicateurs qui seraient alors intégrés dans le prix des obligations). Enfin, comme les rendements des gilts ont atteint des points bas historiques, il est prudent à ce stade de maintenir un risque de taux d’intérêt à un niveau relativement faible.
J’ai assisté à une conférence la semaine dernière où le dénigrement envers la BCE a atteint des sommets. Je vous résume les arguments présentés à cette occasion :
« La BCE a perdu la boussole. La politique monétaire est devenue impuissante. La BCE a atteint la borne inférieure de sa politique de taux d’intérêt et la loi des rendements décroissants ne fait qu’accroitre les allocations sous-efficientes de capitaux, punissant les épargnants et récompensant la spéculation. Dans le même temps, l’institution monétaire est en train de perdre sa crédibilité auprès des marchés et du grand public. En outre, la volonté de la BCE d’apaiser les marchés ne sert qu’à relâcher la pression en faveur des nécessaires réformes structurelles. »
Selon moi, l’argument de rendements décroissants peut être recevable. Il semble que chacun des nouveaux programmes d’assouplissement quantitatif du FOMC a eu une incidence moindre que son prédécesseur sur les rendements des obligations de long terme, un indicateur clé de ce type de programmes. Mais le marché a dû reconnaître que la borne inférieure de la politique monétaire n’était pas zéro : les rendements à 2 ans de l’Allemagne, de la France, de l’Italie, de l’Espagne, de la Suède, des Pays-Bas, de la Suisse et du Japon se situent tous bien en-dessous de zéro. Et la BCE a montré qu’elle disposait encore de marge de manœuvre pour faire croître son bilan via un nouvel élargissement de ses mesures non conventionnelles. N’oublions pas que la BCE a pour l’heure fait beaucoup moins que la Réserve fédérale américaine, la Banque du Japon ou la Banque d’Angleterre. Cela peut expliquer pourquoi la reprise de la zone euro accuse un retard par rapport aux autres grandes économies.
Je pense que la BCE aurait dû mettre en place une relance monétaire de plus grande ampleur afin de soutenir l’économie de la zone euro, et qu’elle aurait dû agir plus tôt pour atteindre son unique objectif de stabilité des prix. La BCE espérait que les économies moins compétitives de la zone euro poursuivraient leurs efforts en faveur des réformes structurelles afin de devenir plus compétitives sur le marché international. Cet espoir a été douché. Alors que les pays très endettés de la zone euro avaient pris certaines mesures, il est maintenant clair que la BCE aurait dû davantage craindre les taux élevés de chômage, l’endettement croissant des secteurs public et privé, ainsi que la chute de la consommation des ménages. Ironie du sort, la BCE disposait de l’ensemble des outils monétaires qui lui aurait permis d’aider plus tôt une économie de la zone euro moribonde. Pour ceux d’entre nous qui ne siègent pas au conseil des gouverneurs de la BCE, il semble que la cette dernière ait constamment et volontairement mis en œuvre une politique monétaire restrictive dans le but d’éviter l’aléa moral des marchés financiers. Elle a agi de la sorte au détriment de l’économie réelle et en échouant dans son objectif principal : un taux d’inflation inférieur à, mais proche de 2 %.
Bien sûr, la BCE n’a pas été lancée dans les meilleures conditions. Une union monétaire passée entre des économies disparates et dépourvue de budget commun est au mieux une union fragile. La croissance continue de l’excédent du compte courant allemand, indicateur souvent négligé, constitue la principale fragilité de la zone euro. L’excédent du compte courant de l’Allemagne représente quasiment 9 % de son PIB. C’est en violation avec la Procédure de Déséquilibre Macroéconomique de la Commission Européenne, qui limite les excédents à 6 % du PIB. Martin Wolf du Financial Times a qualifié l’Allemagne de « plus gros problème de la zone euro ». L’Allemagne peut désormais emprunter à des taux négatifs ou proches de zéro. Pourtant, l’investissement public en Allemagne est le deuxième plus faible des pays de l’OCDE (à seulement 1,5 % du PIB), tandis que l’investissement public net est resté négatif depuis 2003. Comme nous l’avons souligné précédemment, l’Europe a besoin d’un plan de relance budgétaire allemand, mais ne parvient pas à l’obtenir.
En tant que plus grande économie et plus grand créancier de la zone euro, l’Allemagne a été un fervent partisan des excédents budgétaires en zone euro. Afin d’obtenir les fonds nécessaires pour assurer des niveaux élevés d’endettement, des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou l’Irlande ont tenté de transformer leurs déficits budgétaires abyssaux en excédents. Pour atteindre cet objectif, les gouvernements ont dû mettre en place de sévères mesures d’austérité, encourageant l’épargne plutôt que l’investissement. Tandis que l’Allemagne bénéficiait d’un faible taux de chômage, de hausses de salaires, d’une croissance des prix de l’immobilier et d’une monnaie bon marché, les économies du Sud de l’Europe se sont embourbées dans la stagnation économique, la récession, voire la dépression.
Résoudre les problèmes de la zone euro ne peut se faire sans traiter ces fragilités fondamentales. Au bout du compte, d’importants transferts budgétaires des pays du nord en faveur du sud, et une inflation significativement plus élevée en Allemagne seront nécessaires. Dans le cas contraire, les économies européennes les plus fragiles devront encore se résoudre à de nombreuses années de chômage de masse.
Près de dix ans après le début de la crise financière de 2008, une véritable solution ne semble pas à porter de main. Jusqu’à ce que les politiciens acceptent, ou plus probablement soient forcés, de prendre certaines décisions difficiles, la BCE devra continuer de porter le fardeau et d’agir de facto comme le régulateur budgétaire de la zone euro. Les critiques envers ses actions vont donc se poursuivre.
Le dernier rapport sur l’emploi aux États-Unis nous a laissés quelque peu perplexes. Le chiffre de 38 000 créations d’emplois en mai (contre 160 000 attendues) a déçu le marché ; suite à quoi les taux des emprunts d’État américains ont baissé et la plupart des économistes ont estimé qu’un relèvement des taux en juin/juillet n’était plus à l’ordre du jour. La baisse à 62,6 % du taux de participation à la population active a conduit le taux de chômage à tomber à 4,7 %, son plus bas niveau depuis 2007, tandis que le revenu horaire moyen a augmenté de 2,5 % en année glissante.
Il est bien connu que les rapports sur l’emploi américains (en particulier le chiffre des créations d’emplois) sont à prendre avec des pincettes dans la mesure où ils sont souvent l’objet d’importantes révisions et ont une marge d’erreur de près de 100 000 créations d’emplois. De plus, le bureau américain des statistiques du travail (« Bureau of Labor statistics ») estime que la grève chez Verizon longue de sept semaines a pesé de près de 35 000 postes dans les créations d’emplois. Ces postes pourraient ainsi bien être réintégrés dans les chiffres de l’emploi le mois prochain.
Bien sûr, ce n’est que pure spéculation. Toutefois, et contrairement à la plupart des autres réactions au rapport sur l’emploi, nous ne pensons pas que le FOMC s’inquiétera d’un ralentissement de l’économie américaine. Nous ne croyons pas non plus que le rapport sur l’emploi de mai soit le signe d’une possible entrée en récession des États-Unis. En utilisant le taux de chômage comme indicateur d’une possible récession, les États-Unis ne sont historiquement jamais entrés en récession tant que la moyenne mobile sur 3 mois n’a pas croisé la moyenne mobile sur 3 ans. Comme l’illustre le graphique, rien ne laisse apparaître la formation de cet indicateur de récession pour le moment.
Si l’économie américaine continue de croître, il pourrait dès lors y avoir une autre raison à la faiblesse décevante des créations d’emplois : l’économie pourrait en effet être proche du plein emploi (et comme un taux de chômage de 4,7 % tendrait à l’indiquer). Cela signifie que les employeurs éprouvent des difficultés à embaucher les salariés compétents pour les postes qu’ils ont à offrir. Si tel est bien le cas, on peut dès lors s’attendre à voir des mesures des coûts de la main-d’œuvre, telles que l’Indice du coût de l’emploi (actuellement à +2,4 % a/a), rapidement commencer à augmenter durant le reste de l’année 2016.
Le marché anticipe désormais un relèvement des taux en décembre (et non plus en juillet). Cela nous semble trop prudent. Comme Richard l’a précédemment indiqué, les marchés du travail se portent très bien et l’économie est probablement très proche du plein emploi. Compte tenu du décalage dans le temps avec lequel la politique monétaire fait ressentir ses effets, il est important que le FOMC réitère sa volonté de rendre progressivement moins accommodante sa politique. Autrement, il risque d’appuyer sur la pédale de frein trop tardivement.
Au début du mois d’avril, j’avais souligné certaines conséquences inattendues induites par les taux d’intérêt négatifs fixés par les banques centrales. J’avais aussi promis de mettre à jour le blog une fois que nous aurions identifié d’autres implications intéressantes, et j’avais également demandé aux lecteurs de nous soumettre quelques exemples. Merci à ceux qui ont pris le temps de nous contacter. Voici donc d’autres phénomènes intéressants qui se produisent quand la limite inférieure du zéro disparait, ainsi que des liens vers certaines réflexions théoriques à propos des taux négatifs.
- Dans le dernier article du blog, nous nous étions inquiétés de l’éventuelle incapacité des banques à transmettre les taux négatifs aux déposants (par crainte de fuite des dépôts) et à répercuter des taux plus bas aux emprunteurs, ce qui risquerait d’affaiblir la production de crédit. Dans les faits, bien que cela reste dans l’ensemble toujours d’actualité, nous avons observé quelques changements dans ce domaine. Le président de l’association des Sparkassen allemandes (caisses d’épargne), Goerg Fahrenschon, a déclaré que « l’ère de la gestion gratuite des comptes était terminée», et que les clients commerciaux allaient commencer à payer des pénalités liées aux taux d’intérêt négatifs. Les taux proposés aux ménages resteront cependant inchangés (du moins pour le moment). Les Sparkassen allemandes sont financées à hauteur de 74 % par des dépôts non-IFM (source du dossier : FAZ). En Espagne, le journal Cinco Dias rapporte que les banques locales facturent désormais des intérêts de 0,3 % sur les dépôts des grandes entreprises.
- Le directeur général d’UBS Sergio Ermotti a déclaré que l’environnement de taux négatifs obligeait l’ensemble de l’industrie à se poser la question suivante « souhaitons-nous toujours vraiment collecter les actifs des clients alors que cela coûte de l’argent aux banques, et que cela nous oblige à adosser ces actifs liquides à des montants de capitaux propres d’ampleur absurde ? ». Il a également indiqué que la banque avait relevé ses taux de prêt en raison du coût des taux négatifs de dépôt. (Source : WBP)
- Les banques centrales de la zone euro gagnent des millions d’euros grâce aux dépôts sur lesquels elles payaient auparavant des intérêts. Le Financial Times a par exemple indiqué que « la Banque Centrale d’Irlande avait gagné 28,5 millions d’euros sur les dépôts du gouvernement et des établissements de crédit ». Pour les plus grandes banques centrales européennes, les montants sont sans doute bien supérieurs. (Source : FT via Torben Hendricks)
- Le toujours très intéressant blog de la Banque d’Angleterre (intitulé « The Bank Underground ») , s’est exprimé à propos de l’impact des taux négatifs sur le marché des instruments dérivés. La détermination des prix des options de taux d’intérêt repose sur une norme de secteur, le modèle SABR. Ce modèle suppose que les taux ne peuvent pas descendre sous la barre du zéro. Fischer Black, qui a contribué à modéliser la valorisation des options, déclarait à l’époque : « le taux nominal de court terme ne peut pas être négatif ». Les modifications du modèle, imposées par des taux devenus négatifs, induisent désormais une plus grande incertitude des résultats, et par conséquent une augmentation des coûts de couverture. La nécessité de couvrir certains de ces risques, ainsi que d’autres risques induits par les ventes passées de produits structurés, peut avoir augmenté la demande d’obligations physiques, et avoir donc entraîné les rendements encore plus bas, accentuant par là même la volatilité.
- Pour faire face à la demande, le Ministère des Finances japonais est en train d’imprimer davantage de sa plus grosse coupure, le billet de 10 000 yens. La production va passer à 1,23 milliard de billets par an, contre 1,05 milliard en temps normal. Il est estimé que les liquidités détenues à domicile ont augmenté de 14 % au cours de la dernière année. Cela peut être dû en partie à des taux négatifs, mais pourrait également être la conséquence de l’introduction d’un nouveau système d’identification (système baptisé « Mon Numéro ») qui établit une passerelle entre les données fiscales et la sécurité sociale. (Source : Japan Times)
- Voici un lien vers la documentation d’une conférence qui a été organisée en 2015 par le Centre de Recherche sur les Politiques Economiques (« Centre for Economic Policy Research »). La conférence était intitulée « La suppression de la borne inférieure du zéro pour les taux d’intérêt» et comprenait non seulement des débats économiques, mais aussi l’examen des impacts en matière juridique et sur les systèmes de paiement.
- Ce lien permet d’accéder à un article publié en 2012 sur le blog « Liberty Street Economics » de la Fed de New-York, blog équivalent au « Bank Underground ». Cet article vaut le détour. Parmi les autres « perturbations » induites par un environnement de taux négatifs, l’article suggère que les grandes sociétés, qui détiennent trop de liquidités pour qu’il leur soit possible de les retirer physiquement des systèmes bancaires, pourraient innover dans le domaine financier. Les auteurs donnent l’exemple d’une banque spécialement créée qui dispose de coffres remplis d’argent liquide, et qui émet des chèques donnant accès à ces liquidités. À partir d’un certain niveau de taux négatif, il devient plus intéressant pour les entreprises de payer des commissions facturées par ce type d’établissements afin de disposer d’un chéquier adossé à des liquidités détenues en lieu sûr, que de garder leur argent dans le système bancaire traditionnel. Ils suggèrent également que les gens pourraient arrêter d’utiliser des chèques (même si vous essayez de payer quelqu’un rapidement, vous découvrirez peut-être que vous ne pouvez pas vous débarrasser aussi vite de vos liquidités). Dans une dernière belle citation, la Fed affirme que « l’ère des taux d’intérêt négatifs pourrait s’accompagner d’intenses innovations financières, innovations socialement improductives même si bénéfiques au plan individuel ».
N’hésitez pas à nous faire part dans la partie commentaires ci-dessous de comportements atypiques suscités par les taux négatifs (aussi bien dans les domaines économiques que de marché), ou bien de liens vers des travaux universitaires intéressants sur le sujet !