Les changements dans la liquidité du marché des obligations d’entreprises et les opportunités qu’ils créent

Contributeur invité – Chris Clemmow (négociateur, M&G Investments)

L’une des caractéristiques dominantes de ces dernières années a été la place de plus en plus importante des discussions au sujet de la liquidité des marchés et la tendance à la détérioration sur l’ensemble des marchés obligataires. Cela avait conduit de nombreux acteurs sur les marchés à s’interroger sur les implications en résultant en termes de stabilité et de volatilité des marchés.

Il est dès lors logique d’essayer de comprendre les facteurs à l’origine de ces tendances et les possibles pièges et opportunités qui les accompagnent pour les gérants actifs. En tant que personne expérimentée dans l’art d’essayer d’exécuter les diverses idées de transaction et stratégies qui ont été employées, j’espère pouvoir apporter un certain éclairage.

Traditionnellement, les marchés sont considérés comme liquides lorsque les investisseurs sont à même d’y négocier à peu de frais, sans perte de temps et au « prix de marché » actuel ou à un prix proche. De plus, il est important de noter la différence qui existe entre des conditions de marché normales, à savoir lorsque les marchés sont équilibrés (avec plus ou moins une même proportion d’acheteurs et de vendeurs) et des conditions de marché difficiles lorsque la direction des ordres est extrêmement déséquilibrée.

Savoir dans quelle mesure les marchés des obligations d’entreprises sont, ou ont jamais été, liquides selon la définition ci-dessus est une question qui mérite d’être posée pour plusieurs raisons. En l’occurrence, la nature relativement hétérogène de la classe d’actifs rend la négociation difficile dans la mesure où les émetteurs possèdent de nombreuses obligations existantes avec de très différentes caractéristiques et toutes étant cotées et négociées dans diverses quantités et logiques. Dans le même temps, la nature et l’ampleur de la base d’investisseurs sont souvent extrêmement variables avec de grands investisseurs institutionnels, pouvant souvent détenir des actifs pendant de longues périodes ou même jusqu’à l’échéance, qui représentent une part importante d’une émission, d’où des transactions inégales et peu fréquentes. Ce faisant, rapprocher les acheteurs et les vendeurs à tout moment sur le marché n’est généralement pas possible. C’est pourquoi, il est nécessaire d’utiliser des intermédiaires, c’est-à-dire des teneurs de marché ou contrepartistes qui, dans la plupart des cas, sont des banques, voire parfois des courtiers. Pour des obligations moins largement cotées, cela peut rendre la liquidité extrêmement dépendante des caprices de quelques négociateurs.

Si ces facteurs ont toujours été plus ou moins présents, il n’est toutefois pas exagéré de dire que la question de la liquidité et de sa possible dégradation est aujourd’hui particulièrement pertinente en raison de la forte croissance de la taille des marchés obligataires et de la tendance de la majorité des acteurs sur les marchés à s’imiter dans un sens ou dans un autre (créant ainsi des conditions de marché difficiles) à la suite des nombreuses crises socio-économiques et des interventions sans précédent des États et des banques centrales qui ont caractérisé la période après la faillite de Lehman Brothers. Pour l’essentiel, c’est le déclin du rôle traditionnel du teneur de marché qui a le plus attiré l’attention dans la mesure où il est intervenu en totale contradiction avec l’essor du marché.

En dépit de cela, plusieurs mesures de la liquidité, à savoir les volumes moyens, la taille des transactions et les fourchettes de prix d’achat/de vente, semblent toutes indiquer des conditions qui se sont améliorées ou stabilisées tout au moins au cours des années qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers en 2008. En définitive, ce que cela semble illustrer est que le risque de liquidité lié aux marchés des obligations d’entreprises est en grande partie passé des teneurs de marché aux investisseurs dont beaucoup, mais peut-être pas tous, seront bien armés pour y faire face. Cette situation est à l’origine de problèmes et d’opportunités pour les gérants actifs. Toutefois, lorsque les conditions de marché sont normales, qu’il existe un équilibre entre les acheteurs et les vendeurs, il est clair que la liquidité demeure abondante.

De plus, cela semble rester vrai sur les autres marchés moins développés. Dans le cas du Royaume-Uni, les données statistiques fournies par la récente publication de la FCA : « Liquidity in the UK corporate bond market: evidence from trade data » tendent à indiquer qu’en ce qui concerne la période après la faillite de Lehman Brothers, « il ne semble pas qu’il y ait eu une détérioration de la liquidité sur le marché en dépit de la baisse des stocks des courtiers durant cette même période. »

Dans l’ensemble, et même si cela peut s’avérer vrai pour plusieurs mesures de la liquidité d’un point de vue statistique dans des conditions de marché normales, il n’est toutefois pas exagéré de dire que de nombreux participants actifs sur le marché ne seraient pas de cet avis. Le point central est que les effets négatifs liés à l’évolution des dynamiques de la liquidité ne sont manifestes que dès lors qu’il s’agit d’exécuter des transactions quand les conditions sont difficiles, et ce, que ce soit pour un certain émetteur, un certain secteur ou le marché dans son ensemble. Dans ces cas-là, un sentiment négatif ou positif est souvent clairement d’une grande influence et se traduit par de profonds déséquilibres entre les acheteurs et les vendeurs. Dans un environnement où les teneurs de marché hésitent de plus en plus à apporter de la liquidité afin de tempérer l’évolution des cours, la volatilité peut clairement être amplifiée. Dans le cas de certains récents exemples qui ont défrayé la chronique tels que Glencore, les obligations sont tombées à mille lieux de toute valeur fondamentale rationnelle en voyant parfois leurs prix chuter de 30 % à 40 % dans un volume de translation limité, avant de regagner la majeure partie de ce terrain concédé durant les mois suivants.

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S’il est parfois frustrant de négocier durant ces périodes, ces dernières sont toutefois cruciales en servant à créer et mettre en évidence des opportunités intéressantes pour les investisseurs actifs disposés à adopter un positionnement à contre-courant et à accepter une certaine volatilité à court terme. Dans ces cas-là, et parce qu’un investisseur est de fait en train d’apporter de la liquidité au marché, on est ainsi à même de pouvoir réaliser des transactions de grande ampleur et avec un fort pouvoir de fixation des prix. On se voit conférer un avantage appréciable en matière d’exécution en nous permettant d’atteindre un prix qui reflète convenablement les risques fondamentaux inhérents et en exploitant efficacement l’inefficience de la valorisation du marché.

Il n’est pas exagéré de dire que s’il s’agit là d’un phénomène mondial, il est clair que sur les marchés moins développés, à savoir au Royaume-Uni et dans une moindre mesure sur les marchés des obligations d’entreprises de la zone euro, ces effets sont cependant moins prononcés. Une base d’investisseurs institutionnels large et très concentrée, ainsi que ce désengagement des teneurs de marchés bancaires traditionnels, ont conduit à un environnement où la liquidité peut être quelque peu fluctuante et fragile. Des conditions de marché binaires en grande partie dues aux interventions des banques centrales se sont traduites par des périodes plus fréquentes et prolongées de tensions et de déséquilibres sur les marchés. Une nouvelle fois, si cela peut susciter des difficultés au quotidien du point de vue de l’exécution des transactions, les distorsions de prix qui en résultent offrent d’excellentes opportunités sur les marchés nationaux, mais elles permettent surtout de mettre en évidence les opportunités de valeur relative sur les marchés obligataires internationaux, en particulier dernièrement aux États-Unis. C’est clairement ce que l’on peut observer dans l’exemple d’obligations équivalentes d’un même émetteur dans différentes devises qui se négocient parfois avec d’importants écarts de prix avant qu’une normalisation intervienne au bout d’un certain laps de temps. Un investisseur actif se voit ainsi offrir l’occasion de générer d’excellentes performances avec essentiellement le même niveau de risque de crédit en vendant une obligation afin d’acheter l’autre, puis de procéder à la transaction inverse une fois la relation revenue à la normale.

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Une autre conséquence de ces tendances a été une très forte concentration des transactions dans les émissions obligataires les plus liquides, souvent aux dépens de la liquidité de celles moins fréquemment négociées. Il s’ensuit que les obligations qui sont fréquemment négociées et dans des volumes importants exigent moins de capitaux et sont donc plus intéressantes à négocier en tant que teneur de marché. Il s’ensuit également qu’un investisseur qui a fréquemment besoin de liquidité préférera négocier ces titres liquides, pouvant le faire aisément et à faibles coûts. Le résultat final est une concentration des activités dans les titres les plus liquides et qui conduit à créer une sorte de bifurcation de liquidité entre les obligations liquides et illiquides. Ce faisant, cela se traduit par des disparités de prix de plus en plus importantes entre des obligations par ailleurs comparables, offrant ainsi à un investisseur actif l’occasion d’exploiter à nouveau l’inefficience en apportant de la liquidité au marché. C’est particulièrement visible sur le marché américain où les transactions sont concentrées dans les titres « on the run », c’est-à-dire les plus récentes, tandis que les titres plus anciens « off the run » sont moins fréquemment négociés et peuvent souvent devenir mal valorisés.

En résumé, il existe divers facteurs qui ont contribué à la profonde évolution de la liquidité des marchés des obligations d’entreprises, évolution qui a conduit la majeure partie du risque de liquidité à passer des teneurs de marché traditionnels aux investisseurs suite à la réduction des bilans et au considérable essor des marchés obligataires. Pour autant, il est clair que, sur la base des mesures traditionnelles, les marchés demeurent liquides et fonctionnent bien durant les périodes normales. Mais, il est également clair que la liquidité peut être fragile et son absence durant les périodes de tensions peut conduire à une volatilité extrême et à des anomalies de valorisation excessives. Pour un investisseur actif, cette situation s’accompagne indéniablement de plusieurs difficultés, mais encore plus d’opportunités aussi bien sur qu’entre les marchés s’il est à même de surmonter la volatilité à court terme et de gérer le risque.

La valeur des investissements peut fluctuer et ainsi faire baisser ou augmenter la valeur liquidative des fonds. Vous pouvez donc ne pas récupérer votre placement d'origine. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

Chris Clemmow

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