La finance est un monde effrayant. La dette, la désinflation et la détérioration de la croissance se sont abattues sur les investisseurs en 2015 et ont fait tomber les rendements obligataires en territoire négatif dans de nombreux pays. Encore plus effroyable peut-être, la crise financière remonte désormais à huit ans et les banques centrales des pays développés continuent pourtant d’adopter des politiques monétaires ultra-accommodantes. Compte tenu de marchés des emprunts d’État ressemblant à une exhibition de monstres dans une foire à un stade prolongé du cycle économique, la prochaine récession mondiale pourrait bien être imminente. Il n’y a aucun besoin de regarder des films d’horreur durant cet Halloween, ce qui suit suffit à faire peur.
- Détenir des emprunts d’État est une chose effrayante à faire.
Les emprunts d’État des pays développés ont constitué l’une des classes d’actifs les plus performantes en 2016, prenant ainsi à contrepied bien des prédictions faites au début de l’année. En règle générale, la transaction la plus favorable a consisté à détenir des actifs à longue échéance, voire même la plus longue possible. Année après année, les investisseurs prédisent une hausse des rendements obligataires et, année après année, les rendements obligataires touchent de nouveaux points bas. Bien évidemment, il existe de bonnes raisons de s’attendre à ce que cette tendance se poursuive.
Toutefois, les marchés obligataires n’entrevoient désormais plus une normalisation des politiques monétaires que dans un avenir lointain. La faiblesse de l’inflation signifie que les banques centrales continuent de soutenir leurs économies lourdement endettées et chancelantes. En conséquence de ce soutien, l’équivalent de près de 10 000 milliards de dollars d’emprunts d’État des pays développés offre un rendement négatif. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises, dont les banques, éprouvent des difficultés dans ce monde aux taux d’intérêt au plus bas (et négatifs). Ces entreprises voient leurs modèles économiques existants être mis à rude épreuve dans un environnement marqué par une croissance atone et une réglementation plus stricte. Les pressions sur le système financier s’accentuent et on ne sait pas très bien de quelle façon ces problèmes seront résolus.
- Les banques centrales sont intrépides. Elles détiennent un très grande part du marché obligataire.
Suite aux substantiels achats des banques centrales sur les marchés des emprunts d’État dans le cadre de leur assouplissement quantitatif, les primes de terme (le montant supplémentaire exigé par les investisseurs pour prêter à des échéances plus éloignées) ont été poussées encore un peu plus loin en territoire négatif. Il était autrefois inconcevable que les investisseurs se voient ainsi devoir payer pour avoir le privilège de prêter de l’argent à un État. Aujourd’hui, ce phénomène est courant non seulement sur les marchés des emprunts d’État, mais également parmi certaines récentes émissions d’obligations d’entreprises.
Il n’y a plus seulement les banques centrales qui appartiennent au parti des acheteurs d’obligations. La demande d’actifs à longue échéance continue d’augmenter en provenance de grandes institutions telles que les fonds de pension et les compagnies d’assurance. Cette coalition formée par les banques centrales, les fonds de pension et les compagnies d’assurance a limité toute correction des marchés obligataires en réduisant les rendements tout le long de la courbe des obligations. Le vieillissement des populations implique que les actifs refuges ont toutes les chances de continuer à être très recherchés et, ce faisant, de contraindre les investisseurs à se tourner vers les actifs plus risqués s’ils veulent générer des rendements réels positifs.
- Si l’inflation s’accélère, ou si les taux d’intérêt augmentent, prenez garde à ce qui suit ci-dessous.
En dépit de l’environnement de rendements négatifs dans lequel nous nous trouvons, la façon dont les banques centrales réagiront au prochain choc inflationniste aura de considérables ramifications pour les investisseurs. Avec une duration de près de 7 ans des portefeuilles obligataires internationaux, les investisseurs pourraient être aux prises avec de lourdes pertes en capital si les taux devaient sensiblement augmenter. Cela soulève plusieurs questions importantes. Les banques centrales relèveront-elles leurs taux dans un environnement de stagflation ? Comment les politiciens réagiront-ils lorsque les pertes obligataires sur les portefeuilles achetés via le « QE » et détenus auprès des banques centrales seront relatées dans les médias ? L’indépendance des banques centrales pourrait-elle être menacée ? Dans la mesure où les banques et les compagnies d’assurance détiennent des actifs à long terme, l’instabilité financière va-t-elle s’accroître lorsque les obligations à longue échéance accuseront d’importantes pertes en capital ?
A l’heure actuelle, le marché s’inquiète plus de la stagnation séculaire que des tensions inflationnistes, mais compte tenu du rebond de près de 100 % du prix du pétrole depuis ses points bas de février et du nombre de partisans du protectionnisme qui commence à se faire grandissant au sein des gouvernements du monde entier, un choc inflationniste mondial pourrait bien être plus proche que beaucoup ne le pensent actuellement.
- Les risques politiques dans les pays émergents pourraient conduire à des ventes forcées.
Plusieurs États émergents ont été dégradés en 2015 par les agences de notation qui ont avant tout invoqué pour cela l’incertitude politique. L’impact de la dégradation s’est fait immédiatement ressentir sous la forme d’un regain de volatilité sur les marchés obligataires.
Les vastes flux de capitaux ayant pris la direction des marchés obligataires émergents ont rendu certains pays vulnérables à un accroissement des risques politiques à l’étranger. Le Mexique est un bon exemple compte tenu de l’incertitude entourant l’élection présidentielle américaine. De nombreux pays émergents sont également à la merci d’une appréciation du dollar américain, une possibilité toute réelle dans la mesure où la Fed est de loin la plus proche des principales banques centrales d’un relèvement de ses taux d’intérêt. Un autre risque est la possibilité d’une perte par un grand pays émergent de son statut « investment grade » qui conduirait à des ventes forcées de dette en devise forte par les investisseurs étrangers.
- La Chine est menacée d’un surendettement colossal. Ayez peur.
Les quatre mots les plus dangereux en finance sont « cette fois, c’est différent ». Et lorsqu’il s’agit de boums du crédit, ils tendent à plutôt mal finir.
Une mesure examinée par les économistes afin de déterminer une croissance excessive du crédit est le surendettement d’un pays. Cette mesure est le ratio crédit/PIB et sa tendance à long terme. Il s’est révélé être un indicateur fiable, comme le met en évidence la Banque des règlements internationaux en faisant observer que « dans le passé, deux tiers de tous les chiffres supérieurs à ce seuil (de 10 %) ont été suivis de sérieuses difficultés des banques au cours des trois années suivantes ». Le ratio crédit/PIB de la Chine s’établit désormais à 30,1 %, le chiffre le plus élevé pour le pays depuis 1995 et un niveau qui donne à penser que le secteur bancaire pourrait déjà commencer à être en proie à de sévères tensions.
De nombreux signaux d’avertissement sont à l’orange ou au rouge au sein du système financier chinois dans la mesure où des montants faramineux de yuans ont été engouffrés dans le financement de projets immobiliers de grande ampleur et de nouvelles capacités de production dans les secteurs industriels de l’économie. Ce cocktail explosif d’une dette élevée et en augmentation et d’une économie en ralentissement a tendance à conduire à une dégradation de l’économie. Les autorités continuant à vouloir stimuler la croissance économique, des capitaux sont investis dans des projets non rentables et des surcapacités de production. A terme, les prix commencent à baisser et les emprunteurs encourent de lourdes pertes en capital. De plus, la majeure partie des financements des projets d’investissement a transité par des circuits de la « finance de l’ombre » (« shadow banking ») qui sont plus vulnérables à des coupures soudaines du robinet des capitaux, ainsi qu’à des mouvements de panique et des retraits massifs des dépôts.
Joyeux Halloween.
Nous avions publié l’année dernière un article portant sur les principaux enseignements à tirer des réunions du FMI et de la Banque Mondiale. Nous réitérons l’exercice cette année. Claudia Calich et moi-même avons à tour de rôle participé aux différents évènements organisés à Washington, et aux nombreux débats que ces derniers ont suscités. Alors faisons la même chose ici. Claudia évoquera les marchés émergents, tandis que je partagerai certaines réflexions sur les marchés développés ainsi que sur la Chine.
1) Chine : après avoir été au cœur des préoccupations des marchés l’an dernier, le sujet de la croissance chinoise est devenu moins brûlant
Par rapport à l’année dernière, et de façon surprenante, la Chine n’a suscité que peu d’inquiétudes. Après les grands mouvements de marché et les poussées de volatilité observés en août 2015 et plus tôt cette année (déclenchés par le rééquilibrage des taux de change de la Chine, la hausse des défauts des entreprises, et l’accélération des sorties de capitaux), les craintes d’un « atterrissage brutal » semblent s’être estompées. Ces craintes on fait place à des commentaires nourris sur les progrès de la banque centrale en matière de communication, et sur la relative stabilisation du yuan cette année par rapport au panier de devises cibles. Le sentiment est également resté positif concernant la transition de la Chine vers une économie de services. Cette transition est montée en puissance au fur et à mesure que l’expansion du crédit et la part croissante de la consommation dans le PIB alimentaient un minimum de croissance, permettant ainsi de compenser le ralentissement de l’investissement. Ce sentiment coïncide avec la reprise observée de l’indice Li Keqiang cette année (indice que l’Office of Fair Trading britannique considère comme la « meilleure » représentation de la croissance économique chinoise).
Si le pays conserve certaines fragilités, l’ensemble des outils de politique monétaire dont dispose la Chine devrait permettre d’atténuer les chocs macroéconomiques. La politique monétaire va donc mettre l’accent sur la stabilisation de la croissance afin de poursuivre la dynamique actuelle jusqu’au changement de dirigeant à la tête du Parti (qui aura lieu en octobre de l’année prochaine). Après une période de stabilité, il est à espérer que les réformes structurelles (notamment celles touchant aux entreprises et aux banques publiques) occuperont le devant de la scène.
2) Japon : poursuite de l’élargissement du programme d’assouplissement quantitatif
Les discussions sur le Japon ont avant tout porté sur l’efficacité du nouveau programme récemment dévoilé et baptisé « Contrôle de la courbe des taux via un QQE amélioré ». En vertu de ce programme, la Banque du Japon passe d’une cible de base monétaire à un objectif de maintien des rendements à 10 ans autour de son récent niveau de 0 %, ainsi qu’à un engagement à dépasser son objectif d’inflation de 2 %. Mon sentiment est que les règles du jeu vont rester beaucoup plus souples que dans les pays occidentaux où les cibles sont fixées de façon précise. Afin d’atteindre ses objectifs, la Banque du Japon va selon moi poursuivre son travail de création continue : nous avons déjà eu droit à un assouplissement quantitatif, à un assouplissement quantitatif et qualitatif (QQE), à un QQE + une politique de taux négatifs, et maintenant à un QQE + un contrôle de la courbe des taux. Le principal enseignement que j’en tire est que toutes ces mesures sont en fait négociables. La Banque du Japon ne va pas se mettre à vendre des emprunts d’Etat japonais pour pousser le taux 10 ans à la hausse. Elle va en revanche en acheter moins au titre de son programme d’assouplissement quantitatif. Cela suggère que l’objectif actuel d’acheter pour 80 000 milliards de yens par an d’emprunts d’État japonais devra formellement être revu au fil du temps. De leur côté, les taux à court terme pourraient s’enfoncer encore un peu plus en territoire négatif si les anticipations d’inflation venaient à faiblir. On a aussi l’impression que le taux à 10 ans pourrait devenir une « cible mouvante » évoluant dans le temps. L’objectif à long terme est clairement de pentifier la courbe des taux. Il sera intéressant de voir si la BoJ y parvient, surtout quand on voit le mal que les pays développés ont eu à atteindre une inflation de 2 % au cours de ces dernières années (sans parler de dépasser cet objectif)
3) Royaume-Uni : l’incertitude et les questions politiques dominent
Si on m’avait donné un dollar à chaque fois que j’ai entendu les mots à la mode comme « Brexit » ou « Trump », j’aurais gagné beaucoup plus qu’une boite de bonbons à 2 dollars à l’effigie du FMI. Il est toutefois compréhensible que ces questions aient suscité tant de préoccupations chez les investisseurs, d’autant que les conférences ont eu lieu au cours du dernier mois de la campagne électorale américaine et à un moment où la livre sterling a perdu 2,5 % de sa valeur face au dollar. Les commentaires de Theresa May, la chef du parti conservateur, ont en effet accru les craintes d’un « Brexit brutal », ou comme HSBC préfère l’appeler : un « Brexit continental » par opposition à un « Brexit anglo-britannique ». J’adhère à l’idée selon laquelle le Royaume-Uni pourrait ne pas obtenir ce qu’il souhaite au cours des futures négociations. Certes, évoquer cette question depuis Washington peut laisser penser que j’adopte une vue lointaine, éloignée du Royaume-Uni. En termes simples, le Royaume-Uni devra négocier face à un bloc constitué de 27 états membres de l’UE. L’obtention par le Royaume-Uni d’une quelconque concession nécessitera l’unanimité de ces 27 pays, ce qui constitue un obstacle majeur. D’autres discussions ont porté sur la potentielle période de stagflation que le Royaume-Uni pourrait traverser compte tenu de la déprécation de 18 % de la livre par rapport au dollar depuis le référendum. A cela s’ajoutent les incertitudes persistantes qui pourraient nuire à la croissance et aux investissements futurs.
4) Europe : elle devrait continuer à se débrouiller tant bien que mal, mais de nouvelles mesures doivent être prises
Récemment, le FMI a révisé à la baisse ses prévisions de croissance européenne pour l’année en cours, la faisant passer de 1,6 % à 1,7 %, et à 1,5 % pour l’année prochaine, le ralentissement en 2017 étant justifié par les effets du Brexit. Même si des rumeurs ont laissé entendre que la BCE serait sur le point de réduire son programme d’achats, le consensus considère que la politique monétaire est suffisamment accommodante et qu’elle le restera en raison de la persistance de faibles taux d’inflation. Ces taux d’inflation devraient d’ailleurs demeurer inférieurs à l’objectif de 1,1 % fixé pour l’année prochaine. Les débats autour d’une réduction de l’assouplissement quantitatif ne semblent désormais plus d’actualité.
S’agissant de la politique budgétaire, le problème est qu’il ne reste que très peu de marge de manœuvre disponible. Même si l’Allemagne était disposée à en faire plus, certains observateurs ont fait valoir que cela n’aurait que peu de répercussions sur le reste de l’Europe, en particulier sur les pays périphériques, du fait de leurs faibles liens commerciaux avec l’économie d’outre-Rhin. Les efforts doivent plutôt porter sur des réformes structurelles. Les principales inquiétudes concernent des problèmes qui sont sur la table depuis 2010 / 11, à savoir, le niveau d’endettement important, les créances douteuses des banques, l’afflux de réfugiés et l’immigration. La cohésion de l’Union européenne pourrait également être testée compte tenu des négociations sur le Brexit et des échéances politiques qui se profilent à l’horizon, que ce soit en Italie (référendum sur la réforme du Sénat le 4 décembre), en France ou en Allemagne (élections prévues en 2017).
Ces conférences ont été une occasion unique de connaître les points de vue de différents banquiers centraux, ministres et économistes sur les questions les plus brûlantes. Pour l’anecdote, on se souviendra également que ce fut l’occasion de découvrir les goûts culinaires de certains des décideurs les plus influents au monde. Pour mémoire, Mark Carney affectionne les pizzas, Wolfgang Schäuble apprécie la cuisine française, et Yi Gang mange un peu de tout. Quant à moi, j’ai bien aimé la réponse de Christine Lagarde quand on lui a demandé où elle souhaitait aller à dîner : « Je vous invite à dîner et je cuisinerai ». L’enseignement clé est peut-être le suivant : les conférences du FMI et de la Banque mondiale alimentent vraiment la réflexion…
A l’occasion d’un récent blog, Ben a abordé les opportunités de valorisation relative sur le marché américain des obligations d’entreprises « investment grade » (IG). Aujourd’hui, le segment à long terme de ce marché apparaît de plus en plus attractif compte tenu de la pentification actuelle des courbes des spreads de crédit des obligations IG américaines.
Le graphique ci-dessous illustre la courbe des spreads de crédit au 30 septembre des obligations d’entreprises non financières IG libellées en dollar américain par rapport aux 50 % intermédiaires des observations de spreads sur l’ensemble de l’historique des constituants des indices obligataires depuis la fin de l’année 1996. Les spreads de crédit des obligations avec des échéances de moins de 10 ans s’établissent actuellement en-deçà de leurs valeurs médianes historiques. A l’inverse, le niveau du spread des obligations d’entreprises à long terme se situe près de la limite supérieure de sa fourchette à 201 pb, mettant ainsi en évidence la pentification actuelle de la courbe. A vrai dire, au cours des 20 dernières années, les spreads à long terme se sont révélés moins élevés qu’à l’heure actuelle dans 71 % des cas !
Le graphique ci-après montre combien sont attractives les valorisations de nombreuses obligations d’entreprises américaines à long terme au sein de divers secteurs. Exception faite de l’immobilier et des services, les spreads des obligations IG non financières de plus de 10 ans se situent dans le 3ème quartile au sein de tous les secteurs et, ce faisant, au-delà de leurs valeurs médianes historiques. De plus, les spreads dans deux autres secteurs, l’énergie et la santé, s’établissent même au-delà du 3ème quartile. Ce n’est pas très surprenant au regard, respectivement, du rebond relativement peu soutenu du prix du pétrole et des risques politiques concernant la tarification des médicaments.
Dans ce contexte, il n’est pas exagéré de dire que les spreads de crédit des obligations d’entreprises IG américaines à long terme offrent actuellement un portage satisfaisant, surtout à une époque où de nombreux segments des emprunts d’État s’accompagnent de rendements historiquement bas ou même négatifs. Avec des valorisations aussi attrayantes, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
Eh bien, par exemple, la « spread duration » élevée des obligations d’entreprises à long terme les rend particulièrement vulnérables à un élargissement des spreads. Le portage offert par le spread de crédit peut servir « d’amortisseur » pour les investisseurs, mais il n’absorbera toutefois les pertes que jusqu’à un certain point. Dans le cas du segment des obligations d’entreprises non financières américaines de plus de 10 ans, lequel présente un spread de 201 pb et une « spread duration » de 13,7 ans, les spreads ne peuvent s’élargir de plus de 15 pb par an, toute choses égales par ailleurs, avant que le portage généré par le spread de crédit ne soit effacé par les pertes en capital. Toutefois, lors d’un épisode clairement marqué par une aversion au risque, à l’image de celui intervenu durant le premier trimestre de cette année, un élargissement des spreads de crédit aurait un impact majeur sur les valorisations des obligations d’entreprises à long terme, temporairement tout au moins.
Tout comme la plupart des autres facteurs de risque, la « spread duration » est bien évidemment une arme à double tranchant. Si les spreads continuent de se contracter, les investisseurs bénéficieront d’une appréciation du capital en plus du portage du spread de crédit. Compte tenu des valorisations actuelles des obligations d’entreprises à long terme libellées en dollar américain, nous entrevoyons encore un potentiel de contraction des spreads sur un horizon à moyen/long terme. Au vu de la pentification actuelle de la courbe des spreads, il y a des raisons de s’attendre à ce que le crédit à long terme surperforme le crédit à court terme.
Un facteur qui pourrait se révéler devenir un facteur technique positif pour le crédit IG à long terme libellé en dollar est le récent lancement par la Banque d’Angleterre de son programme d’achat d’obligations d’entreprises (Corporate Bond Purchase Scheme, CBPS). Au 7 octobre, l’univers des obligations éligibles est clairement à long terme avec une échéance moyenne pondérée de 13,5 ans. En fait, près de 55 % des obligations éligibles au CBPS arrivent à échéance dans plus de 10 ans et près de 25 % même dans plus de 20 ans seulement. Les investisseurs dans les titres en livre sterling qui recherchent ces caractéristiques d’échéance pourraient bien se trouver de plus en plus évincés par le CBPS. Dans la mesure où l’univers IG dans la zone euro est clairement à plus court terme, ils n’auraient pas vraiment d’autre choix que de se tourner vers le marché en dollar américain, exerçant ainsi des pressions baissières supplémentaires sur les spreads de crédit des obligations à long terme.
J’ai depuis ces derniers temps une immense impression de déjà-vu. Partout il n’est question que des taux d’intérêt qui n’augmentent à nouveau pas au cours de ce cycle (États-Unis), qui n’augmenteront jamais (Europe) ou qui pourraient même être abaissés encore un peu plus (Royaume-Uni, Japon). L’assouplissement quantitatif a toujours le vent en poupe et pourrait même avoir toutes les chances d’être encore allongé dans sa durée ou élargi afin d’inclure de nouveaux types d’actifs. La croissance économique semble marquer le pas, la rentabilité des entreprises fait apparaître une détérioration de fin de cycle et l’inflation demeure pratiquement aux abonnés absents. Je pourrais continuer. N’importe où l’on se tourne, ce n’est que pessimisme à l’égard de l’économie mondiale, craintes de voir les politiques monétaires avoir atteint leurs limites (possiblement depuis bien longtemps) et nouvelles raisons d’acheter des emprunts d’État et des rendements sans risque.
J’ai récemment eu une conversation avec ma collègue Anjulie à propos des valorisations et des perspectives des emprunts d’État. Au cours de celle-ci, j’ai réalisé que j’avais le sentiment qu’il existait de troublantes similitudes entre aujourd’hui et les premiers mois de 2013. A cette époque, on parlait alors d’un « QE infini », de la « japonisation » des États-Unis, des taux d’intérêt qui ne seraient plus jamais relevés… suis-je le seul à voir des parallèles ? Anjulie était d’avis, et plus justement que moi jusqu’à présent, qu’en dépit de rendements déjà à des niveaux historiquement bas, compte tenu du caractère exceptionnel des mesures des banques centrales, on pouvait encore envisager de voir les taux et les rendements des emprunts d’État baisser un peu plus. Je n’étais pas du même avis et j’ai alors dit qu’il pourrait être intéressant pour nous de revenir sur le « Taper Tantrum » de 2013 et le « Bund Tantrum » de 2015. Peut-être pourrions-nous apprendre quelque chose de ces épisodes susceptible d’être appliquée à aujourd’hui ? Anjulie a composé les deux diapositives ci-dessous et ses conclusions méritent d’être examinées.
Suite à des propos négligeables faits par Ben Bernanke après un discours en mai 2013 (au cours duquel il a fait allusion à une réduction progressive (« tapering ») du montant des achats d’emprunts d’État et de titres adossés à des créances hypothécaires (MBS)), les marchés obligataires se sont réveillés et ont piqué une crise « tantrum ». Comme le montre le graphique, le rendement de l’emprunt d’État américain à 10 ans s’est alors envolé de 50 points de base (pb) au cours du seul mois de mai et de 140 pb entre les mois de mai et de décembre 2013. Les rendements des emprunts d’État allemands (bunds) et britanniques (gilts) ont emboité le pas à la hausse de leurs équivalents américains, et ce, même s’il n’était pas question de « tapering » en Europe et au Royaume-Uni. Les obligations indexées sur l’inflation en ont également clairement fait les frais. Les obligations d’entreprises ont quant à elles connu des fortunes plus diverses. Si les spreads de crédit se sont initialement élargis en mai, ils se sont toutefois fortement contractés durant le reste de l’année 2013, sauf sur les marchés émergents qui ont incontestablement perçu négativement l’énonciation du mot « taper ».
Un seul mot, « taper », a suffi à provoquer ces envolées des rendements des emprunts d’État. Il ne s’agissait pas d’une inflexion de la politique, les taux n’ayant pas évolué et le montant des achats dans le cadre du « QE » n’ayant pas changé. Aussi, nous nous sommes demandé ce qui avait en réalité provoqué les changements. Selon moi, l’enseignement de cet épisode était le suivant : les arguments du type « cette fois-ci c’est différent » avaient atteint leur paroxysme (les arguments expliquant pourquoi la politique monétaire n’allait jamais s’inverser avaient été utilisés afin de justifier la baisse continue des rendements obligataires jusqu’à des horizons de très long terme ). Mais comme il vint tout à coup à l’esprit des investisseurs que des taux proches de zéro et qu’un « QE » perpétuel n’étaient pas nécessairement faits pour durer indéfiniment, tout le monde s’est rué vers la sortie… et au pas de course.
Le « bund tantrum » d’avril 2015 a été identique en ce sens où les rendements des emprunts d’État britanniques, allemands et américains ont tous sensiblement augmenté. Le rendement du bund à 10 ans a ainsi progressé de 20 pb durant le seul mois d’avril et de 60 pb entre les mois d’avril et de juin. La situation au sein des obligations d’entreprises s’est révélée être beaucoup plus contrastée et il est difficile d’en déduire quoique ce soit, si ce n’est que les obligations des banques se sont adaptées à la hausse des rendements en tombant nettement en territoire négatif. Quelle différence avec aujourd’hui !
Rétrospectivement, il est difficile de mettre le doigt sur le catalyseur de ce « tantrum » et qui a causé la correction des emprunts d’État. Le rendement du bund à 10 ans a touché 0,1 % avant de se hisser à nouveau à 1 % deux mois plus tard, engendrant ainsi une perte de 9 points de pourcentage. Dans ce cas, j’avancerais que les positionnements avaient été portés à très long terme compte tenu des chiffres d’inflation négatifs et du coup d’envoi du « QE ». A 0,1 %, le facteur des valorisations à long terme est revenu au centre de l’attention et les investisseurs ont commencé à vendre. Et tout le monde a fait de même. Une fois encore, au pas de course. Quelle qu’en soit la raison, la correction fait office de sévère piqure de rappel : le sentiment peut soudainement changer même en l’absence d’élément déclenchant manifeste.
Comme je l’ai mentionné au début, je vois de nombreux parallèles entre aujourd’hui et les périodes ayant précédé ces corrections. Les arguments du type « cette fois-ci c’est différent » – pourquoi les taux ne peuvent augmenter, le « QE » ne peut prendre fin, l’inflation ne se profile nullement à l’horizon et les cours des emprunts d’État ne peuvent baisser – abondent. Ils ont servi de justifications pour acheter des rendements et de la duration, même à un moment où les valorisations initiales sont déjà extrêmes. Nous avons observé une même situation au début des années 2013 et 2015, même si les valorisations initiales durant les périodes ayant conduit à ces deux « tantrums » n’étaient pas aussi extrêmes qu’à l’heure actuelle. Etre sensibilisé à ces similitudes et rester pleinement conscient des valorisations actuelles appellent, selon moi, à la prudence en ces temps-ci.
Les actualités sur l’économie mondiale ont de quoi vous décourager. Demander à un économiste ce qui lui vient à l’esprit quand il entend le mot « Europe ». Il répondra probablement en évoquant les inquiétudes suscitées par les taux d’intérêt négatifs, la déflation et la dette. Ce n’est pas beaucoup mieux lorsque vous abordez les perspectives économiques des Etats-Unis (« l’élection à venir est un sujet de préoccupation »), du Japon (« la BoJ a atteint l’extrême limite de la politique monétaire »), du Royaume-Uni (« la confiance des entreprises et des ménages est fragilisée par le Brexit »), ou de la Chine (« le système bancaire pourrait imploser »). Tout se passe comme si nous étions à court d’arguments pour justifier une perspective positive à ce stade du cycle…
Échafauder des prévisions pessimistes est bien ancré dans l’esprit humain. C’est la raison pour laquelle les journaux se délectent de gros titres alarmistes. En effet, l’histoire est jalonnée de prédictions apocalyptiques. On citera par exemple la guerre nucléaire, les virus disséminés dans l’air, et le bug de l’an 2000. Le fait que ces prévisions soient démenties ne signifie pas que les craintes actuelles sont infondées. Toutefois, il y a des raisons d’être optimiste quant à l’avenir de l’économie mondiale, en dépit de la situation actuelle morose.
Le monde est plus interconnecté que jamais. Internet est en train de changer la manière dont les gens travaillent, créent, et partagent leurs idées. C’est un point essentiel : on estime que 46 % de la population mondiale a désormais accès à internet depuis la maison, alors que cette proportion n’était que 6,8 % en l’an 2000. Près de 3,4 milliards de personnes devraient pouvoir surfer sur le web d’ici 2017.
La montée en puissance de l’accès à internet est un phénomène important dans le sens où elle permet de stimuler la croissance économique aussi bien dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. Internet facilite la circulation de l’information, l’innovation, l’accès aux capitaux, l’esprit d’entreprise et l’amélioration des conditions de travail. Cela aboutit au final à des niveaux plus élevés de productivité au travail et à une utilisation plus efficace du capital. Dans un rapport intitulé La Valeur de la Connectivité, le cabinet Deloitte a estimé qu’un accès plus large à internet dans les pays en développement pourrait entraîner un surcroit de 2,2 milliards de dollars de PIB (l’équivalent de l’économie italienne), et la création de plus de 140 millions nouveaux emplois (ce qui représente quasiment la population de la Russie).
La généralisation de l’accès à internet peut également jouer un rôle important dans la réduction de la pauvreté extrême. La Banque Mondiale estime que le nombre de personnes dans le monde vivant sous le seuil de pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour) a chuté en-dessous de 10 % de la population mondiale en 2015. Les taux de pauvreté se sont sensiblement réduits au cours des 35 dernières années, ce qui coïncide avec les bénéfices tirés d’un plus large accès à internet dans les pays en voie de développement. Du fait de la dynamique de leur démographie et de l’émergence de patrimoines chez les classes moyennes et populaires, les pays en voie de développement sont en mesure de générer des taux de croissance économique supérieurs sur le long terme.
Internet a également conduit à l’avènement de très grandes fortunes, ce qui a permis le lancement d’un certain nombre d’initiatives ambitieuses à visée philanthropique. Récemment, l’initiative Chan Zuckerberg (de Facebook) s’est fixée l’objectif de « soigner, prévenir, et maîtriser toutes les maladies d’ici la fin du siècle ». Bien que très ambitieuse, cette annonce a attiré l’attention sur la manière dont les chercheurs œuvrent de concert pour tenter de résoudre d’immenses défis sous la bannière de la « recherche fondamentale », discipline qui se concentre sur la découverte de nouvelles connaissances scientifiques.
Les efforts conjugués dans le domaine de la recherche scientifique fondamentale ont notamment permis le développement de la technologie laser, du GPS, des écrans tactiles multipoints, ainsi que des moteurs de recherche. Ils ont également conduit à la découverte du premier gène responsable du cancer chez l’homme. Il en résulte de grands avantages économiques également : l’agence nationale de santé des Etats-Unis estime que chaque dollar dépensé dans le domaine de la recherche fondamentale génère des revenus allant de 10 à plus de 80 dollars. Les philanthropes fortunés cherchent de plus en plus à financer la recherche fondamentale aux côtés des gouvernements, et des avancées majeures pourraient améliorer le niveau de vie de milliards de personnes dans le monde entier. De nouvelles découvertes, de nouveaux secteurs, de nouveaux emplois.
Bien sûr, il est difficile de mesurer en termes de PIB les avantages que procurent (et que procureront) les nombreuses avancées technologiques. Le PIB sert à mesurer des choses qui ont été échangées à un certain prix de marché. Il ne permet pas en revanche de capturer le foisonnement des idées, ou l’accumulation des connaissances d’une personne consultant Wikipédia pour la première fois, ou bien les économies de temps et d’argent de ne pas avoir à se rendre dans une agence de voyage pour réserver un vol. Comme les produits deviennent meilleur marché (voir gratuits) en raison de l’innovation technologique, le PIB risque de devenir une mesure de moins en moins pertinente des progrès accomplis par l’économie mondiale. Il y a de bonnes chances que le fossé existant entre ce qui peut être mesuré et notre expérience réelle se creuse davantage (pour plus d’informations sur ce sujet, lire notre entrevue avec Diane Coyle, auteur de PIB : une brève mais affectueuse histoire).
Les avantages procurés par internet, à savoir l’amélioration des conditions de vie et de potentielles avancées cruciales dans le domaine de la recherche fondamentale, devraient suffire à soigner tous les intervenants de marché de leur lassitude de l’apocalypse. Et si ces évolutions ne s’avèrent pas encore le remède miracle face aux inquiétudes du marché suscitées par les limites de la politique monétaire à court terme, elles permettent néanmoins de penser que beaucoup d’évolutions permettront de grandes avancées à long terme.