Contributeur invité – Jean-Paul Jaegers (CFA, CQF, Senior Investment Strategist, Prudential Portfolio Management Group)
Jim Leaviss et moi-même nous sommes récemment rendus à Tokyo pour discuter des évolutions économiques locales et de la politique de la Banque du Japon (BoJ) avec des économistes et des analystes basés dans la capitale nippone.
Il y est généralement admis que la trajectoire potentielle des rendements des emprunts d’État japonais (JGB) est asymétrique. L’éventualité de nouvelles baisses des taux directeurs est considérée comme limitée compte tenu de l’objectif de la BoJ de pentifier la courbe des taux. En outre, une telle baisse ne serait pas tenable pour l’institution monétaire si les rendements à long terme venaient eux-aussi à baisser trop fortement. Par ailleurs, le passage en territoire négatif des taux directeurs est généralement perçu assez négativement par le grand public, car cela affecte la confiance des consommateurs.
Les observateurs du marché ont cru déceler chez la BoJ une préférence pour des achats à un rythme annuel inférieur à 80 000 milliards de yens. Dans ce cadre, un changement de la politique monétaire, jusque-là quantitative, en faveur d’une approche visant à fixer des objectifs d’inflation, pourrait être interprétée comme un moyen de réduire le montant de ses achats d’obligations. Toutefois, un certain nombre de risques pèse sur le rythme des achats d’emprunts d’État par la BoJ. Tout d’abord, si les rendements des obligations internationales continuent de se tendre, la BoJ pourrait être amenée à augmenter ses achats au-delà de son niveau de confort pour un certain temps. Deuxièmement, dans sa tentative de trouver un équilibre entre les objectifs de sa politique de contrôle de la courbe des taux d’une part, et la perspective de relâchement des pressions inflationnistes d’autre part, la BoJ risque d’intervenir à contretemps.
Les options pour contrebalancer ce risque seraient soit de fixer de temps à autre de nouvelles cibles pour la courbe des taux, soit de commencer à utiliser un graphique de type « nuage de points » pour orienter les anticipations de ces cibles tout en évitant d’éventuelles perturbations. Cependant, cela pourrait s’avérer difficile dans la pratique, car les marchés obligataires pourraient considérer cette communication comme un signal négatif, et les conduire à vendre des JGB. L’expérience de la Réserve fédérale américaine en 1942-1951, qui à l’époque avait directement plafonné ses taux directeurs, montre en particulier que la stratégie de sortie est difficile à mener.
Avec l’introduction du contrôle de la courbe des taux, la BoJ a d’une certaine façon isolé le marché obligataire japonais du reste des évolutions internationales. En conséquence, la volatilité des marchés obligataires s’est reportée sur le taux de change. Comme le yen est désormais le canal de transmission, le scénario d’une appréciation du yen (le protectionnisme américain pouvant par exemple faire baisser le dollar) serait à surveiller de très près.
Même si le contrôle de la courbe des taux s’avère efficace et que la BoJ demeure campée sur sa politique, la question suivante subsiste : à quoi une stratégie de sortie pourrait ressembler ? Plus on y pense, plus on aboutit à la conclusion que les performances obligataires devraient s’avérer asymétriques. Ceci pourrait se matérialiser soit par choix monétaires dans un environnement où les taux d’intérêt mondiaux continuent de se tendre, soit à la suite de la décision de la BoJ de fixer de nouvelles cibles à des niveaux légèrement plus élevés. Toute mesure de contrôle visant à faire grimper la courbe des taux, en particulier si la BoJ montre des signes d’impatience à abandonner sa politique de taux négatifs, donnerait un indice permettant de savoir de quel côté il faudrait de se positionner. En termes de pur contrôle, un tel scénario apparaît assez asymétrique pour l’investisseur (ce qui est une bonne chose pour lui), mais illustre aussi le risque qu’un plus grand contrôle à un moment donné se fasse au prix d’une moindre influence future.
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Tout est dit.
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Dans la dernière édition de nos perspectives obligataires, Jim Leaviss analyse les facteurs qui ont été à l’origine d’une année mouvementée pour les membres de l’establishment politique, pour la BCE face au dilemme de son programme d’assouplissement quantitatif, et pour les perspectives des marchés émergents en 2017. Pour la première fois depuis la crise financière, il semble que les rendements obligataires feront l’objet de pressions soutenues tandis que les banques centrales vont procéder au retrait progressif de leurs mesures monétaires de soutien. Les effets de la bascule structurelle d’une politique monétaire à une politique budgétaire de la part des autorités seront profonds, et auront vraisemblablement des répercussions sur l’ensemble de l’univers obligataire.
Pour cette raison et bien d’autres, veuillez cliquer ici pour prendre connaissance de nos perspectives pour 2017.
Contributeur invité à ce blog – Saul Casadio (analyste crédit chez M&G Investments)
Bien que les obligations européennes à haut rendement aient enregistré de solides résultats au cours des deux dernières années (avec une performance moyenne annualisée de 4,9 %), une partie de l’indice correspondant a considérablement sous-performé. Au cours de la même période, les obligations émises par les entreprises du secteur de la construction ont en effet dégagé une performance moyenne de -18,4 % par an. Le graphique ci-dessous montre que, sur un total de sept émetteurs du secteur, seulement deux se négocient actuellement au-dessus du pair, deux ont déjà fait l’objet d’une restructuration infligeant de lourdes pertes aux porteurs d’obligations, et les trois autres se traitent à un prix bien inférieur à leur valeur nominale. Dans cet article, j’examine les raisons pour lesquelles le secteur de la construction a autant souffert par rapport au reste du marché.
Le recours à l’effet de levier pour financer l’activité de construction a toujours été jugé contestable. Pour être viable, une structure de capital à effet de levier a besoin de flux de trésorerie relativement stables tout au long du cycle économique. A l’opposé, les sociétés de construction affichent un profil volatil et souvent imprévisible de leurs flux de trésorerie. En outre, le secteur de la construction est très largement tributaire du bon vouloir des banques à fournir des garanties pour l’achèvement des travaux. Cette volonté repose essentiellement sur de bonnes notations de crédit, ce qui est va à l’encontre d’une structure de capital à effet de levier.
On peut établir un certain nombre d’analogies avec un « mauvais projet de construction » pour expliquer la sous-performance de ce secteur au cours des deux dernières années.
Des fondations fragiles – La construction est une activité compliquée. Comme les chantiers sont généralement attribués par le biais d’appels d’offres, une entreprise de construction intervient dans un environnement de concurrence quasi parfaite. Les barrières à l’entrée se limitent aux références techniques et à la taille des projets. Il n’est pas rare dans certains marchés de participer à des appels d’offres sur une base non rémunérée, le candidat misant sur des modifications apportées au projet en cours d’exécution pour gagner de l’argent. Cela est évidemment un moyen très périlleux de dégager des bénéfices et induit des risques élevés de contentieux. En outre, les projets de construction comportent un degré important de risque d’exécution selon le type de contrat (prix fixes vs. indexation sur le volume), et il n’est pas rare que des chantiers à prix fixes conduisent à de grosses pertes.
L’instabilité des flux de trésorerie vient se conjuguer aux fondations fragiles du modèle d’activité. Les travaux de construction se caractérisent par un profil de trésorerie déséquilibré : les dépenses initiales ne sont compensées par des paiements qu’aux termes des projets. Ceci se traduit par une volatilité du fonds de roulement et de la dette brute. Les changements dans les conditions de paiement et de recouvrement, les paiements anticipés, ainsi que les retards dus à des contentieux peuvent créer des variations significatives du niveau de dette.
Des mesures insuffisamment précises – L’EBITDA publié, qui est l’un des principaux indicateurs de performance utilisés par les investisseurs, n’est qu’une mesure approximative lorsqu’il s’agit de construction. La méthode comptable utilisée pour les chantiers de construction (en pourcentage d’avancement du projet) offre en effet une certaine flexibilité s’agissant de l’enregistrement des profits (ou des pertes) tout au long de la vie du projet. Je dirais que la génération des flux de trésorerie constitue un meilleur indicateur car le tableau de trésorerie est moins sujet aux « ajustements comptables ».
Des calculs trompeurs – Les investisseurs calculent un endettement net pour mesurer le risque de crédit, mais ce calcul est trompeur dans le domaine de la construction. En général, les sociétés du secteur de la construction présentent une position de trésorerie élevée, mais seule une petite fraction de ces disponibilités est disponible au niveau de l’entreprise, la majeure partie étant bloquée dans des entités de projet destinées à financer les chantiers. L’effet de levier brut est une mesure plus précise du risque de crédit dans ce secteur. En outre, la plupart des entreprises de construction s’autofinance au moyen de différentes formes de prêts sans recours. Ces dettes n’apparaissent généralement pas au bilan. Il y a donc de grandes chances que seuls les investisseurs qui lisent les notes de bas de page (où ces éléments sont mentionnés) en soient conscients.
Les évolutions rendent les mesures encore plus imprécises – Compte tenu des fondamentaux fragiles de cette activité, un certain nombre de constructeurs cherchant d’autres façons de gagner de l’argent, ont investi dans des projets dits de « Construction-Opération-Transfert de Technologies» (en anglais, BOT). Ces projets permettent à ces sociétés, au lieu d’être payées, de conserver la propriété et les avantages économiques de l’actif pendant un certain temps. Ce type de contrats a encore aggravé les problèmes d’évaluation évoqués ci-dessus car le droit de recours des détenteurs d’obligations ne porte que sur l’activité de construction (et non sur les actifs mis en concession). Mais comme les résultats n’étaient communiqués que sur une base consolidée, cela empêchait les investisseurs d’évaluer la véritable performance opérationnelle de l’activité de construction.
Soupçons de corruption – Les gros titres faisant état de cas allégués de corruption ont eu un effet plus dévastateur que dans aucun autre secteur, et le volume des transactions a reflété l’aversion des investisseurs aux problèmes de gouvernance d’entreprise.
Un immeuble qui s’est écroulé ne vaut plus grand chose – Les taux de recouvrement des obligations restructurées ont jusque-là été faibles car la qualité des transactions s’est fortement détériorée au cours des négociations de restructuration des dettes. L’activité de construction nécessite un soutien bancaire solide et continu, d’une part pour financer le besoin en fonds de roulement, et d’autre part pour obtenir les garanties nécessaires permettant de concourir à de nouveaux projets. Ces deux éléments sont difficiles à obtenir pour une société en pleine restructuration.
En raison des pertes accusées sur un petit nombre de dossiers, les investisseurs ont réévalué le risque de crédit de ce secteur. A en juger par les niveaux actuel de transaction, il est difficile d’imaginer qu’une nouvelle obligation à haut rendement puisse être émise par le secteur de la construction dans un avenir proche. Si cela arrivait à nouveau, les investisseurs devront être conscients que la création d’une structure de capital à effet de levier sur des bases aussi fragiles induit un risque sous-jacent élevé.
Stefan Isaacs et Richard Woolnough, les gérants de fonds d’obligations d’entreprises, reviennent tout juste d’un voyage de deux jours à New York où ils ont rencontré des économistes et des stratégistes obligataires. Sur place, ils ont réalisé une courte vidéo. Dans cette vidéo, ils abordent les sujets suivants : le marché obligataire américain, les interventions des banques centrales et l’absence de consensus à l’égard des perspectives des obligations d’entreprises.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.