1. Nous sommes parvenus au point où le pic va se faire sentir : aux mois de janvier et février 2016, les prix du pétrole avaient atteint des points bas (34,25 dollars le baril de Brent le 20/01, et 26,21 dollars le baril de WTI le 11/02). Cette semaine, les chiffres d’inflation vont donc intégrer les plus grands effets de base annuels des prix du pétrole. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous observons de fortes poussées d’inflation depuis plusieurs mois.
2. La marche en avant de l’inflation se poursuit : le taux de variation de l’IPC outre-Atlantique était nul en septembre 2015, inférieur à 1 % en juillet dernier, et est maintenant revenu à 2,5 %. L’inflation européenne était négative en mai dernier, mais à 1,8 % cette semaine, elle s’approche désormais de la cible de la BCE. L’IPC britannique était en baisse à fin octobre 2015, était remonté à un peu moins de 1 % en octobre dernier, et cette semaine sa progression atteint 1,8 %, soit un niveau très légèrement inférieur à l’objectif de la Banque d’Angleterre.
3. Le Royaume-Uni a été le seul marché à décevoir les attentes cette semaine, avec une prévision de 1,9 % pour l’IPC, et de 2,7 % pour l’indice domestique IPD (indice des prix de détail). Toutefois, la principale surprise est venue des baisses significatives accusées dans le secteur de l’habillement. Les chiffres d’inflation du mois de janvier, qui étaient systématiquement en baisse au cours des dernières années, ont augmenté significativement cette année, prenant en défaut le consensus. Les postes ayant bénéficié d’effets de base favorables (carburant, lubrifiants) et l’impact de la dépréciation de la livre sterling (via les produits importés) ont connu une forte progression sur l’année.
4. L’inflation du Royaume-Uni se rapproche en fait de sa cible : bon, c’est du moins le cas de l’inflation globale qui est la mesure privilégiée de l’Institut National des Statistiques. Le mois prochain, l’IPCH deviendra la nouvelle mesure officielle de l’inflation au Royaume-Uni (mais ne vous inquiétez pas, l’IPD reste la référence pour les gilts indexés sur l’inflation !). Mesurée sur la base de l’IPCH, l’inflation britannique vient d’atteindre la barre des 2 % cette semaine. Plus de détails sous peu.
5. Les points-morts d’inflation ne sont plus particulièrement bon marché
6. Etats-Unis : ces points-morts ont atteint le seuil des 2 % sur l’ensemble de la courbe, et ce, pour la première fois depuis 2014. Cela signifie que le marché obligataire anticipe que la Fed sera capable d’alimenter une hausse moyenne des prix de 2 % à partir de maintenant. Et pourtant, je dirais que cela est encore assez conservateur. La Fed se fixe en effet un objectif de 2 % pour le déflateur des dépenses de consommation (« PCE ») et, sur le long terme, on sait qu’un déflateur PCE à 2 % se traduit habituellement par une inflation globale proche de 2,5 %. Néanmoins, on a observé un mouvement de grande ampleur des points morts d’inflation américains ces douze derniers mois.
7. Royaume-Uni : les points morts d’inflation se situant désormais entre 3,1 % sur la partie courte de la courbe, et près de 3,6 % sur les maturités longues, le rebond depuis les points bas atteints en première partie d’année 2016 est aussi remarquable que dans le cas des Etats-Unis. En fait, à l’exception de certaines hypothèses agressives sur l’écart IPC-IPD, la valorisation du marché implique une inflation britannique qui serait pour toujours supérieure à sa cible. La partie courte de la courbe des points morts d’inflation me semble attractive, car les effets du pétrole et de la faiblesse de la livre sterling vont conduire à une période d’inflation significativement plus élevée que sa cible. Mais toutes ces anticipations de marché qui tablent sur une inflation qui dépasserait sa cible de façon permanente ne se sont pas encore matérialisées, et de mon point de vue, rendent vulnérable la partie longue de la courbe des points- morts d’inflation.
8. Europe : comme ailleurs, les points-morts d’inflation ont fortement rebondi en Europe, même si leurs niveaux restent largement inférieurs à ce qui pourrait ressembler à une atteinte durable de l’objectif d’inflation. Les marchés craignent peut-être que la récente hausse des IPCH ne durera pas au-delà des effets de base du prix du pétrole. Cela me semble une préoccupation légitime.
Nous avons parcouru beaucoup de chemin l’année dernière sur les marchés des titres indexés sur l’inflation. A partir de maintenant, la question qui se pose est de savoir si nous allons voir l’inflation refluer une fois passé le point-haut des effets de base du pétrole (prévu en milieu d’année 2017), ou si la dynamique et le thème de la reflation pourront poursuivre leur tendance. Aux Etats-Unis tout du moins, il me semble que la dynamique du marché du travail, et en particulier celle des salaires, va continuer sur sa lancée. Comme je l’ai récemment indiqué sur le blog, compte tenu des différences importantes entre les États-Unis et le Royaume-Uni en matière d’endettement des ménages, il me semble que la Fed est déjà très en retard, et qu’elle aura de plus en plus de mal à le rattraper. Pour moi, la question reste de savoir si cette vague d’inflation aux États-Unis va se propager de façon généralisée, ou si l’inflation européenne et la partie longue du marché britannique vont retomber de leur piédestal du moment.
Depuis plus de 3 ans, la Banque nationale tchèque (BNT) a maintenu le taux de change de la couronne tchèque (CZK) proche de 27 CZK par euro (EUR), essentiellement en utilisant sa monnaie (plutôt que les taux d’intérêt) comme outil de politique économique pour atteindre sa cible d’inflation. Cependant, en début de mois, la BNT a averti qu’elle devrait mettre fin à cette stratégie « vers le milieu de l’année 2017 ». Bien que le calendrier reste flou (il a été annoncé par le passé que cette fin interviendrait « à la mi-2017 »), le message est clair : la suppression du cours plancher est imminente et la réaction du marché sera intéressante.
Le plafond pour l’EURCZK a été introduit pour la première fois en novembre 2013, après une courte période d’appréciation de la couronne tchèque. La République tchèque étant une économie axée sur l’exportation dépendant fortement du commerce avec les pays d’Europe (notamment l’Allemagne), cette politique a par la suite constitué un moyen efficace d’affaiblir la monnaie. Elle a permis d’assurer la compétitivité de l’économie tchèque vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux, tout en assouplissant les conditions monétaires intérieures. Elle est considérée comme un plancher puisque la cible est asymétrique : la BNT ne permet pas à la monnaie de s’apprécier significativement par rapport au niveau susmentionné, ce qui l’oblige à intervenir (c’est-à-dire à vendre des CZK et à acheter des EUR) sur le marché des changes afin de maintenir cette stratégie. Ainsi, les réserves en euros de la BNT ont plus que doublé pendant la durée du programme, et la taille et la fréquence des interventions ont augmenté au cours de ces derniers mois, en réponse à l’entrée des spéculateurs sur devises sur le marché, ce qui a augmenté la pression sur la gestion de ce cours plancher.
Ce plancher a été introduit pour assouplir la politique monétaire ; sa suppression sera utilisée pour la resserrer.
La cible d’inflation étant de 2 % (plus ou moins 1 %), l’IPC a été à l’extérieur de cette fourchette depuis début 2014. Cependant, le chiffre d’octobre a retenu l’attention lorsqu’il s’est inscrit dans la bande de tolérance de la BNT, et cette situation a continué en novembre. Mais ce qui a vraiment surpris, c’est que la cible de 2 % a été atteinte en décembre, ce que la BNT ne pensait pas pouvoir réaliser avant le troisième trimestre 2017. Vendredi, l’IPC a encore surpris à la hausse, atteignant cette fois 2,2 %. Cette hausse est attribuable en grande partie à la hausse des prix des denrées alimentaires, ainsi qu’à l’apparition d’effets de base liés à la fin de la chute en glissement annuel des prix du carburant. Il est encourageant de noter que l’inflation sous-jacente (hors pétrole) a également augmenté, et que la tendance à la hausse des salaires devrait continuer. Avec cette hausse de l’inflation intérieure, parallèlement à l’attente d’une inflation importée de l’extérieur (le développement économique de l’eurozone est significatif, en raison des liens commerciaux et donc du potentiel d’effets induits par la croissance des prix de la production industrielle), il semble qu’un obstacle important à la suppression du plancher de change ait été abaissé. D’où l’activité des spéculateurs sur devises.
Avec le plancher de change, le cours de la couronne tchèque a peut-être été maintenu artificiellement bas, ce qui conduit de nombreux intervenants à penser que la suppression du cours plancher entraînera une appréciation significative de la devise. Les spéculateurs devraient toutefois garder à l’esprit trois points essentiels.
- Les taux négatifs. Étant donné que les taux d’intérêt sont négatifs en République tchèque, le portage est négatif, conserver la position pourrait donc s’avérer assez douloureux, particulièrement si la BNT décidait de reporter la date de suppression. Néanmoins, les taux à terme à 6 mois ont diminué de façon notable depuis janvier, ce qui indique qu’un positionnement pour une appréciation de la couronne tchèque est de plus en plus attrayant.
- La réaction de la BNT. Celle-ci sera vraiment à étudier. Étant donné que la République tchèque est une économie dépendante des exportations, la BNT ne voudra pas mettre à mal sa compétitivité et interviendrait sûrement contre toute appréciation durable. Pour l’instant, la stratégie actuelle de la BNT interdit une appréciation au-delà du niveau auquel elle est intervenue (25,7 EURCZK environ). En supposant que cette approche sera conservée après la suppression du PEG (et je pense que c’est crédible), cela représente une appréciation de 4,8 % par rapport au plancher de change actuel de 27 EURCZK. La position comporte donc bien un certain potentiel de hausse.
- Les spéculateurs pourraient tous intervenir en même temps. Le dernier point a souligné l’appréciation potentielle que pourrait entraîner une suppression du plancher de change, mais que se passe-t-il si de nombreux investisseurs sont positionnés de la même manière et interviennent au même moment, afin de prendre leurs bénéfices ? Ces spéculateurs longs couronne voudraient les vendre et acheter des euros pour fermer leurs positions. Toutes ces transactions dans le même sens conduiraient cependant à une dépréciation de la couronne, ce qui réduirait les bénéfices de la position (comme les taux négatifs).
Les chiffres de l’inflation de vendredi ont dépassé les attentes, ce qui pourrait encore encourager les achats de CZK, les investisseurs anticipant la suppression du cours plancher de change. Cependant, j’ai eu du mal à trouver une prévision d’appréciation de la couronne nettement au-delà du niveau des 25,7 EURCZK en question, ce qui témoigne peut-être de la crédibilité de la BNT. Que se passera-t-il au moment de la suppression du plancher ? L’avenir nous le dira.
Le budget primitif de l’IFS (Green budget de l’Institut d’Études Fiscales du Royaume-Uni) a fait les gros titres de la presse la semaine dernière. Il prévoit en effet qu’au cours de cette législature, le fardeau fiscal britannique devrait atteindre son plus haut niveau depuis 30 ans. L’IFS a calculé que d’ici 2020, la proportion du revenu national prélevée sous forme d’impôts augmentera à 37 %.
J’ai assisté à la présentation, et le problème le plus préoccupant pour moi est le tableau plutôt sombre dressé par l’IFS en matière de croissance du PIB britannique pour les deux prochaines années. L’économie du Royaume-Uni a enregistré une croissance de 2 % l’an dernier, et l’IFS prévoit un ralentissement de la croissance à 1,6 % cette année et 1,3 % en 2018. Devant une salle pleine, Andrew Goodwin d’Oxford Economics a présenté en détail les composantes du PIB, et a expliqué où les faiblesses futures devraient apparaître.
Consommation
Le tableau ci-dessous – contributeurs à la croissance du PIB en 2016 – montre clairement que l’an dernier, la majeure partie de la croissance est venue des dépenses de consommation.
L’IFS estime qu’une poursuite de la croissance générée par la consommation est peu probable, car les consommateurs devraient subir une forte contraction de leurs revenus réels (suite à une stagnation des salaires et une augmentation de l’inflation), et ils ne pourront pas ou ne souhaiteront pas emprunter pour continuer à dépenser.
Je pense que cet argument a un certain mérite, surtout pour ceux qui sont en âge de travailler et qui ont déjà des niveaux historiquement élevés de dette personnelle. Cependant, comme l’IFS l’a lui-même souligné dans une présentation ultérieure (sur la pression que devrait subir le système de santé publique britannique, le NHS), l’impact de l’évolution démographique sera essentiel. J’estime que ces évolutions démographiques seront un contributeur majeur à la croissance de la consommation britannique dans les années à venir. Je ne pense pas que le fait que le taux d’épargne ait commencé sa récente baisse à peu près en même temps que la première cohorte des baby-boomers atteignait l’âge de la retraite soit une coïncidence.
Le recensement de 2011 a montré qu’au cours de cette seule année, le nombre de personnes atteignant 65 ans a bondi de 30 %. Cette tendance de la génération de l’après-guerre à terminer sa vie professionnelle (et épargner pour la retraite) et à commencer à toucher sa retraite (dépenser cette épargne) n’est pas prête de prendre fin. Je suis convaincu que la « livre grise » aidera à soutenir la consommation au Royaume-Uni pour encore quelque temps.
Je pense que l’on ne doit pas non plus oublier que 52 % des électeurs pensent que leurs conditions de vie s’amélioreront à l’extérieur de l’UE. Qu’ils aient finalement tort ou raison, pourquoi prévoir qu’ils devraient réduire leur consommation à court terme ? Ils ne réduiront sans doute leur consommation que lorsque les conséquences économiques du Brexit commenceront à avoir un impact défavorable, le cas échéant.
Investissement
Selon l’IFS, l’investissement des entreprises devrait rester faible en raison des « risques liés au Brexit ». Je suis d’accord. L’incertitude inhérente liée au fait de passer par une période au cours de laquelle le Royaume-Uni renégocie ses accords commerciaux mondiaux devrait conduire à une pause des investissements, jusqu’à une clarification de la situation.
Dépenses publiques
Pour résumer, l’austérité devrait persister. On ne peut donc pas s’attendre à ce qu’une augmentation des dépenses publiques contribue de façon significative au PIB dans un avenir proche.
Commerce extérieur net
La présentation a souligné que même avec une dévaluation d’environ 20 % de la livre, les exportations de produits non pétroliers ont en fait diminué en glissement annuel. Il semble que jusqu’ici, les exportateurs britanniques aient conservé les mêmes prix de facturation à l’étranger. Les entreprises britanniques ont préféré augmenter leurs marges bénéficiaires plutôt que de tenter d’augmenter leurs parts de marché en réduisant les prix.
Ma prévision est différente. En supposant que la livre sterling ne continue pas à se déprécier (ce qui, je l’avoue, n’est pas certain), une augmentation des bénéfices résultant d’un effet de change ne peut être que ponctuelle. Les entreprises qui souhaitent maintenir cette croissance des bénéfices à l’étranger devront probablement commencer à réduire leurs prix afin de gagner des parts de marché. Si cette stratégie fonctionne, au cours des prochaines années, l’augmentation de la compétitivité des exportateurs britanniques devrait se traduire par une augmentation du volume des exportations, plutôt que simplement par une augmentation des marges bénéficiaires.
Même avec une croissance effective plus positive, la charge fiscale du Royaume-Uni pourrait encore augmenter à des niveaux record, le gouvernement essayant de réduire le déficit. Mais si c’est le cas, le contexte aura été celui d’un renforcement de la croissance économique, tirée par des chiffres de consommation et d’exportation plus solides que ceux que l’IFS prévoit actuellement.
Le coût des nouveaux prêts immobiliers et les mensualités liées aux emprunts existants des ménages peuvent avoir un impact important sur le taux de croissance d’une économie. Pour cette raison, les banquiers centraux s’intéressent au mécanisme de transmission de leur politique monétaire. Il a été démontré que les taux d’intérêt peuvent avoir une influence plus forte sur une économie où les prêts immobiliers à taux variable sont dominants par rapport à ceux à taux fixe. Si les différences entre les marchés hypothécaires des Etats-Unis et du Royaume-Uni sont connues, notamment s’agissant des proportions respectives de taux fixe et de taux variable, certaines tendances intéressantes ont pu être constatées dans le sillage de la crise financière.
Le marché américain des prêts immobiliers est aujourd’hui bien plus orienté vers le taux fixe qu’il ne l’avait été pendant de nombreuses années. La proportion des prêts à taux variable est ainsi passée de plus de 20 % de l’encours en 2005 et 2008, à moins de 10 % aujourd’hui. La maturité moyenne des prêts immobiliers aux Etats-Unis est d’un peu plus de 23 ans, et ce en raison de la prédominance des financements à taux fixe d’une durée de 15 ou 30 ans. La durée effective des crédits immobiliers aux Etats-Unis tend cependant à être bien inférieure, les prêts étant entièrement remboursables par anticipation. Toutefois, si les rendements et les taux de prêts immobiliers continuent d’augmenter, ces crédits auront une durée beaucoup plus longue que par le passé.
Non seulement la proportion des prêts immobiliers à taux fixe est en train de s’accroitre, mais leur taux moyen est tombé à 3,8 %, soit un point bas jamais rencontré auparavant dans les statistiques. En substance, cela signifie que l’emprunteur moyen aux Etats-Unis doit rembourser un crédit immobilier assorti d’une durée résiduelle de 23 ans et d’un taux fixe de seulement 3,8 %.
En allant plus loin, parmi tous les emprunts contractés par les ménages américains, seuls les crédits liés aux cartes bancaires et peut-être ceux gagés sur les biens immobiliers (« home equity loan ») sont à taux variable. Ainsi, près de 90 % de l’ensemble de l’endettement des ménages est à taux fixe. Ce marché des prêts immobiliers, caractérisé par des emprunts à long terme et des taux très bas, a une incidence sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire aux Etats-Unis. Cela signifie que les taux directeurs de la Fed ne sont qu’un outil très approximatif pour ralentir l’économie réelle, car il faut bien plus de temps pour que l’influence de taux d’intérêt plus élevés se fasse ressentir.
En revanche, dans un pays comme le Royaume-Uni où les prêts à taux fixe sont moins présents (et où ce sont surtout les crédits de maturité courte qui sont proposés à taux fixe), le resserrement monétaire devrait se ressentir bien plus rapidement, les ménages devant consacrer davantage de leur revenus à rembourser leurs prêts, et donc moins à des dépenses de consommation. Pour bien faire ressortir le contraste entre ces deux marchés immobiliers, j’ai posé quelques hypothèses simples sur les prix moyens de l’immobilier, les salaires moyens, etc.
De prime abord, si l’on suppose un ratio prêt / valeur du bien de 80 % dans les deux pays, et que l’on retient le taux d’intérêt moyen au sein des deux marchés, il apparaît que les deux marchés exigent des mensualités moyennes similaires, qui s’établissent respectivement à 481 dollars et 433 livres. Toutefois, comme le suggère le ratio simplifié d’accessibilité, ce tableau est trompeur. En pourcentage du salaire mensuel moyen, l’emprunteur américain ne consacre que 11 % de son budget à rembourser son prêt immobilier, contre 20 % pour son cousin britannique.
La grande différence réside sans doute dans la différence de durée de ces prêts : 23,3 années aux Etats-Unis, contre seulement 3,5 années au Royaume-Uni. L’impact de cette différence sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire peut être mieux appréhendé si l’on suppose des hausses de taux d’intérêt. Pour ce faire, je suis parti de l’hypothèse de marges constantes sur les prêts immobiliers et d’un marché britannique composé à proportion égale de crédits à taux variable et à taux fixe (les prêts à taux fixe étant répartis entre les durées 2 ans et 5 ans).
Les avantages induits par des taux fixes ancrés sur de faibles niveaux aux Etats-Unis sont évidents. Pour chaque hausse de 1 % des taux immobiliers, l’emprunteur britannique moyen voit 3 % de son salaire mensuel s’évaporer sous forme de remboursement de dette.
En réalité, deux de mes hypothèses sont même un peu trop optimistes pour le marché britannique. Premièrement, j’ai supposé que la hausse des taux immobiliers intervenait rapidement. Ainsi, ceux qui ont contracté des prêts à taux fixes de 2 ou 5 ans conservent dans ce scénario leurs conditions initiales. N’étant pas arrivés au terme de leur crédit, ils ne sont pas obligés de contracter un nouveau prêt immobilier soit aux taux fixes en vigueur, soit au taux variable standard. Et deuxièmement, j’ai supposé que le taux variable était actuellement égal à la moyenne des taux immobiliers au Royaume-Uni (2,98 %). Une recherche rapide en ligne montre qu’il est sans doute plus proche de 4 %, voire plus.
Même si cette analyse repose sur beaucoup d’hypothèses et souffre donc d’une certaine subjectivité, les implications sont néanmoins claires : le mécanisme monétaire et les effets potentiels sur la consommation varient considérablement entre les deux pays. En cas de resserrement monétaire au Royaume-Uni, la demande et la consommation s’ajusteraient alors assez rapidement. En revanche, les ménages américains sont à ce stade beaucoup moins sensibles aux évolutions de taux, et ces derniers devraient atteindre des niveaux bien plus élevés (ou le temps de latence des mesures monétaires s’allonger considérablement) que ce qui est actuellement intégré par le marché.
1. Dans le contexte actuel, les rendements des emprunts d’État américains à long terme semblent à leur juste valeur, après s’être négociés à des niveaux particulièrement bas depuis le milieu de l’année 2014. Vous trouverez ci-dessous un graphique que vous avez sûrement déjà vu sur le blog, car je l’utilise depuis un certain temps. Il montre la relation entre les anticipations à long terme de la Fed portant sur les taux courts (tirées, avec une certaine prudence, des nuages de points ou « dot plot » publiés par le FOMC) d’une part, et les prévisions à horizon 10 ans du marché obligataire quant au rendement du bon du Trésor américain à 10 ans. Dans les deux cas, nous faisons abstraction des aléas économiques immédiats, et même de l’éventualité de deux mandats consécutifs de Donald Trump (soit une période de huit ans).
Depuis les élections américaines, le marché des emprunts d’État américains a évolué pour intégrer une prime de terme supérieure à 50 points de base. Il apparait ainsi relativement bon marché par rapport à la médiane des anticipations à long terme des membres du FOMC portant sur les taux des fonds fédéraux. Ce modèle simple pourrait-il être erroné ? Oui bien sûr. La prime de terme pourrait ne pas être suffisante, peut-être en raison du facteur lié à la « demande chinoise » que j’évoque ci-dessous. En outre, le FOMC et les marchés pourraient fortement réviser à la hausse leurs perspectives à long terme de taux directeurs. Après tout, ces derniers ont dégringolé depuis que leur médiane a atteint 4,25 % en 2012. Si Trump veut apparaitre crédible quand il parle d’une cible de croissance réelle d’au moins 4 %, alors le taux directeur médian devrait revenir vers ce niveau.
2. La Chine a adhéré à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à la fin de l’année 2001. Depuis lors, elle a accumulé jusqu’à 4 000 milliards de dollars de réserves de change grâce aux revenus issus de ses échanges commerciaux. Une bonne partie de ces réserves est allée se déverser sur le marché des emprunts d’État américains : la Chine détient ainsi 20 pourcents de ce marché, et le Japon 20 autres pourcents. Une estimation laisse entendre que les seuls achats de la Chine ont entrainé une baisse supplémentaire de 50 points de base du rendement du bon du Trésor américain à 10 ans. Cependant, le graphique ci-dessous montre que, depuis le début du ralentissement chinois en 2012, l’Empire du Milieu (中国) est passé d’acheteur net de bons du Trésor, à une position de vendeur net. En outre, depuis le début de l’année 2016, les étrangers pris dans leur ensemble sont devenus vendeurs nets d’emprunts d’État américains. Ce qui a été pendant la décennie ayant précédé l’année 2016 un puissant facteur de soutien pour ce marché s’est transformé en fardeau. Dans ce contexte, une hausse de la prime de terme est peut-être nécessaire.
3. Un autre facteur négatif qui pèse sur les emprunts d’État américains est le coût de la couverture de change supporté par les acheteurs étrangers. Avec des taux directeurs négatifs et des rendements obligataires extrêmement bas en Europe et au Japon, les investisseurs éprouvent de grandes difficultés à atteindre leurs objectifs de rendement (par exemple les compagnies d’assurance qui accordent des taux garantis). Dans ce contexte, un rendement de 2,5 % offert par l’emprunt d’État américain à 10 ans apparaît intéressant, en particulier si la seule alternative est le Bund allemand à 10 ans et son lilliputien rendement de 0,5 %. Malheureusement, la masse de capitaux en provenance d’Europe (et du Japon) cherchant à s’investir dans les bons du Trésor américain, et à couvrir le risque de devises, entraîne une accentuation de la « base de change » déjà négative (influence de l’équilibre offre / demande sur la valeur intrinsèque du coût de la couverture telle que définie par le différentiel de taux d’intérêt). Cette base est de -50 pb pour les investisseurs japonais, et de -35 pb pour les Européens. Cela signifie qu’un investisseur japonais porteur de bons du Trésor américain à 10 ans obtient un rendement de 0,55 % après couverture de change. Ce rendement après couverture n’atteint que 0,46 % pour un investisseur européen. Alors que la base négative n’est pas aussi importante qu’à fin 2016 (à l’époque -90 pb pour le Japon et -60 pb pour l’Europe), les investisseurs européens n’ont toujours pas intérêt à renforcer leurs positions en emprunts d’État américains s’ils souhaitent un surcroit de rendement. En revanche, suite au resserrement de leur base de change, les investisseurs japonais obtiennent de nouveau une prime par rapport à leurs rendements domestiques.
4. Je n’avais pas vu cette analyse sur le moment (en décembre), mais Tracy Alloway de Bloomberg m’a rappelé hier l’article de S&P portant sur les perspectives 2017 et rédigé par l’excellent Moritz Kraemer (« Coup de projecteur sur des risques politiques croissants»). Cet extrait du document fait froid dans le dos, même s’il exagère peut-être sur l’effondrement des institutions démocratiques et juridiques qui, historiquement, ont donné aux économies développées un avantage en matière de notation de crédit par rapport aux pays émergents.
« Nous pensons qu’il n’est peut-être plus possible de distinguer les économies avancées des marchés émergents en décrivant leurs systèmes politiques comme présentant des niveaux supérieurs de stabilité, d’efficacité et de prévisibilité dans l’élaboration des politiques et le fonctionnement de leurs institutions. » Moritz Kramer, Responsable en chef des notations souveraines dans « Notations souveraines 2017 : coup de projecteur sur des risques politiques croissants »
5. J’adore les bonnes histoires de « voitures sans conducteur ». 94 % des accidents de la route sont la conséquence d’erreurs commises par les conducteurs. Cela représente près de 32 000 vies perdues chaque année aux États-Unis. Par ailleurs, 1 don d’organes sur 5 résulte d’accidents de voiture. Si les voitures sans conducteur sont (probablement) plus sûres que celles conduites par les humains, la pénurie de dons d’organes risque d’augmenter de manière significative. Une autre « bonne histoire de conduite » : chaque point d’augmentation du taux de chômage entraîne une baisse de 5 000 décès aux États-Unis, les ralentissements économiques permettant de garder chez eux les mauvais conducteurs… Il est évident que le ralentissement de l’activité économique fait que les gens conduisent moins (et qu’ils ont moins les moyens de conduire). Vous pouvez lire certaines de ces théories dans l’article.
6. L’article du National Institute of Economic and Social Research (NIESR) écrit par le Dr Monique Ebell vaut le détour pour comprendre les impacts d’une sortie de l’UE sur le commerce britannique. Dr Ebell estime que le Brexit pourrait à long terme entraîner une baisse des volumes d’échange du Royaume-Uni de 30 % dans le pire des cas. Le pays pourrait cependant bénéficier d’une augmentation des échanges avec d’autres pays : si le Royaume-Uni disposait d’un accord de libre-échange avec l’ensemble des pays des BRIC, alors les volumes commerciaux progresseraient de 2 %, et un accord similaire avec les économies anglo-saxonnes relancerait son activité commerciale d’un peu moins de 3 %. Malheureusement, aucune de ces augmentations ne permettrait de compenser de manière significative la baisse de 35 % des échanges avec l’UE. Aïe…
7. L’effondrement du taux de syndicalisation se poursuit, malgré la montée du populisme et la colère croissante liée à la faible progression des salaires chez les ouvriers et les techniciens des pays développés. Seuls 10,7 % des Américains sont syndiqués. Ils étaient 11,1 % il y a deux ans, et 20 % dans les années quatre-vingts. Le nombre de syndicats dans le secteur manufacturier a chuté de plus de 50 % depuis l’an 2000. Même si la croissance des salaires outre-Atlantique pourrait atteindre un taux annuel de 3 % plus tard dans l’année, elle a peu de chances de se transformer en tendance durable, en particulier compte tenu de l’assez faible taux de participation de la population active aux États-Unis (comparé aux niveaux qui prévalaient avant la Grande Crise Financière).
8. Le blog de Duncan Weldon qui traite de la Seconde Guerre Mondiale est une réussite. Avons-nous tendance à trop nous focaliser sur la victoire dans cette guerre, et pas assez sur la manière dont le Royaume-Uni a remporté la paix ?
9. L’économiste spécialisé sur la Chine Michael Pettis est une pointure. Il ne surgit pas seulement lors de chacune des conférences économiques auxquelles je participe à travers le monde. Il occupe aussi les ondes de ma radio le dimanche matin, non pas pour parler des entreprises publiques chinoises, mais de la scène musicale punk en Chine… Il a déclaré sur les ondes de la BBC, lors de l’émission Radio 6 Music de Mary-Anne Hobbs que dans l’histoire du XXIe siècle, la musique alternative chinoise datant de dix ans sera considérée comme l’un des plus importants mouvements culturels. Je reste sceptique, mais les lecteurs peuvent se forger leur propre avis en le réécoutant via le lien ci-dessus.
10. Mon livre préféré traitant de la Grande Crise Financière a été « Cette fois, c’est différent» de Carmen Reinhart et Ken Rogoff. Les auteurs démontrent que les nations qui ont vu leur ratio Dette / PIB s’approcher du seuil de 100 % ont subi des ralentissements économiques majeurs. Les auteurs abordent la grande histoire économique dans un style très accessible. J’ai commencé à me demander si, dans un monde où la croissance est restée très faible pour la majorité des pays développés, ce livre n’avait pas été responsable d’un « mot d’ordre viral d’austérité » qui a causé de lourds dommages à l’économie mondiale (et l’instabilité politique qui en a suivi). Nous savons que les réponses keynésiennes à un manque de demande fonctionnent (à discuter…). Ce livre n’a-t-il pas abouti à ce que l’inverse se produise : au Royaume-Uni sous Osborne, ou bien en Europe où l’Allemagne accumule les excédents budgétaires ? Dans quelle mesure ce livre a-t-il contribué à créer le monde de croissance faiblarde dans lequel nous nous débattons désormais ?
11. En parlant de l’Allemagne, voici quelques articles de presse publiés ces dernières semaines (Bild, Focus, FAZ) au sujet d’un retour de l’inflation vers les 2 %. Nos amis d’outre-Rhin sont inquiets…
12. Enfin, je n’attribue en aucune façon la responsabilité de la mort de la fouine dans le grand accélérateur de particules du CERN à notre (toute) nouvelle Directrice générale Anne Richards. Il semble qu’Anne ait quitté le CERN avant que la fouine ne soit tuée par les particules en accélération. Quoi qu’il en soit, la fouine empaillée du CERN est désormais exposée à Rotterdam. On restera bouche bée devant elle. De mon côté, je préfère pour un temps m’éloigner de tout grand équipement électrique que l’on peut trouver dans les bureaux de M&G. Je suis notamment resté à l’écart de mon terminal Bloomberg pendant deux jours la semaine dernière. Une vilaine coupure infligée par une feuille de papier et le soin post-bataille prodigué (un simple pansement…), ne m’ont pas permis de m’identifier avec mes empreintes digitales… J’ai passé deux belles journées.
Les actifs mexicains comptent désormais parmi les choix d’investissement stratégiques sur le marché de la dette émergente suite aux propos de Donald Trump hostiles au Mexique. Je rentre juste d’un voyage de recherche au Mexique, au cours duquel j’ai rencontré des économistes, des analystes et des émetteurs de dette privée mexicains. Voici quelques observations que j’ai relevées durant mon séjour.
Donald Trump a remporté les élections américaines en tenant un discours à l’accent pour le moins protectionniste, et plus particulièrement à l’encontre du Mexique. Or, il semble déterminé à respecter ses promesses électorales (contrairement à la plupart des politiciens aguerris), et il devrait donc mettre en œuvre une partie des mesures qu’il a proposées. Si ses intentions sont claires, la teneur des mesures qu’il va mettre en place pour satisfaire ses électeurs l’est beaucoup moins. Malgré son caractère symbolique, la construction d’un mur à la frontière sud des États-Unis n’aurait qu’un impact limité sur l’économie mexicaine. Toutefois, d’autres mesures que Donald Trump envisage pourraient avoir un effet significatif sur l’économie et les prix des actifs :
(i) L’ajustement frontalier : Donald Trump a promis une réforme fiscale, et notamment une réduction de l’impôt sur les sociétés à un niveau compris entre 15 et 20 %, contre 35 % actuellement. Le nouvel impôt sur les sociétés pourrait être basé sur la localisation de la consommation. En d’autres termes, les importations seraient imposées à hauteur de 15 à 20 %, tandis que les exportations pourraient bénéficier d’une exonération fiscale totale ou partielle. Donald Trump semble privilégier les droits de douane entre partenaires commerciaux plutôt que d’accepter un décalage sur l’application du nouveau taux de l’impôt sur les sociétés.
(ii) Les droits de douane : Les exportations du Mexique vers les États-Unis représentent 80 % du total. Les biens et services échangés dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) représentent environ 25 % de son PIB. En vertu de l’ALENA, les biens éligibles exportés vers les États-Unis sont exonérés de droits de douane. La mise en place de droits de douane sous quelque forme que ce soit affecterait mécaniquement le secteur manufacturier mexicain de façon significative, et en particulier l’industrie automobile. Comme l’indique le graphique ci-dessous, des droits de douane de 35 % entraîneraient une baisse du PIB mexicain comprise entre 0,8 et 0,9 % environ, sachant que ce chiffre ne représente que l’effet dominant et ne tient pas compte des dommages collatéraux tels que l’investissement, la consommation, etc.Étant donné que le PIB mexicain devrait croître entre 1 et 2 % cette année, des droits de douane de 35 % pourraient entraîner une récession. Mais ils signifieraient également une violation de l’ALENA, et une sortie des États-Unis de l’Organisation mondiale du commerce.
(iii) L’imposition des transferts de fonds : Les fonds transférés par les immigrants mexicains légaux et illégaux entre les États-Unis et le Mexique représentent 2 % du PIB. Donald Trump a menacé de taxer et de bloquer ces transferts. La grande majorité des mexicains que j’ai rencontrés considèrent cette mesure irréaliste car elle soulève de nombreux problèmes constitutionnels pour les États-Unis, d’autant que les immigrants trouveront toujours un moyen de transférer de l’argent (via des amis par exemple).
(iv) Les autres mesures comme celles portant sur la sécurité et les barrières commerciales sanitaires : ces mesures non-tarifaires, qui ne nécessitent pas l’approbation du Congrès, affecteraient principalement des secteurs comme celui des produits agricoles mexicains.
Malheureusement pour les représentants du gouvernement mexicain, ils ne sont pas en position de force pour négocier. Selon certaines sources, ils négocient avec l’équipe de Donald Trump depuis plusieurs semaines, si ce n’est plusieurs mois. Le gouvernement mexicain a remplacé certains de ses principaux interlocuteurs afin de tenter d’obtenir l’accord le plus avantageux possible. Le ministre des Finances, Luis Videgaray, qui a invité Donald Trump au Mexique en septembre, est devenu ministre des Affaires étrangères (principalement en raison de ses bonnes relations avec le nouveau président américain).
Le problème, c’est que le Mexique ne dispose que de peu de leviers à la table des négociations. Par exemple, menacer d’ouvrir la frontière sud du pays avec le Guatemala et de laisser tous les immigrants traverser vers les États-Unis ne semble pas tenable car, de toute évidence, le Mexique lui-même ne serait guère favorable à une vague d’immigration massive en provenance des autres pays d’Amérique centrale. Toutefois, l’argument selon lequel l’économie du Texas – qui exporte énormément vers le Mexique comme en témoignent les 1 million d’emplois liés aux exportations – souffrirait d’une guerre commerciale pourrait jouer en faveur du Mexique compte tenu du fait que le Texas est majoritairement républicain.
Selon moi, l’argument le plus pertinent qui puisse être avancé est la dépendance économique réciproque entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, créée par l’ALENA. Par exemple, l’industrie automobile, la plus vulnérable face à une refonte de l’ALENA, est fortement intégrée. Le lendemain de la tragédie du 11 septembre, les États-Unis ont fermé leur frontière avec le Canada pour des raisons de sécurité évidentes. Le 12 septembre 2001, pas un seul véhicule n’a été produit à Détroit car la chaîne d’approvisionnement est hautement intégrée, et les équipementiers de Détroit dépendent des approvisionnements de pièces détachées en provenance du Canada. De plus, j’ai discuté avec des fabricants de pièces détachés pendant ma visite au Mexique, et plusieurs possèdent des plates-formes de production dont l’espérance de vie moyenne est de sept ou huit ans. Ce chiffre est à comparer à un mandat présidentiel de quatre ans (huit tout au plus). Il est peu probable que des entreprises américaines comme General Motors ou Ford suspendent brutalement des contrats existants qui reposent sur des investissements antérieurs. De la même façon, si Donald Trump décidait d’augmenter les droits de douane de façon significative, les entreprises mexicaines répercuteraient cette hausse sur les équipementiers américains. C’est ce qui explique que la mise en place de barrières douanières de 35 % est hautement improbable étant donné que le pouvoir d’achat des consommateurs américains serait rapidement affecté au moment de l’achat d’un véhicule. Il est plus vraisemblable que les équipementiers et autres entreprises américaines décident de suspendre ou d’annuler leurs futurs projets d’investissement. Début janvier, Ford a annulé un projet d’investissement de 1,6 milliard de dollars dans une nouvelle usine au Mexique. Le constructeur a indiqué qu’il allait à la place investir 70 millions de dollars dans son usine existante située dans l’État du Michigan.
Si l’on considère la situation dans son ensemble, le Mexique va certainement vivre une année mouvementée. Les contrariétés (et les tweets !) vont engendrer des incertitudes qui, à leur tour, affecteront très certainement l’investissement. Les investissements directs étrangers (IDE) s’élevaient à environ 25 milliards de dollars l’année dernière, et l’on s’attend désormais à ce qu’ils chutent de manière significative en 2017 en raison des incertitudes liées au discours protectionniste de Donald Trump et à l’ALENA. Entre 2008 et 2015, le déficit de la balance des opérations courantes mexicaine étaient compensée par les IDE. Même s’il n’est pas prévu que ce déficit augmente, la baisse des IDE soulève le problème de savoir comment le Mexique va le financer à l’avenir. Les effets secondaires de la baisse de l’investissement sur l’emploi et la consommation intérieure pourraient aussi accélérer la détérioration du profil de crédit du Mexique. Si l’on ajoute à cela les possibles sorties de capitaux des emprunts d’État libellés en devise locale (détenus à 70 % par des investisseurs étrangers), le tableau s’assombrit encore davantage.
Dans ce contexte, qu’est-ce que les marchés ont déjà intégré dans leurs cours ? Presque rien pour ce qui est du marché des obligations d’entreprises libellées en dollar. Comme l’illustre le graphique ci-dessous, les spreads entre les obligations d’entreprises mexicaines et les bons du Trésor se situent actuellement autour de 300 pb, en baisse de 10 pb par rapport à leur niveau préalable aux élections américaines. Bien sûr, certains secteurs comme le tourisme bénéficient de la dépréciation du peso, mais de nombreuses entreprises (comme celles du secteur des télécommunications) en pâtissent. Quant aux secteurs de la production manufacturière et des biens de consommation, ils sont très dépendants de l’ALENA et les rémunérations liées aux spreads obligataires ne reflètent pas le risque que constitue la mise en place de ces droits de douane. Pour autant que je puisse en juger, les spreads obligataires ont déjà intégré le potentiel haussier de la croissance américaine, qui conditionne l’augmentation des échanges commerciaux avec le Mexique. Personnellement, je ne partage pas cet optimisme.
Le peso mexicain, qui intègre déjà de nombreuses mauvaises nouvelles, recèle vraisemblablement un potentiel d’appréciation supérieur. Intègre-t-il les droits de douane de 35 % ? Certainement pas. Mais il s’est déprécié de plus de 15 % face au dollar depuis les élections américaines de novembre et, en rendant l’économie mexicaine plus concurrentielle sur le plan des exportations, il semble intégrer un certain degré de modification de l’ALENA, ce qui représente un scénario raisonnable.
Du point de vue des marchés mondiaux, la façon dont le nouveau gouvernement américain modifiera sa relation avec le Mexique dans un avenir proche pourrait donner le ton pour les questions encore plus importantes, notamment celle des relations sino-américaines, faisant ainsi de l’opposition entre Donald Trump et le Mexique un indicateur décisif pour la plupart des investisseurs à travers le monde.