Les États-Unis n’ont pas encore qualifié la Suisse de manipulateur de devise

La Suisse a récemment fait les gros titres après avoir été identifiée par le Trésor américain comme l’un des potentiels manipulateurs de devise. S’agissant des pays à risque, un rapport publié récemment par le Trésor américain établit trois critères principaux qui lui permettent d’évaluer si un pays « adopte des pratiques déloyales ». Premièrement, le pays possède un bilan commercial bilatéral fortement excédentaire avec les États-Unis, dont le seuil est fixé à 20 milliards de dollars. Deuxièmement, le Trésor américain analyse plus minutieusement la situation des pays dont l’excédent de la balance des opérations courantes est supérieur à 3 % du PIB. Enfin, les interventions répétées et unilatérales d’un pays sur sa devise équivalentes à plus de 2 % du PIB sur une période de 12 mois pourraient indiquer qu’il la manipule, et donc qu’il met volontairement « en difficulté les travailleurs et les entreprises aux États-Unis ».

D’après le rapport, la Suisse dépasse le seuil admis pour deux des trois critères d’évaluation définis par le Trésor américain, et a été placée, au même titre que la Chine, le Japon, la Corée, Taïwan et l’Allemagne, sur une liste de pays dont « les pratiques en matière de devise méritent d’être surveillées extrêmement attentivement ».

Le rapport recommande également aux autorités suisses de prendre des actions concrètes afin que le pays soit retiré de la liste de surveillance. Ces actions comprennent notamment un retour à des outils de politique monétaire plus traditionnels, la divulgation des informations relatives aux interventions en faveur de la devise, et un assouplissement budgétaire plus important dans l’économie suisse. S’agissant de ce dernier point, s’il est vrai que la Suisse dispose d’une certaine marge de manœuvre pour avoir recours à la politique budgétaire pour relancer la croissance, l’économie suisse est fortement tributaire de ses principaux partenaires commerciaux et extrêmement dépendante d’un taux de change concurrentiel. Une augmentation des dépenses budgétaires, et pas seulement en lieu et place des mesures monétaires, pourrait se retourner contre les autorités en provoquant une appréciation inopportune du franc suisse, surtout si la croissance de la Suisse est trop décorrélée de la moyenne de la zone euro.

Quant à la recommandation incitant au recours d’outils monétaires plus traditionnels, c’est plus facile à dire qu’à faire. La Banque nationale suisse (BNS) a joué cette carte par le passé, avant de commencer à intervenir massivement sur le marché des changes. Le taux directeur suisse est nettement négatif à -0,75 % et, comme je l’ai déjà indiqué sur mon blog, il continue d’affecter la rentabilité du secteur financier, lequel est un contributeur majeur au PIB du pays.

La BNS possède des réserves de change dont le montant est proche de 100 % du PIB suisse, ce qui rend son bilan vulnérable aux mouvements de devises. Élément important, en dépit de toutes les interventions, le franc suisse semble surévalué par rapport au dollar sur la base du pouvoir d’achat et il serait par conséquent curieux d’affirmer, du point de vue des États-Unis, que l’économie suisse s’arroge un avantage lié à une dévaluation de sa monnaie. Interrogé sur la manipulation du franc suisse, le président de la BNS, Thomas Jordan, a récemment déclaré dans un entretien avec le journal Schweiz am Wochenende : « Les interventions n’ont pas vocation à nous conférer un avantage lié à une monnaie dévaluée. Au contraire, elles ont pour but de protéger le pays contre une appréciation importante du franc suisse et ses effets négatifs sur l’économie nationale. Les instances internationales en sont conscientes et l’admettent ».

À l’avenir, il existe un risque que l’ajustement constant du taux de change par la BNS soit utilisé par le Trésor américain comme exemple de sa détermination à surveiller attentivement les pratiques déloyales en matière de change et à les combattre de façon agressive. Si c’était le cas, le Trésor américain remédierait à ses inquiétudes par le biais d’accords bilatéraux et, si la Suisse ne prenait pas de mesures suffisantes pour résoudre le problème dans un délai d’un an, pourrait alors avoir recours à des barrières douanières visant à augmenter le prix des importations suisses vers les États-Unis.

L’impact pour la confédération helvétique serait alors significatif. Selon la Federal Customs Authority (Service Fédéral des Douanes), le montant total des exportations suisses a atteint 210 milliards de francs suisses en 2016, dont 35 milliards vers les États-Unis. Si ce chiffre semble modeste en comparaison des exportations vers la zone euro (94 milliards de francs suisses), il l’est moins si l’on considère les exportations nettes. La Suisse ayant importé pour 110 milliards de francs suisses de bien en provenance de la zone euro en 2016, elle affiche un déficit commercial avec son partenaire européen. À l’inverse, elle affiche un excédent commercial avec les États-Unis. L’année dernière, la croissance des exportations suisses vers le marché américain a aussi été la plus significative avec une augmentation de plus de 4 milliards de francs suisses, grâce notamment à l’industrie pharmaceutique. Les importations en provenance des États-Unis ont augmenté sur la même période, mais à un rythme moindre (3 milliards de francs suisses), ce qui a eu pour effet d’accroître l’excédent commercial suisse.

Si cette tendance se poursuit, la Suisse court le risque de dépasser le seuil fixé pour l’excédent commercial (20 milliards de francs suisses), le seul critère du rapport qu’elle respecte encore. Si le pays devait être taxé de manipulateur de devise, l’approche la plus prudente pour la BNS pourrait être de permettre à sa monnaie de s’apprécier afin d’éviter la mise en place de barrières douanières sur ses exportations vers les États-Unis. Ce serait un moindre mal pour la Suisse, qui pourrait faire en sorte d’éviter les foudres du Trésor américain.

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Mario Eisenegger

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