Les marchés financiers ont été remarquablement résistants au cours de l’année 2017. Bien sûr, l’environnement géopolitique a été émaillé de quelques journées alarmantes qui ont entraîné des ventes massives. Mais dans l’ensemble, la volatilité a été faible et la plupart des classes d’actifs ont généré de solides performances. Cela dit, n’importe quel fan de films d’horreur vous expliquera que les moments les plus angoissants de ce genre cinématographique ont lieu quand les choses semblent relativement calmes. Dans cet esprit, voici quelques graphiques qui mettent en lumière un certain nombre de menaces qui pointent sous la surface de l’économie mondiale.
- L’assouplissement quantitatif de la BCE a soutenu les marchés d’emprunts d’Etat
La vigueur de l’économie européenne et les signes d’amélioration du marché de l’emploi dans l’ensemble de la zone euro ont constitué la bonne surprise de l’année 2017. Il est indéniable que la BCE, via son programme d’assouplissement quantitatif (« QE »), a joué un rôle majeur dans l’embellie économique constatée jusque-là. De nombreux observateurs font valoir que la forte détente des rendements obligataires des pays périphériques est un signe que la crise de la dette souveraine en zone euro est bel et bien révolue. La question est de savoir si la baisse des rendements signifie une plus grande confiance dans la capacité des pays de la zone euro à rembourser leur dette, ou si elle résulte seulement des achats d’actifs auxquels la BCE a procédé depuis le début du programme de QE. Le graphique ci-dessus, publié dans le dernier Rapport sur la Stabilité Financière Mondiale du FMI, montre que les achats officiels de dettes de la zone euro ont éclipsé les émissions nettes depuis mai 2015. En effet, les achats de la BCE au titre du QE représentent actuellement 7 fois le montant des émissions nettes. Dans ce contexte, doit-on s’étonner que les rendements aient baissé, et que va-t-il se passer quand la BCE va essayer de fermer le robinet ?
- La dette est un animal qui ne peut pas être apprivoisé
Dans les économies avancées du G20, le rapport dette/PIB a augmenté régulièrement au cours de la dernière décennie et s’élève désormais à plus de 260 % du PIB, soit 135 000 milliards de dollars : 135 000 000 000 000 USD… C’est en effet énorme. Même si cette dette représente un actif inscrit sur un autre bilan, il est indéniable que les gouvernements, les entreprises, et les ménages n’ont jamais autant vécu au-dessus de leurs moyens. C’est pour cette raison que les taux d’intérêt des économies avancées sont aussi bas, et qu’ils ont peu de chances de revenir aux niveaux observés avant la crise financière de 2008. Pour vous, investisseurs, cela signifie que vous allez devoir prendre davantage de risques pour obtenir des performances positives après inflation.
- Les investisseurs se sont rués comme un seul homme sur les actifs risqués
La politique accommodante de la banque centrale a encouragé les investisseurs à détenir des actifs de plus en plus risqués. Même si on peut appeler ce phénomène un « rebalancement de portefeuille », et bien que les banques centrales considèrent que cela va les aider à relancer l’inflation, cette tendance peut aussi présenter un risque important pour le système financier mondial. Aux Etats-Unis et en Europe, les encours des fonds investis sur les marchés « high yield » ont considérablement progressé. Du côté des marchés émergents, des politiques monétaires accommodantes de grande ampleur ont encouragé une partie importante des capitaux à s’investir dans les économies émergentes. Les estimations du FMI indiquent qu’environ 260 milliards de dollars d’investissement depuis 2010 peuvent être attribués au programme d’assouplissement quantitatif de la Fed.
Un regain d’aversion au risque ou une forme de choc externe (comme l’effondrement du prix du pétrole en 2014) poseraient un sérieux problème pour la performance des investissements dans les classes d’actifs risquées telles que les marchés émergents et les obligations à haut rendement. Si les investisseurs cherchaient à sortir de ces marchés, cela pourrait déclencher des ventes d’actifs risqués moins liquides détenus dans des fonds, ce qui entraînerait des baisses de cours significatives. Le rythme très progressif de la normalisation des politiques monétaires pourrait être en train d’aggraver ces risques, le maintien d’une faible volatilité et de rendements bas encourageant les investisseurs à augmenter l’exposition au risque de crédit, la duration et l’effet de levier financier.
- Malgré de faibles taux de chômage, les salaires n’augmentent pas sensiblement et la productivité reste basse
Une médiocre croissance des salaires, malgré de faibles taux de chômage, est un signe de la baisse du pouvoir des travailleurs à fixer les prix comme facteur de production. C’est un problème, car les marchés du travail ont toujours été considérés comme essentiel pour l’inflation, la hausse des salaires conduisant généralement à une augmentation des coûts de production, ce qui à son tour entraîne une hausse de l’inflation. Pour la première fois, les banquiers centraux comme Mario Draghi et Haruhiko Kuroda ont appelé les syndicats à intensifier leurs exigences salariales, Draghi indiquant que les salaires étaient le « principal moteur de l’inflation ».
Plus les travailleurs sont en mesure d’augmenter leur pouvoir de fixation des prix, plus les revendications salariales ont des chances d’être acceptées par les entreprises. Malheureusement pour les salariés à revenus faibles et moyens des économies du G7, le pouvoir de fixation des prix a chuté depuis le début des années 1990. Le déclin des taux de densité et de couverture syndicales, combiné à une baisse de la protection de l’emploi, ont fragilisé la capacité des salariés à négocier des hausses de salaires. À moins que les employés commencent à exiger de meilleures rémunérations, il est probable qu’ils continuent de subir une baisse des salaires réels. Cela a été le cas au Royaume-Uni : les coûts unitaires de main-d’œuvre et l’inflation ont respectivement progressé de 16 % et 25 % depuis 2008.
- Vous avez bien sûr droit à un graphique sur le Brexit
Si l’on en croit les articles quotidiens de la presse britannique, les négociations entre le Royaume-Uni et l’Europe n’ont pas l’air d’avancer. Pour mettre en évidence l’ampleur du défi auquel le Royaume-Uni est confronté, ce graphique présente la part des différents types d’accords d’échange dans le commerce britannique total. Selon Bruegel, environ 51 % des échanges britanniques sont aujourd’hui réalisés avec l’UE, 4 % avec des pays qui sont dans l’EEE ou qui ont noué un accord d’union douanière, et 9 % en vertu d’accords commerciaux préférentiels avec l’UE (« ACP »). 21 % des échanges sont réalisés avec des pays qui sont en train de négocier un ACP.
En mars 2019, à moins qu’une forme d’accord soit trouvée, le Royaume-Uni devra renégocier des accords d’échange avec la plupart de ses partenaires commerciaux. Cela représenterait un défi majeur car les accords d’échange complexes ne sont pas faciles à négocier et prennent souvent des années avant d’être signés. Si le Royaume-Uni se retrouve en dehors du marché unique et de l’union douanière de l’UE, des barrières commerciales tant tarifaires que non tarifaires (telles que des quotas, des embargos, ou des taxes) sont susceptibles d’être mises en place avec ses principaux partenaires commerciaux européens. Certains secteurs et certaines entreprises pourraient être confrontés à un accès beaucoup plus restreint au marché européen, ce qui constituerait un frein considérable à la croissance à court terme de l’économie britannique.
Alors que le marché se prépare à la réunion très attendue de la Banque Centrale Européenne de jeudi, deux autres banques centrales européennes doivent se réunir plus tôt le même jour : celles de Suède et de Norvège.
J’étais à Washington il y a quelques semaines pour assister aux conférences organisées par la Banque Mondiale et le FMI. Ce fut une excellente occasion d’écouter des économistes et des décideurs monétaires. Ces allocutions ont rappelé de façon opportune que les banques centrales européennes devraient se montrer plus patientes (c.-à-d. accommodantes) qu’anticipé par les participants de marché, en particulier ceux qui entretiennent de solides liens commerciaux avec la zone euro. Dans le cas de la Suède, il a fallu 6 ans pour que la croissance se redresse et adopte une trajectoire haussière convaincante, de même que pour l’inflation et les anticipations de marché. Les décideurs monétaires ne voudront pas s’attaquer à la hausse de l’inflation de façon prématurée.
Beaucoup ont spéculé dernièrement sur l’attitude de la BCE : va-t-elle amender à la marge sa politique ou bien commencer à préparer la sortie de son programme d’assouplissement quantitatif (« QE ») ? La Riksbank suédoise a mis en œuvre son propre assouplissement quantitatif. Même si les fondamentaux économiques de la Suède se sont améliorés sur une grande partie de l’année, ce qui peut justifier une normalisation, je n’anticipe pas une telle décision avant l’annonce de la BCE. En effet, pour les pays scandinaves (notamment la Suède, la Norvège et le Danemark qui sont de petites économies ouvertes dont une part importante du PIB provient des échanges commerciaux), le taux de change est crucial. Le taux de change agit comme le principal mécanisme de transmission de la politique monétaire (les décideurs danois, compte tenu des parités actuelles de la couronne, sont évidemment les plus explicites à ce sujet).
Comme la Suède et la Norvège ont des liens économiques étroits avec leurs partenaires commerciaux de la zone euro, ni la Riksbank suédoise, ni la Norges Bank ne voudront voir leurs devises respectives s’apprécier (au risque de manquer leur cible d’inflation) par la mise en œuvre d’une politique monétaire restrictive. Cela ne conduirait qu’à subir le désavantage de celui qui tire le premier. Aussi, avant de se lancer dans leur propre normalisation monétaire, ces deux institutions seront en position d’attente jeudi vis à vis de la BCE.
Le dernier sujet qui mérite d’être mentionné a trait à l’effet de levier dans le secteur de l’immobilier de logement. Le graphique ci-dessous montre comment ce problème s’amplifie, non seulement en Scandinavie, mais aussi dans des pays comme le Canada ou l’Australie. Il est difficile de trouver des études qui ne considèrent pas ce sujet comme un problème croissant dans ces pays. Le raisonnement s’accompagne souvent d’arguments sur les raisons pour lesquelles les banquiers centraux ne seront pas en mesure de relever leurs taux directeurs de façon significative. La Scandinavie a essentiellement besoin de 2 taux d’intérêt : le premier (qui est beaucoup, beaucoup plus élevé) afin de freiner l’emballement du marché de l’immobilier résidentiel, et le second (qui devrait rester faible) permettant aux entreprises de la région de rester concurrentielles par rapport à celles du continent.
Depuis les conférences de Washington, j’ai cependant remarqué combien les banquiers centraux du monde entier ont pris soin de souligner que la stabilité financière ne faisait pas partie de leur domaine d’intervention. L’endettement des ménages est certes sur leur radar, mais il s’agit là d’un problème à régler par des outils macro-prudentiels ou par le pouvoir politique, mais sûrement pas par des mesures monétaires traditionnelles. La balle n’est désormais plus dans le même camp. Si les banquiers centraux scandinaves décident d’entamer un cycle de remontée de leurs taux directeurs, ce ne sont pas les craintes suscitées par le secteur du logement qui les empêcheront de le faire. Les participants de marché feraient bien de se souvenir que les banquiers centraux, au moment d’enclencher leurs cycles de resserrement monétaire, peuvent se montrer indifférents aux excès du marché immobilier.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Anthony Doyle et Helen Thomas.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.
Achèteriez-vous une obligation non garantie à 7 ans offrant un rendement de 6 %, émise par une compagnie aérienne brésilienne notée B1/B + (dont c’est la première émission), obligation assortie de clauses de sauvegarde bien inférieures aux normes de protection des investisseurs ? Beaucoup l’ont fait la semaine dernière. Peu l’auraient fait il y a un an.
Cette année, dans le but de capter des rendements plus élevés, de nombreux investisseurs sur les marchés de dette émergente ont été tentés de descendre toujours plus bas sur l’échelle de la qualité de crédit. Les entrées massives de capitaux dans la classe actifs combinées à la faiblesse actuelle des taux de défaut ont contribué à renforcer cette tendance. Le marché primaire, en particulier celui des premières émissions, est devenu un segment très recherché. C’est souvent le cas quand les investisseurs identifient des opportunités créées par des anomalies de valorisations leur permettant de capter des primes de spread sur de nouvelles émissions. La contrepartie de cette forte demande en nouvelles émissions à haut rendement sur les marchés émergents réside dans une réduction de la protection apportée habituellement par les clauses de sauvegarde (« covenants »). Les sociétés émettrices, aidées de leurs conseils financiers, ont augmenté leur flexibilité financière en réduisant la protection des investisseurs prévue dans la documentation des instruments obligataires. Pour faire court, la quête de rendement sur les marchés émergents est depuis quelque temps en train de mettre à mal les clauses de sauvegardes des obligations à haut rendement.
J’ai pu constater de nombreux exemples au cours des six derniers mois. Exemple le plus étrange qu’il m’a été donné de voir : un acteur de la santé opérant sur le continent asiatique a émis des obligations perpétuelles non notées assorties d’un droit de remboursement anticipé (« call ») en cas de changement de contrôle, en lieu et place pas d’un droit de vente accordé aux porteurs (« put ») ! La société émettrice (et non par le porteur) s’est donc octroyé le droit, mais pas l’obligation, de rembourser ses propres obligations à un prix de 101 % dans le cas où elle changerait de propriétaire. Dans les faits, cela revient à donner à cette société un chèque en blanc pour s’engager dans des opérations de fusion-acquisition sans avoir à refinancer l’actuelle structure de capital. J’ai demandé à nos gérants européens et américains d’obligations à haut rendement s’ils avaient déjà vu quelque chose de similaire. Eux non plus n’ont jamais rencontré de telles caractéristiques…
Puis, nous avons vu arriver sur le marché un certain nombre d’émetteurs notés en milieu de fourchette BB, en particulier en provenance d’Amérique latine. Ces émetteurs ont respecté certaines des normes du marché du haut rendement en matière de clauses de sauvegarde. Ils ont par exemples proposé des restrictions sur le montant de la dette qu’ils sont autorisés à émettre en fonction d’un ratio minimum de couverture des frais fixes (EBITDA/intérêts), ainsi que des restrictions similaires sur des versements tels que des dividendes sur la base du même ratio. Cependant, aucune de ces restrictions ne reposaient sur un ratio d’endettement (dette/EBITDA), ce qui est pourtant la norme du marché.
Enfin, nous avons eu droit la semaine dernière à cette compagnie aérienne brésilienne qui a émis avec succès des obligations notées B+/B1. Ces titres sont dépourvus de toutes restrictions, que cela concerne le montant de dette que la société peut émettre ou des dividendes qu’elle verse à ses actionnaires. En l’absence de contrôle exercé par les porteurs de ces obligations non garanties, cela signifie en théorie que la société pourra privilégier ses actionnaires au détriment de son profil de crédit. J’imagine qu’aucune des banques prêteuses n’accepterait des conditions similaires sur de la dette garantie.
Je pense que les investisseurs en dette émergente d’entreprises ont tout faux. En période de reprise économique, comme celle que connaissent actuellement les marchés émergents, les entreprises ont tendance à s’engager davantage dans leur flux de dividendes ou dans des projets de transformation (fusion-acquisition, augmentation massive des investissements). A l’opposé, en période de difficultés économiques, la discipline financière est généralement de mise afin de préserver les flux de trésorerie, les indicateurs de crédit, la confiance des investisseurs et, au final, l’accès aux marchés des capitaux. Ce comportement vise à s’assurer que le refinancement des échéances se fera toujours à un coût acceptable pour les émetteurs. En d’autres termes, les clauses de sauvegarde constituent une protection en cas de difficulté. Elles sont selon moi d’autant plus vitales que les spreads des obligations d’entreprises sont serrés. Dans le contexte actuel du marché, les capitaux à la recherche d’un surcroît de rendement sont agnostiques vis-à-vis des risques d’une éventuelle récession. Cette médiocre sélection de titres est de nature à fragiliser les performances dans un scénario de correction. Parallèlement, les investisseurs qui en période favorable ont procédé à des choix à la fois prudents et sélectifs en matière de crédit devraient être mieux armés pour affronter la tempête.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Mario Eisenegger.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.
- La présidence de la Fed devrait être un choix évident pour Donald Trump. Janet Yellen sans hésiter. Je ne comprends pas ce qui pourrait le pousser à choisir John Taylor.
Donald Trump devrait officialiser son choix pour le prochain mandat à la tête de la Fed d’ici la fin du mois. La Présidente actuellement en poste, Janet Yellen, est toujours en course, mais sa cote a baissé ces dernières semaines. Du point de vue de Donald Trump, il existe trois raisons valables de confier un nouveau mandat à Janet Yellen.
- Il est inutile de réparer ce qui fonctionne correctement (le taux de chômage et la volatilité sont faibles, la bourse est au plus haut).
- Janet Yellen est de loin la candidate la plus accommodante. Donald Trump souhaite voir l’économie fonctionner à plein régime.
- Janet Yellen est remplaçable. Elle n’est pas une amie de la famille (comme c’est le cas pour Kevin Warsh), et elle appartient au camp démocrate et à l’establishment de Washington (« Washington swamp ») contre lequel Donald Trump a fait campagne. Elle est donc la candidate idéale pour endosser la responsabilité d’une potentielle chute des marchés boursiers.
Le week-end dernier, des « sources proches du dossier » ont indiqué à Bloomberg que Donald Trump favorisait la candidature de l’économiste John Taylor, de Stanford University, après l’avoir reçu en entretien la semaine précédente. Trump est sans doute conscient que la fameuse règle de Taylor se traduirait probablement par un relèvement des taux beaucoup plus agressif de la part de la Fed que les attentes actuelles du marché (en prenant l’hypothèse d’un niveau neutre des taux d’intérêt de 2 %, les fonds fédéraux pourraient se hisser à plus de 3,5 %. Beaucoup considèrent que le niveau neutre des taux est actuellement bien inférieur, mais même dans ce cas, une Fed très pointilleuse par rapport aux règles semble plus inflexible que ne le souhaiterait un homme d’affaires comme Donald Trump.
Malgré sa belle remontée, John Taylor ne devance pas encore Jerome Powell auprès des bookmakers. Mais avec une cote de 10 contre 1, Janet Yellen est désormais un outsider sérieux. Si j’étais Trump, mon choix se porterait sur elle.
- Les spreads de crédit sont proches de leurs plus bas d’avant la crise financière, malgré le niveau global des spreads.
En observant le niveau global des spreads de l’univers obligataire investment grade, on est rassuré de constater qu’en dépit du rebond des cours des obligations d’entreprises ces deux dernières années (en particulier depuis la décision de la BCE de les rendre éligibles à son programme d’assouplissement quantitatif), les valorisations sont à nouveau conformes à leur moyenne à long terme.
Malheureusement, l’univers des obligations « investment grade » mondiales a tellement évolué depuis la crise financière que cette moyenne à long terme est presque dénuée de sens. La qualité de cette classe d’actifs s’est fortement détériorée ces dernières années. Cette détérioration est en partie délibérée, les entreprises concernées estimant qu’accroître leur niveau d’endettement pouvait améliorer la performance de leurs actions (et leur permettre de tirer parti du « bouclier fiscal » de la déductibilité des intérêts). Elle reflète aussi la dégradation à grande échelle des notes de crédit des banques et des institutions financières pendant et après la crise du crédit. À titre d’exemple, la notation de Barclays Bank auprès de Moody’s était Aa2 en 2007, contre Baa2 aujourd’hui. Si l’on observe le marché dans son ensemble, on constate qu’en 2000 le marché du crédit de la zone euro (embryonnaire à l’époque) comportait moins de 10 % de titres notés BBB contre un peu plus de 30 % sur le marché américain.
Aujourd’hui, les marchés mondiaux du crédit sont exposés aux émetteurs notés BBB à près de 45 %, et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Il faut également garder à l’esprit que les notations de crédit ne sont pas linéaires mais exponentielles – plus on se rapproche de la limite de la catégorie du haut rendement et plus le risque de défaut augmente sensiblement. Les marchés mondiaux du crédit présentent actuellement un profil de notation beaucoup plus risqué qu’il y a dix ans.
Le spread de crédit de l’indice représentatif des titres internationaux notés BBB est actuellement de 134 pb. Ce niveau est proche du point bas (120 pb) enregistré en 2007, l’année du pic de la bulle spéculative avant la crise financière, et bien inférieur au spread moyen de 200 pb que les actifs notés BBB ont offert depuis 2002.
Les marchés mondiaux du crédit ne sont donc plus correctement valorisés mais désormais chers. Il existe plusieurs raisons à cela : l’éligibilité des obligations d’entreprises au programme d’assouplissement quantitatif de la BCE, le taux de défaut qui demeure très faible (il pourrait être de 1,5 % en 2017 pour l’ensemble de l’univers du crédit, y compris le segment du haut rendement, contre plus de 2 % en 2016), et la demande soutenue et continue de la part des investisseurs américains en faveur notamment des actifs générant des revenus (comme en témoignent les flux d’ETF vers les fonds obligataires de catégorie investment grade en dollar). Mais il n’en demeure pas moins que la qualité de crédit s’est détériorée sur ce marché, et que la rémunération du risque est bien moins attractive qu’elle ne l’était auparavant.
- La Banque du Japon est optimiste à l’égard de la croissance, mais avant tout en raison de ses anticipations déflationnistes.
Le vice-gouverneur de la Banque du Japon (BoJ), Hiroshi Nakaso, était à Londres il y a deux semaines, où il a fait part de son optimisme à l’égard de la croissance potentielle de l’économie japonaise. Vous pouvez avoir accès à sa présentation en cliquant ici. Son discours laissait raisonnablement entendre que des « trois flèches » de Shinzo Abe (politique budgétaire, politique monétaire et réformes structurelles), seule la dernière aura un réel impact sur les perspectives de croissance du Japon. Hiroshi Nakaso s’est notamment montré particulièrement optimiste quant aux perspectives de croissance de la population active parmi le troisième âge et les travailleurs étrangers (le taux de participation des femmes japonaises à l’activité économique est désormais supérieur à ceux du Royaume-Uni et des États-Unis). Sur le plan de la politique monétaire, j’ai trouvé la diapositive ci-dessous particulièrement intéressante. Elle montre une segmentation, réalisée par la BoJ, de la courbe de Phillips pour le marché japonais, par rapport aux autres pays. Premièrement, il convient de noter que la courbe de Phillips est beaucoup plus aplatie au Japon qu’aux États-Unis et ailleurs (graphique de droite). Le taux de chômage a chuté de 5,5 % à 2,9 % tandis que les salaires n’ont quasiment pas augmenté. Mais deuxièmement, il y a lieu de s’inquiéter par rapport au graphique de gauche. « L’inertie » montre que le faible niveau actuel d’inflation au Japon est essentiellement imputable au faible niveau d’inflation des périodes précédentes. En d’autres termes, la composante « anticipative » de la courbe de Phillips est bien plus importante au Japon qu’aux États-Unis ou ailleurs, ce qui démontre à quel point il est important a) que le Japon franchisse la barrière psychologique de la stagnation des prix (en s’appuyant sur une politique des salaires ? en relevant les taux d’intérêt afin de montrer que l’économie est sortie de l’ornière ?) et b) que les banques centrales occidentales empêchent aussi la logique déflationniste de se développer dans leurs économies.
- La première cyber-attaque ? Sur le marché français des emprunts d’État (en 1834).
J’ai beaucoup apprécié cet article de Tom Standage dans le magazine 1843, publié par The Economist. En 1834, les frères Blanc, banquiers à Bordeaux, soudoyèrent les opérateurs d’un système de télégraphe aérien pour que ces derniers introduisent délibérément des « coquilles » dans les messages transmis sur le réseau, indiquant les mouvements obligataires du marché du jour précédent. Ce stratagème leur permis de prendre des positions avant que les messages officiels ne parviennent à Bordeaux, parfois plusieurs jours après. La combine fut découverte après deux ans de fonctionnement. Les frères Blanc furent poursuivis, puis acquittés au motif « qu’il n’existait pas de loi contre l’utilisation abusive des informations transmises sur les réseaux ». Un article qui mérite d’être lu.
- Tesla et les « produits endommagés ».
Puisque nous parlons technologies, le constructeur automobile préféré du marché (dont le titre a progressé de près de 66 % depuis le début de l’année) a fait parler de lui au moment où l’ouragan Irma a frappé les Antilles et la Floride, grâce à « une leçon inattendue d’électronique moderne grand public en cours de route » (voir l’article du Guardian ici). Tesla a pu octroyer à distance une charge supplémentaire de 50 kilomètres à ses modèles d’entrée de gamme grâce à une mise à niveau de son logiciel, afin de permettre aux conducteurs de s’éloigner de la trajectoire de l’ouragan en toute sécurité. La batterie de ces véhicules possédait exactement la même autonomie que celle des modèles haut de gamme, mais un logiciel la limitait à 80 % de sa capacité.
« Produits endommagés » est un article du MIT datant de 1996 qui montra à l’époque comment les entreprises technologiques pouvaient « dégrader une partie de leurs produits afin de pratiquer des prix discriminatoires ». Dans certains cas, ces entreprises pouvaient introduire des technologies supplémentaires dans une imprimante, par exemple, afin de la ralentir par rapport aux modèles les plus chers. Par conséquent, les modèles meilleur marché affichaient des coûts de production plus élevés que les modèles haut de gamme. On ne peut évidemment que saluer le geste de Tesla, mais il a relancé le débat des « produits endommagés ».
- La position extérieure nette du Royaume-Uni est légèrement inférieure à ce que l’on pensait…
Le Daily Telegraph a publié cet article hier, laissant entendre que le Royaume-Uni est plus pauvre de près de 500 milliards de livres sterling que « ce que l’on pensait ». Grâce à une révision des données effectuée par l’ONS, une position positive importante d’actifs nets possédés par le Royaume-Uni à l’étranger s’est transformée en un déficit de 21 milliards de livres sterling. En d’autres termes, la valeur totale des investissements britanniques à l’étranger est inférieure à celle des investissements étrangers au Royaume-Uni. Le graphique ci-dessous, établi par Royal Bank of Scotland, montre l’ampleur de cette révision mais aussi que les investissements britanniques à l’étranger ont fortement augmenté au cours des douze derniers mois environ. Cette hausse est due à la chute de la livre sterling suite au Brexit, conférant aux actifs britanniques à l’étranger une valorisation supposément supérieure en livre sterling. Comme l’explique Peter Schaffrik, du groupe RBC, « la révision pour l’année 2016 ne crée pas un nouveau problème, elle nous rappelle qu’il faut se pencher sur un problème existant ». Il devient difficile de générer suffisamment de revenus nets extérieurs pour réduire l’important déficit de la balance des opérations courantes du Royaume-Uni, étant donné le déficit de notre position nette extérieure. Une nouvelle dépréciation de la livre sterling est-elle nécessaire ?
- La nappe de Laffer.
L’économiste Arthur Laffer est de retour dans l’actualité. C’est à lui que l’on attribue la théorie selon laquelle la baisse du taux d’imposition entraîne une hausse des recettes de l’État, et donc une baisse de l’endettement public, puisqu’une accélération de la croissance induit une augmentation de la taille du gâteau économique. Cette théorie n’a pas nécessairement résisté à l’épreuve du temps (sous Ronald Reagan, le ratio dette publique/PIB a considérablement augmenté malgré la réduction du taux d’imposition), mais Donald Trump, qui souhaite une baisse d’impôts significative aux États-Unis et le plus vite possible, adoubait hier Arthur Laffer dans l’un de ses tweets.
Mais ce dernier fait l’actualité pour une autre raison, comme notre collaboratrice Anjulie Rusius s’en est aperçue ce week-end à Washington lors des réunions du FMI et de la Banque mondiale. Frappée d’ennui, comme on peut l’être après une heure ou deux dans la capitale, elle s’est rendue au Smithsonian Museum pour examiner une relique qu’elle rêvait de découvrir depuis toujours, à savoir la fameuse nappe sur laquelle Arthur Laffer avait gribouillé à l’époque sa « courbe » pour la première fois lors d’un dîner. Au moment précis où elle effectuait une recherche Internet sur le chemin du musée, le New York Times publia un article affirmant que la nappe du Smithsonian Museum n’était qu’une copie, reproduite des années après l’événement. Elle s’y rendit tout de même (que reste-t-il à faire à Washington, une fois qu’on a vu le musée de l’air et de l’espace ?).
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Ana Gil et Wolfgang Bauer.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Pierre Chartres et Jim Leaviss.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Laura Frost et Anjulie Rusius.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.