Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Laura Frost.
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Dans son Rapport annuel 2016 intitulé « Making tomorrow a better place », Carillion prétendait avoir « une bonne plate-forme sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour développer notre activité en 2017 ». Moins de dix moins après la publication de ce rapport, le géant du BTP britannique Carillion a été mis en liquidation, sans même passer par la case redressement judiciaire qui lui aurait laissé une chance de poursuivre ses activités. Les actifs de l’entreprise seront réalisés et distribués à ses créanciers. Une fois ces derniers servis, il ne restera plus grand-chose, voire rien du tout. Cette faillite retentissante était-elle prévisible ?
Carillion se définissait comme une société de services de soutien intégrée de premier plan avec un portefeuille bien fourni de contrats de construction et de partenariats public-privé. Lors de la publication de ses résultats préliminaires pour l’exercice 2016, Carillion a fait état d’un taux de conversion en cash de 117 % et d’un ratio dette nette/EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements, un indicateur des flux de trésorerie) de 0,8. Ces ratios auraient pu suggérer un profil de crédit « investment grade », avec une probabilité de défaut relativement faible mais un examen approfondi révèle une toute autre histoire.
- Conversion en cash
Carillion définissait la conversion en cash comme les flux entrants de trésorerie tirés de l’exploitation rapportés au résultat d’exploitation sous-jacent. Le premier tient compte des variations du fonds de roulement, qui sert à financer les opérations quotidiennes. Si les variations nettes du fonds de roulement ne révèlent rien d’inhabituel, la dégradation des comptes clients en cours d’année (variation de 339 millions de GBP) était manifestement financée en grande partie par l’augmentation des comptes fournisseurs (variation de 342 millions de GBP), avec à la clé une forte hausse du besoin en fonds de roulement.
La situation a été aggravée par la mise en place par Carillion d’un mécanisme d’affacturage inversé (une facilité de paiement anticipé à destination des fournisseurs d’une grande entreprise) en 2013, qui lui a permis d’allonger les délais de paiement des fournisseurs à 120 jours (soit près du double). Dans le cadre de ce mécanisme, les banques de Carillion réglaient les fournisseurs puis récupéraient l’argent auprès de Carillion, ce qui en faisait concrètement des créanciers à court terme de l’entreprise.
Si le recours à l’affacturage inversé par les entreprises contractantes n’est pas inhabituel, il améliorait en apparence les flux de trésorerie déclarés sans accroître la dette quand, dans la pratique, il produisait l’effet contraire. Par ailleurs, le taux de conversion en cash déclaré par Carillion était un piètre indicateur du niveau de la trésorerie de l’entreprise. Les flux de trésorerie disponible absolus auraient été un indicateur plus pertinent pour analyser la situation car ils tiennent compte de la trésorerie consacrée aux dépenses d’investissement, au remboursement des intérêts, au paiement des impôts et des cotisations retraite, aux dividendes et aux acquisitions. Cette méthode aurait révélé que Carillion avait consommé de la trésorerie lors de deux des quatre exercices de la période 2013-2016.
Le débat reste ouvert quant au fait de savoir si l’affacturage inversé était un symptôme ou la cause du malaise chez Carillion. Toutefois, comme ce mécanisme serait invalidé si Carillion ou l’un de ses fournisseurs devenait insolvable, il est certainement indissociable de l’effondrement final de l’entreprise. Paradoxalement, les deux seules références à l’affacturage inversé dans le rapport annuel ne mentionnaient que l’impact positif de cette facilité pour les fournisseurs.
- Dette nette
En apparence, le ratio de levier financier net semblait faible dans la rapport 2016, largement inférieur à la limite de 3,5 prévue dans les clauses de sauvegarde introduites par les banques. Une image plus fidèle à la réalité du passif de Carillion aurait néanmoins tenu compte des autres créanciers engendrés par le recours à l’affacturage inversé, ainsi que du déficit du régime de retraites, qui a plus que doublé dans le courant de l’année 2016. Vue sous cet angle, la dégradation du bilan saute davantage aux yeux.
L’onde de choc de la faillite de l’entreprise n’est pas encore passée mais les parties prenantes, dont le gouvernement cherchent à savoir ce qui a mal tourné et comment cette situation aurait pu être évitée. Outre les problèmes de trésorerie et de dette susmentionnés, plusieurs autres facteurs se sont imbriqués pour aboutir à l’effondrement : les lacunes dans la comptabilité des contrats, la faible rentabilité, les confortables versements de dividendes aux actionnaires et les éléments intangibles inscrits au bilan, qui étaient gigantesques par rapport aux capitaux propres, d’où leur vulnérabilité à une dépréciation. La leçon pour les investisseurs est que les chiffres rapportés donnent rarement une vision globale de la situation. Les investisseurs doivent examiner en détail les informations financières pour mieux comprendre la véritable situation économique d’une entreprise.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Nicolo Carpaneda, Graziano Creperio et Carlo Putti..
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Le gouvernement des États-Unis se finance régulièrement grâce à des émissions de dette à court terme, qui reviennent généralement moins cher que la dette à long terme étant donné la pentification naturelle de la courbe des taux américains. Cette réduction de coûts a pour effet d’augmenter le risque de défaut. Le risque de refinancement survient dès lors que de la dette à court terme est utilisée pour financer des dépenses à long terme. C’est ce que craignent les services de gestion de la dette.
Le gouvernement des États-Unis va devoir refinancer 28 % de son endettement total en 2018, soit l’équivalent de plus de 3 000 milliards de dollars en bons du Trésor. De plus, certaines estimations indiquent que le déficit du budget fédéral est en passe de dépasser les 1 000 milliards de dollars en 2019. Les mesures de relance budgétaire du gouvernement Trump devraient être financées par l’émission de dette à court terme, qui devrait contribuer à une forte hausse de l’offre de bons du Trésor.
L’opinion générale table sur un risque de crise du refinancement proche de zéro aux États-Unis, pays qui bénéficie d’un statut spécial puisqu’il possède le marché des emprunts d’État le plus vaste et le plus liquide au monde, et que le dollar est la devise de réserve à l’échelle de la planète.
Mais si le risque d’une crise du refinancement est faible, plusieurs facteurs indiquent que les rendements des bons du Trésor doivent augmenter par rapport à leurs niveaux actuels afin d’être suffisamment attractifs aux yeux des investisseurs. Premièrement, des membres haut-placés du gouvernement chinois auraient apparemment exhorté les autorités à réduire, voire cesser, leurs achats de bons du Trésor américain. Les marchés étant déjà aux prises avec une offre excessive, le retrait de l’un des principaux acquéreurs de ces titres aurait vraisemblablement pour effet de provoquer une hausse brutale des rendements.
Deuxièmement, l’indice Bloomberg Dollar Spot a chuté d’environ 12 % depuis le début de l’année 2017. Si les investisseurs étrangers anticipent une poursuite de la dépréciation du dollar, alors les non-résidents vont envisager de réduire ou cesser d’accumuler des actifs américains et des bons du Trésor à l’avenir. C’est précisément ce que les autorités chinoises sont en train d’analyser, et l’on peut s’attendre à ce que d’autres gouvernements et de grandes institutions (comme des fonds souverains) leurs emboîtent le pas. Si cela se produisait, le dollar serait mis davantage sous pression et les rendements des bons du Trésor, toutes échéances confondues, commenceraient à augmenter.
Enfin, les États-Unis ont réussi à éviter de refinancer leur dette depuis la crise financière en la monétisant. La Fed s’est lancée dans un programme d’assouplissement quantitatif (QE) en achetant de la dette publique sur le marché primaire, permettant ainsi au gouvernement de réduire ses coûts d’emprunt. Mais ce programme a pris fin, et la Fed relève progressivement ses taux afin de ralentir la rapide surchauffe de l’économie.
Si les fondamentaux justifient une hausse des taux, le volume considérable de dette que le Trésor américain va devoir émettre cette année et la suivante (parallèlement au resserrement de la politique monétaire de la Fed) vont constituer un frein technique important aux performances des bons du Trésor en 2018.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Carlo Putti et Craig Moran.
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Selon MSCI, les obligations à haut rendement les moins performantes du marché européen en 2017 présentaient toutes des notations ESG (Environnemental, Social et Gouvernance) défavorables. S’agit-il d’une coïncidence ou ce constat montre-t-il qu’il existe une relation entre de mauvais indicateurs ESG et les performances décevantes des obligations ?
Pour répondre à cette question, nous avons analysé les performances totales sur 2017 de 365 obligations européennes à haut rendement auxquelles MSCI attribuent des notations ESG. Cette analyse montre que les performances n’étaient pas corrélées, avec une corrélation inférieure à 0,1.
Toutefois, malgré la dispersion importante des obligations dans le graphique ci-dessus, on observe clairement que les trois titres les moins performants affichaient tous de mauvais scores ESG. Nous avons poussé l’analyse en peu plus loin en nous intéressant aux 30 titres ayant enregistré les performances totales les plus faibles. Nous avons constaté que leur score ESG moyen pondéré de l’indice n’était que de 2,6 sur une échelle allant de 1 à 10, contre une moyenne pondérée de 4,2 pour l’indice. En revanche, les 30 obligations les plus performantes sur la même période présentaient une moyenne pondérée de 4,2, en ligne avec l’indice. Il semble donc exister une relation entre les titres les moins performants et les mauvais scores ESG, malgré la petite taille de l’échantillon analysé.
Si l’on classe les titres de l’indice selon leur score ESG, les 30 obligations affichant les meilleurs profils ESG ont enregistré une performance totale moyenne pondérée de 6,5 %. A l’inverse, les 30 obligations affichant les moins bons scores ESG ont généré une performance totale de 3,6 %. A titre de comparaison, l’indice a enregistré une progression de 4,9 %. En d’autres termes, le fait d’appliquer un filtre ESG à un portefeuille d’obligations européennes à haut rendement aurait permis à un investisseur de surperformer largement l’indice en 2017.
Le profil de l’indice américain est assez similaire à celui de son homologue européen puisque les titres les moins performants présentaient également un score ESG moyen assez faible.
Ces analyses montrent donc que les scores ESG et les performances totales des obligations à haut rendement ne présentent pas une corrélation prononcée. Ce constat est peut-être dû à la nature de la distribution des performances des titres à haut rendement en 2017. Les performances de la plupart des obligations étaient regroupées dans une fourchette très étroite, dans un environnement marqué par une volatilité relativement faible, avec une queue de distribution épaisse composée de performances très négatives (en d’autres termes, l’asymétrie des performances dans un contexte marqué par des spreads faibles témoigne d’un biais leptokurtique). Ce qui suggère qu’une analyse traditionnelle de la corrélation n’offre peut-être pas d’éclairages significatifs.
On observe toutefois que l’utilisation d’un filtre ESG permet d’éviter les titres les moins performants. L’analyse ESG peut donc aider les investisseurs à s’isoler en partie du risque idiosyncratique présent sur le marché des obligations d’entreprise à haut rendement.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Wolfgang Bauer et Mark Robinson.
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