La semaine dernière, la Banque européenne d’investissement (BEI) a émis la première obligation basée sur le taux monétaire SONIA réformé, marquant ainsi une nouvelle étape dans le processus de réforme de l’indice de référence au Royaume-Uni. D’une durée de 5 ans et d’une valeur de 1 milliard de livres sterling, l’émission était valorisée avec un coupon de 35 points de base au-dessus du taux SONIA au jour le jour. La transaction pourrait très bien servir de référence pour les émissions futures dans le nouveau monde sans LIBOR que la Banque d’Angleterre et d’autres autorités de régulation aspirent à créer d’ici le début de 2022. Elle pourrait également aider les investisseurs à se familiariser avec la nouvelle structure et mécanique des coupons.
Il ne s’agit pas de la première émission obligataire de la BEI basée sur le SONIA. Le premier a eu lieu en 2010, mais la nouvelle n’est pas une simple réplique de la première. La nouvelle obligation est indexée sur le taux de référence SONIA réformé, lequel a été mis en place en avril et englobe un éventail plus large de transactions que le précédent taux. La nouvelle émission a également une formule de capitalisation différente qui, selon nous, pourrait bien devenir la norme : les coupons sont déterminés en capitalisant le taux SONIA quotidiennement, puis en ajoutant la marge de 35 pb. L’émission 2010 capitalisait le taux SONIA avec la marge sur la même base. Un autre aspect intéressant de la nouvelle obligation est le « taux de repli » à utiliser en cas d’indisponibilité du SONIA. Le « taux de repli » est fixé de la manière suivante : le taux de base de la Banque d’Angleterre auquel est ajouté le spread moyen du SONIA par rapport au taux de base au cours des cinq jours précédents pour lesquels SONIA était disponible, à l’exclusion des observations les plus élevée et basse (environ -5 pb depuis avril, comme indiqué ci-dessous). Les progrès réalisés par la Banque et le secteur sur le front de la réforme de l’indice de référence devraient, selon toute vraisemblance, faire en sorte que ce « taux de repli » ne soit jamais utilisé.
Le dernier rapport de stabilité financière de la Banque d’Angleterre a abordé la nécessité d’abandonner le LIBOR afin d’éviter des risques à l’égard de la stabilité financière. Depuis juillet 2017, le stock de contrats basés sur le LIBOR et arrivant à échéance après 2021 (lorsque le LIBOR pourrait ne plus être établi de manière fiable) a en fait augmenté. Par conséquent, une émission obligataire de grande taille indexée sur le SONIA, par un acteur majeur du marché comme la BEI, ne manquera pas d’être bien accueillie par la Banque centrale.
La valeur des emprunts d’État allemands n’a cessé de progresser ces derniers temps. Tout comme la Mannschaft en Coupe du Monde (en tant qu’allemand, je l’espère en tout cas) ! Mais cette récente envolée de obligations allemandes est-elle durable ? Je pense que non.
Commençons par l’hypothèse d’une hausse continue des valorisations. Dans un récent article du blog, j’avais décrit la façon dont les emprunts d’État allemands avaient procuré une couverture efficace contre l’incertitude politique croissante en Italie. Cette couverture résulte de la corrélation négative existant entre les rendements des emprunts d’État italiens d’une part, et leurs équivalents allemands d’autre part. Face à tous les troubles politiques que subissent les pays d’Europe périphérique, l’Allemagne se présente en effet comme un havre de stabilité. Mais qu’en est-il des risques politiques propres à l’Allemagne ? La chancelière fédérale Angela Merkel est au pouvoir depuis près de treize ans, mais son autorité est cependant de plus en plus contestée ces derniers temps. Après la brouille qui a éclaté avec son ministre de l’intérieur à propos de la politique allemande en matière d’accueil des réfugiés, le quatrième gouvernement Merkel (dont la formation lui a pris cinq mois et demi) doit affronter sa plus grande crise. L’hypothèse d’une fin prématurée du mandat de la chancelière apparait tout d’un coup plus crédible.
Mais même si Merkel était renversée (il s’agit là d’une hypothèse forte), les emprunts d’État allemands pourraient dans les faits en profiter. Cela peut sembler contre-intuitif. Généralement, l’incertitude politique concernant un État membre de la zone euro entraîne une forte sous-performance de la dette de ce pays, comme nous l’avons vu dans le cas de l’Italie. Toutefois, on peut se demander si les bunds échappent à cette règle en raison de leur statut de valeurs refuges. De nouvelles tensions en Europe, même celles provenant d’Allemagne, auraient très probablement pour effet de renforcer la valorisation des bunds en raison du réflexe de « fuite vers la qualité » des investisseurs. En outre, dans le cas d’un éclatement de la zone euro, les bunds pourraient être relibellés dans une nouvelle version du mark allemand. Cette devise aurait de très fortes chances de s’apprécier par rapport à la plupart des autres monnaies, ce qui augmenterait encore la performance totale obtenue par les détenteurs de bunds. Par conséquent, plus les risques politiques en Europe s’intensifient, plus la probabilité d’un changement de devise des bunds augmente.
Mais dans quelle mesure les rendements des emprunts d’État allemands pourraient-ils encore baisser par rapport aux niveaux actuels ? Il convient de souligner que les rendements des bunds ont déjà considérablement baissé au cours des derniers mois, en particulier sur la partie courte de la courbe. Le rendement à cinq ans par exemple (-0,3 %) est même plus proche de son plus bas historique atteint début juillet 2016 (-0,6 %) que de son point haut annuel de février (+0,1 %). La partie intermédiaire de la courbe des taux allemands a baissé de près de 45 points de base (pb) depuis février, tandis que les rendements des maturités longues se sont détendus de plus de 30 pb. Il s’agit de mouvements très significatifs du marché de la dette allemande. J’ai d’ailleurs l’impression qu’une bonne dose d’incertitude politique et d’aversion au risque est désormais bien intégrée dans les niveaux de cours actuels.
Bien sûr, si le sentiment d’aversion au risque persiste, les rendements des bunds pourraient en théorie descendre sous les points bas touchés en 2016. Cependant, il est important de garder à l’esprit à quel point la situation était extraordinaire à l’époque. Immédiatement après le référendum sur le Brexit, les doutes sur l’intégrité de la zone euro s’étaient intensifiés. En conséquence, les bunds avaient profité de la « fuite vers la qualité » déjà évoquée et de l’hypothèse d’une redénomination de la dette allemande. En outre, les banques centrales inondaient le marché de liquidités. La Banque Centrale Européenne (BCE) achetait à l’époque 80 milliards d’euros par mois de titres et les bunds figuraient en tête de sa liste d’achats. Enfin, après la dégringolade du prix du pétrole sous les 30 dollars le baril début 2016, l’inflation européenne s’était évaporée. En fait, la grande crainte concernait surtout un risque de déflation, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) ayant reculé de -0,2 % sur un an à fin avril 2016. On était face à un alignement des planètes. A ce moment exceptionnel, les conditions pouvaient difficilement être meilleures pour les bunds.
C’est pourquoi je suis sceptique sur l’idée que les bunds puissent de nouveau atteindre les niveaux de mi-2016. En tout cas pas de sitôt (voire jamais). L’inflation européenne est graduellement remontée pour atteindre 1,9 % sur un an à fin mai (IPCH). Elle est donc désormais conforme à la définition de la stabilité des prix, alors que les mesures de relance monétaire s’atténuent lentement. Les achats d’actifs nets seront réduits au cours du quatrième trimestre avant d’être totalement arrêtés en fin d’année. Les emprunts d’État allemands ont été les principaux bénéficiaires du programme d’achat du secteur public (« PSPP ») de la BCE (le cumul mensuel d’achats nets de dette allemande a atteint plus de 485 milliards d’euros à fin mai, soit près d’un quart de l’ensemble des achats nets réalisés au titre du PSPP). Même si les titres arrivant à échéance seront réinvestis pendant encore un certain temps, le soutien apporté par la BCE à la valorisation des bunds va désormais sensiblement s’atténuer.
Le marché semble toutefois très bien s’accommoder du report annoncé par la BCE de tout relèvement de taux directeurs au moins jusqu’à l’été 2019. Même si cette mesure pourrait encore faire baisser la partie très courte de la courbe, les emprunts d’État allemands arrivant à échéance dans plusieurs années restent selon moi vulnérables. Quand les marchés seront moins dominés par la nervosité, je pense que les rendements des bunds auront à subir un mouvement haussier à moyen terme. Le moment est donc peut-être venu de réaliser quelques profits et de réduire l’exposition aux emprunts d’État allemands.
Les spreads de Bahreïn se sont élargis ces derniers mois, en dépit de la hausse du prix du pétrole. Le marché est focalisé sur les 750 millions de dollars de sukuks de Bahreïn arrivant à échéance le 22 novembre 2018. Dans la mesure où les réserves de change du pays sont estimées à environ 2,1 milliards de dollars, le pays aura besoin de fonds supplémentaires pour les rembourser. Dans sa grande majorité, le marché est d’avis que Bahreïn recevra un soutien financier de l’Arabie Saoudite voisine et possiblement d’autres pays du Golfe qui chercheront ainsi à éviter la contagion économique et financière, ainsi que les pressions sur leurs propres économies et l’ancrage de leurs devises en cas de défaut (et de désancrage). Le fait que Bahreïn soit une économie de taille relativement modeste par rapport à ses voisins est une autre raison pour laquelle les marchés estiment que c’est là un prix relativement faible à payer afin de repousser le problème dans le futur. Toutefois, il reste difficile de savoir avec certitude quel genre de conditions ses voisins exigeraient en échange d’un soutien financier. Imposeraient-ils un tour de vis budgétaire de manière à ce que le niveau d’endettement de Bahreïn puisse commencer à se stabiliser dans quelques années? Mais, si le consensus du marché avait tout faux, que l’aide financière ne se concrétisait pas et que Bahreïn ne pouvait rembourser son sukuk?
Pourquoi les marchés commencent-ils à s’inquiéter d’un défaut de Bahreïn ? La dette du pays a doublé en trois ans seulement pour atteindre plus de 90 % du PIB, la baisse du prix du pétrole ayant eu un impact négatif sur la situation budgétaire des exportateurs de pétrole au Moyen-Orient. Toutefois, contrairement à la plupart de ses voisins, l’ajustement budgétaire requis (à savoir la réduction de certaines dépenses telles que les subventions et les allocations ou l’élargissement ou l’augmentation des taxes non pétrolières, y compris de la TVA) a été très lent.
Compte tenu de l’importance de l’encours de la dette et du déficit budgétaire, il semble que la dynamique de la dette de Bahreïn va continuer de se détériorer, en particulier si les coûts d’emprunt, qui ont été relativement peu élevés jusqu’à présent, suite à la dette émise à des taux d’intérêt plus bas il y a quelques années, continuent d’augmenter. La hausse des taux aux États-Unis continue d’être transmise très rapidement au secteur financier de Bahreïn en raison de l’ancrage de la devise du pays, une situation qui n’aide pas non plus. Même avec un Brent de l’ordre de 75 dollars le baril, les spreads de Bahreïn restent élevés. Ainsi, et pour que les primes de risque diminuent, il faudrait que le prix du pétrole soit à des niveaux bien plus élevés, une déclaration explicite des pays voisins détaillant leur aide financière ou l’annonce d’un important ajustement budgétaire par le gouvernement.
Le fait que l’émission arrivant à échéance en novembre soit un sukuk ajoute à l’incertitude compte tenu du défaut de certains sukuks d’entreprises intervenus au cours des dernières années, lesquels se sont toutefois avérés être relativement modestes et limités à une poignée d’obligations (à l’exception de Dana Gas (700 millions de dollars, Al Mudarabah) et de Golden Belt (650 millions de dollars, Al Ijara)). S’il se produisait, un défaut de Bahreïn serait le premier défaut sur un sukuk souverain ; l’émetteur possède 4 sukuks et 9 obligations conventionnelles pour un montant total de près de 15 milliards de dollars. Les défauts sur des obligations souveraines classiques de la part de grands émetteurs ayant de nombreuses obligations et une large base d’investisseurs peuvent être complexes et leur résolution peut prendre beaucoup de temps. Il a fallu plus d’une décennie pour résoudre le défaut de l’Argentine en 2001 et la bataille juridique qui a suivi avec les « holdouts ». Les obligations du Venezuela et de PDVSA ont été émises en vertu de différentes structures juridiques, sont détenues par un large éventail d’investisseurs et elles nécessiteront probablement de nombreuses années afin d’être restructurées. Soit dit en passant, Bahreïn ne fait pas partie des indices obligataires des marchés émergents de JPM dans la mesure où le pays est classé comme pays à revenu élevé (comme l’Arabie Saoudite, le Qatar et le Koweït). Toutefois, Oman fait partie des indices car il n’est pas considéré comme un pays à revenu élevé.
Les défauts sur des sukuks comportent des niveaux d’incertitude juridique supplémentaires par rapport aux obligations classiques (pour des examens sur les défauts sur les sukuks et les aspects juridiques, se reporter ici et ici). Le contrat de fiducie est normalement régi par le droit anglais, tandis que les contrats de crédit-bail (la partie du sukuk adossée à des actifs) sont régis par le droit national, le droit bahreïni dans le cas de ses propres sukuks. Enfin, le fait que la structure soit conforme ou non à la Charia fait l’objet d’une troisième interprétation. Les agences de notation ne semblent pas explicitement prendre en compte les risques juridiques lors de la notation des transactions. L’une d’entre elles a déclaré que « XXX n’exprime pas d’opinion sur la question de savoir si les documents de transaction requis sont exécutoires en vertu de toute loi applicable. Toutefois, la notation de XXX sur les certificats illustre sa conviction selon laquelle XXX honorera ses obligations. Lorsqu’elle attribue une notation à l’émission de sukuks, XXX n’exprime pas d’opinion sur sa conformité avec les principes de la Charia ».
Un des aspects insolites de la situation est que les spreads des sukuks de Bahreïn sont actuellement beaucoup plus faibles que ceux de ses obligations conventionnelles, alors même que les sukuks sont beaucoup plus complexes d’un point de vue juridique. Cela s’explique en grande partie par le fort soutien local et la vigueur de la demande locale de sukuks par rapport aux obligations classiques au cours des dernières semaines. Certains investisseurs locaux ne peuvent pas non plus vendre un instrument en dessous du pair car cela les obligerait à comptabiliser une perte sur la valeur de marché et pourrait également ne pas être autorisé en vertu de la finance islamique. De nombreux investisseurs internationaux ont également investi dans des sukuks, mais ils ont quant à eux la capacité de procéder à des arbitrages entre les sukuks et les obligations conventionnelles car ils n’ont pas les mêmes aspects de valeur de marché à prendre en considération ou une préférence pour les instruments conformes à la Charia par rapport à ceux non conformes.
Compte tenu des complexités juridiques potentielles en cas de défaut, ainsi que du risque de crédit souverain sous-jacent, les investisseurs ne sont pas suffisamment rémunérés pour les risques sur les sukuks de Bahreïn.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Laura Frost.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.
Je me suis rendu à Tokyo la semaine dernière, afin de rencontrer des économistes, des experts en JGB et des clients. J’ai aussi livré une prestation remarquable au karaoké, déguisé en astronaute.
À l’issue de mon dernier déplacement au Japon, il y a plus d’un an, je m’étais dit qu’il était probable que la Banque du Japon (BoJ) renonce à sa politique de taux zéro, dans la mesure où celle-ci pesait sur les bénéfices des banques et envoyait un signal négatif aux ménages et aux entreprises. À l’époque, nous observions également une hausse de l’inflation sous-jacente et une croissance positive. La position de la BoJ semble avoir changé depuis. La situation économique n’est pas catastrophique mais la croissance et l’inflation ont fléchi, et la popularité en berne de Shinzo Abe laisse entrevoir, d’ici la fin de l’année, l’émergence d’un nouveau leader porteur d’une politique budgétaire moins expansionniste au sein du Parti Libéral Démocrate (PLD). Nous redoutons aussi la hausse de la TVA qui se profile à l’horizon, puisque nous savons par expérience qu’elle stimule la consommation à court terme, pour mieux la contenir ensuite. Il faut néanmoins saluer un certain nombre de bonnes nouvelles : le taux de chômage est encore plus bas qu’aux États-Unis, et le taux de participation des femmes ne cesse d’augmenter. Dans cette vidéo de 4 minutes, tournée au Tachikawa Velodrome (aucune raison valable pour cela, désolé), je vous livre mon analyse depuis le Japon. Vous pourrez également observer a) des graphiques pertinents, et b) des coureurs de keirin.
Quelques chiffres anecdotiques, pour terminer. Saviez-vous que depuis le tsunami de 2011, 43 des 54 centrales nucléaires japonaises n’ont pas été remises en service ? Avant le tremblement de terre, elles fournissaient 30 % des besoins du pays en électricité. Afin de faire des économies d’énergie, le gouvernement a lancé sa campagne annuelle de « Cool Biz ». À compter du 1er juin et durant tout l’été, il est interdit aux employés du gouvernement et aux fonctionnaires de porter une veste ou une cravate sur leur lieu de travail (et les entreprises privées sont fortement incitées à faire de même). Dans les bâtiments publics, il est interdit de mettre la climatisation en marche si la température n’atteint pas les 28 degrés celsius. Aïe… Et dire que de notre côté, nous nous précipitons tous sur la législation en matière de santé et de sécurité dans l’espoir d’être renvoyés chez nous si par malheur une climatisation poussive laisse les températures grimper à 24 degrés…
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Pierre Chartres.
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Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez Carlo Putti.
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Au cours de l’année 2017, les perspectives économiques sont devenues de plus en plus porteuses pour la zone euro. Après des années de politique monétaire ultra-accommodante, une reprise mondiale synchronisée semblait s’amorcer. La zone euro enregistrait des taux de croissance soutenus, suscitant régulièrement des surprises à la hausse, le chômage continuait de baisser, le système bancaire s’était partiellement recapitalisé, et les coûts de financement pour les entreprises et les États demeuraient faibles quels que soient les indicateurs retenus. Même l’inflation montrait des signes de convergence vers ce que la BCE considère comme une stabilité des prix. Dans les coulisses, la BCE devait se sentir de plus en plus convaincue qu’une étape avait été franchie et qu’elle pourrait commencer à normaliser sa politique monétaire d’urgence.
Moins d’un an plus tard, son programme de normalisation est devenu beaucoup plus compliqué. Les chiffres économiques sont moins bien orientés. Et les récents événements en Italie ont permis de rappeler qu’il ne fallait pas sous-estimer les velléités populistes. Même si l’Italie ne va pas abandonner l’euro d’aussitôt, l’absence notable de toute prise en compte du risque de crédit dans la valorisation des actifs italiens il y a juste un an apparait après-coup imprudente. À fin avril 2018, le rendement de l’emprunt d’État italien à 10 ans était inférieur à 2 %, et l’ensemble des échéances de moins de 3 ans « offrait » une rémunération négative Un mois plus tard, les rendements des BTP s’étaient tendus de façon spectaculaire.
La BCE se rassurera en observant la contagion jusque-là limitée aux autres marchés périphériques. Des réformes structurelles, une économie plus solide et de meilleurs mécanismes d’interventions expliquent en grande partie cette faible propagation. Mais revenir à une politique de relance vu le regain de volatilité des marchés et le resserrement des conditions financières en Italie devrait rendre mal à l’aise les partisans de l’assouplissement au sein du Conseil de la BCE.
Jens Weidmann, le président de la Bundesbank allemande, et d’autres « faucons » notables adopteront un point de vue différent. Ils souligneront que le dernier chiffre d’inflation en Allemagne est ressorti à 2,2 % et rappelleront que les marchés du travail commencent à se tendre dans toute la zone euro. Les épargnants sont toujours obligés de prendre des risques considérables (de terme ou de crédit) pour obtenir un rendement réel positif, et des signes avant-coureurs d’excès et de déséquilibres sont en train d’apparaitre. Les clauses de protection faibles ou pratiquement inexistantes sont devenues la norme dans beaucoup d’émissions à haut rendement et d’opérations de prêt à effet de levier. Ces inquiétudes ne sont pas infondées.
Pourtant, malgré ces risques, il serait dangereux de procéder trop tôt à un resserrement monétaire. Arnaud Marés de Citigroup, ancien conseiller spécial de Mario Draghi, fait valoir qu’une banque centrale a besoin d’une baisse des taux directeurs de 300 à 400 points pour être confiante dans sa capacité à relancer convenablement une économie face à un ralentissement. Les chances que la BCE intervienne avec une telle ampleur avant la fin du cycle en cours sont pratiquement nulles. Étant donné le manque de marges budgétaires dont disposent les gouvernements de la zone euro, la BCE se retrouve dans une position peu enviable. Il convient de maintenir une politique monétaire conciliante afin de soutenir la croissance économique en zone euro, et la Banque centrale a intérêt à faire preuve de prudence. En d’autres termes : elle devrait attendre jusqu’à ce que l’inflation soit véritablement installée avant de normaliser sa politique. Et tout resserrement ne pourra se faire que de façon très progressive.
Le mandat de Mario Draghi au poste de président de la BCE expire en novembre 2019. Il aura à cœur que l’on se souvienne du rôle primordial qu’il a joué dans le sauvetage de la zone euro 2012, et de ne surtout pas passer pour le président de la BCE qui aura contribué au fort ralentissement laissé à son prédécesseur. Ce dernier n’aurait alors pratiquement plus aucune munition à sa disposition.
Crises politiques en Italie et en Espagne, intensification des tensions commerciales et, pour faire bonne mesure, vigueur inattendue des chiffres de l’emploi aux États-Unis… c’est peu dire que les marchés ont traversé quelques jours de turbulences. Avec le recul, voici trois leçons que j’ai retirées de la semaine dernière.
(1) Les changements de sentiment des investisseurs peuvent être brutaux
Les risques politiques dans les pays périphériques européens sont réels – c’est là une affirmation qui peut sembler bien banale aujourd’hui, mais n’oublions pas tout l’optimisme qui prévalait encore très récemment. Après le premier tour de l’élection présidentielle française à la fin avril 2017, le niveau du « credit default swap » (CDS) à 5 ans de l’Italie n’avait essentiellement évolué que dans un seul sens (de près de 200 points de base (pb) à environ 100 pb), indiquant ainsi que le marché percevait le risque souverain italien comme s’étant considérablement réduit. Même l’incertitude créée par le résultat des élections générales italiennes au début du mois de mars de cette année n’avait pas changé le sentiment positif du marché. En effet, à la fin avril et au début mai, alors même que les spreads de crédit des obligations d’entreprises s’élargissaient déjà, le CDS à 5 ans de l’Italie a continué de reculer à environ 85 pb.
Ce n’est que lorsqu’une coalition Mouvement 5 étoiles/Ligue a pris forme et que le discours anti-euro a pris de l’ampleur que le sentiment du marché s’est brusquement inversé en passant en mode « aversion au risque » et en portant ainsi le CDS italien à 5 ans à près de 290 pb. Afin de remettre cette situation en perspective, sur la base du niveau du CDS, le marché a attribué en milieu de semaine dernière un risque souverain plus élevé à l’Italie qu’à de nombreux pays émergents tels que la Turquie et le Brésil, ce qui démontre à quel point les fluctuations du marché peuvent être violentes lorsque le sentiment change brusquement.
Pour les investisseurs actifs, ces épisodes de volatilité accrue peuvent présenter des opportunités intéressantes. Le pessimisme de la semaine dernière s’est rapidement propagé des actifs italiens vers d’autres segments du marché sous l’effet de l’aversion généralisée au risque. Les valeurs européennes du secteur financier et à bêta plus élevé, comme la dette hybride des entreprises, en ont fait les frais et ont ainsi offert des points d’entrée attractifs afin de renforcer les expositions.
(2) L’importance de la corrélation des performances
Les deux derniers jours ont été un exemple classique de l’effet de la corrélation des performances. Plus particulièrement, les emprunts d’État italiens (BTP) et les Bunds allemands ont globalement évolué aux antipodes les uns des autres. Lorsque les rendements des BTP italiens se sont envolés la semaine dernière, sous l’effet des craintes de nouvelles élections et d’une nouvelle avancée de la Ligue anti-euro, les Bunds allemands se sont montrés à la hauteur de leur image « d’actifs refuges ». Leurs rendements se sont ainsi effondrés à la faveur du « mouvement de fuite vers la qualité ». Par la suite, lorsque le gouvernement italien s’est finalement formé, le rebond des BTP s’est accompagné d’une hausse des rendements des Bunds.
Pour tout investisseur préoccupé par la volatilité et les pertes d’un portefeuille, cette évolution des corrélations est importante. Les Bunds – au même titre d’ailleurs que d’autres emprunts d’État refuges – peuvent certes paraître inintéressants en termes de rendement, mais ils peuvent toutefois être de précieux stabilisateurs de portefeuille au cours de périodes marquées par de violents mouvements d’aversion au risque.
Dans un contexte où les fondamentaux économiques demeurent (suffisamment) solides et où les taux de défaut des entreprises sont proches de zéro, j’identifie encore des opportunités au sein des actifs risqués tels que les obligations d’entreprises « investment grade ». Toutefois, dans la mesure où le risque politique dans les pays périphériques européens est susceptible de demeurer élevé et compte tenu de la possibilité d’une intensification des tensions commerciales au niveau mondial, il ne me semble pas déraisonnable de conserver une certaine exposition aux Bunds et à d’autres actifs refuges tels que le yen japonais à des fins de diversification.
(3) D’autres sujets sont négligés
Lorsque des sujets spécifiques dominent les conversations et le sentiment du marché, il est très facile de se laisser entraîner par le flux incessant des nouvelles. Chaque petit détail semble soudainement important et est susceptible de faire évoluer les marchés dans une direction comme dans l’autre. Dans un certain sens, la récente focalisation du marché sur la politique italienne m’a rappelé février 2016, lorsque la baisse du prix du pétrole avait été un sujet tout aussi omniprésent et provocateur de fluctuations sur les marchés.
Toutefois, lorsqu’on se préoccupe d’un sujet en particulier, le risque manifeste est de négliger d’autres faits potentiellement importants. Par exemple, la publication du tout dernier chiffre de l’inflation dans la zone euro jeudi dernier a à peine fait la une des journaux en dépit de l’énorme bond enregistré, de 1,2 % à 1,9 % en rythme annuel. Certes, la flambée des prix de l’énergie et d’autres effets passagers en ont été les principales raisons à en juger par l’inflation sous-jacente qui est quant à elle restée modérée à 1,1 % en rythme annuel. Néanmoins, un chiffre d’inflation qui est parfaitement conforme à l’objectif de stabilité des prix de la BCE d’un petit peu moins de 2 % devrait au moins faire se dresser quelques sourcils compte tenu de l’incertitude entourant la trajectoire future de la politique monétaire de la BCE.
Point hebdomadaire sur l’actualité des marchés obligataires. Cette semaine, retrouvez James Tomlins et Mario Eisenegger.
Veuillez noter que cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.