Veuillez noter que le contenu de ce site Internet est exclusivement réservé aux professionnels de l'investissement et qu'il doit être partagé de façon responsable. En dehors de ces professionnels, il convient de ne pas se fonder sur les informations contenues sur ce site.
Logo of Francais
24/04/24

Les marchés ont clôturé l’année 2020 dans un climat d’optimisme. En effet, le dernier trimestre a été le témoin d’une contraction des spreads sur les marchés émergents dans le sillage du regain de confiance favorisé par le résultat de l’élection présidentielle aux États-Unis et les nouvelles positives sur le front des vaccins contre la Covid-19. Si la récession mondiale n’a échappé à personne, l’attention s’est toutefois résolument tournée vers les anticipations d’une reprise économique.

La plupart des gens ont été contents de voir arriver la fin de 2020. Ce fut une année fertile en événements et éprouvante, mais une année qui a également beaucoup donné matière à analyser, à se remémorer et à apprendre. L’année à venir sera probablement moins « sans précédent » – une expression fréquemment utilisée au cours des 12 derniers mois. La nouvelle année semble appelée à pouvoir offrir de bonnes opportunités aux investisseurs. Voici sept thèmes qui, selon nous, vont influer sur les marchés obligataires émergents en 2021.

Thème 1. Virus et vaccins – une reprise économique à plusieurs vitesses

La réponse draconienne, mais nécessaire, de l’ensemble des autorités sur la planète à la pandémie a plongé l’économie mondiale dans une récession en mars et en avril. L’ampleur des taux d’infection à la Covid-19 a considérablement varié d’un pays à l’autre, tout comme les répercussions économiques et les reprises qui s’en sont suivies.

Les économies d’Asie de l’Est, en particulier la Chine, ont mieux résisté en 2020, surtout par rapport à l’Europe et aux États-Unis. Si la production mondiale a chuté au cours de l’année, celle de la Chine a pour sa part enregistré une croissance. Cela a offert un coup de fouet aux économies émergentes qui ont accusé des taux de contraction moins prononcés que les économies développées. Les projections de reprise pour 2021 favorisent également les pays émergents par rapport aux pays développés, comme l’indiquent les récentes prévisions de croissance du FMI (se reporter au graphique ci-dessous).

Les projections pour 2021 présupposent que toute nouvelle vague de la pandémie sera soit évitée soit atténuée par le déploiement des vaccins. Il est clair qu’une certaine incertitude demeure quant à la trajectoire du virus et que de nombreux pays vont devoir faire preuve de prudence lorsqu’ils auront à déterminer l’ampleur des politiques de relance ou de soutien nécessaires pour favoriser la reprise. Leur retrait trop soudain ou un retour trop précipité à la normalisation des politiques pourrait porter un coup fatal à la reprise.

Thème 2. Une relance énergique et des taux d’intérêt au plus bas dans le monde entier

Les politiques monétaires extrêmement accommodantes des grandes économies développées ont permis d’écarter les marchés du bord du précipice en mars 2020. Une fois un certain calme retrouvé, le rebond des marchés a fini par alimenter la demande d’obligations des marchés émergents. À partir de mai 2020, la faiblesse des taux d’intérêt et l’amélioration du sentiment des investisseurs ont conduit à une quête de rendement qui a eu pour effet de ramener les spreads des obligations des marchés émergents vers les niveaux auxquels ils avaient débuté l’année.

Une grande partie de la positivité à l’égard de 2021 est fondée sur l’opinion selon laquelle les taux d’intérêt vont rester plus bas plus longtemps au niveau mondial et, en outre, que les politiques accommodantes des banques centrales vont se poursuivre, parallèlement à de nouvelles mesures de relance budgétaire. Un tel environnement est positif pour les marchés émergents. Mais, la confiance des investisseurs pourrait être mise à l’épreuve en 2021 en cas de signes de diminution de la voilure des vastes mesures de relance.

Thème 3. Les obligations à haut rendement des marchés émergents vont moins sous-performer

Les spreads des obligations « investment grade » » des marchés émergents se sont resserrés après leurs points hauts atteints en mars et en avril 2020, et ont rapidement renoué avec les niveaux qui étaient les leurs avant la pandémie. Si les obligations à haut rendement des marchés émergents ont bénéficié d’un rebond en mai, leurs spreads sont toutefois restés élevés par rapport au début de l’année (se reporter au graphique ci-dessous). Elles ont sous-performé les obligations « investment grade » en raison de l’incertitude quant à l’impact différé que le virus pourrait avoir sur les économies frontières. Il a été difficile d’évaluer avec précision les conséquences sur la viabilité de la dette pendant la majeure partie de l’année.

Ainsi, tout au long de l’année 2020, les spreads des obligations à haut rendement des marchés émergents sont restés élevés. Le résultat de l’élection présidentielle américaine et l’optimisme quant au succès des vaccins ont contribué à réduire l’écart grâce une progression de fin d’année, mais les émetteurs des marchés frontières ont toutefois continué de sous-performer. En 2021, nous pensons que les obligations à haut rendement des marchés émergents sous-performeront moins et seront plus performantes qu’en 2020. Mais, la sélection des pays et des titres de crédit va être cruciale dans la mesure où la plupart des pays sont confrontés à un endettement accru.

Thème 4. De profondes cicatrices de la dette

En 2020, les États du monde entier ont emprunté sans compter et les marchés émergents n’ont pas fait exception, même si la plupart des emprunts ont été effectués au niveau national et en devise locale.

En cela, elle a différé d’une crise typique des marchés émergents dans la mesure où les gouvernements ont été à même de réduire les taux d’intérêt et d’emprunter à moindre coût. De nombreux pays émergents, où les taux sont même proches de zéro dans certains d’entre eux, ont élargi les mandats de leurs banques centrales et se sont engagés dans des politiques de type « assouplissement quantitatif » pour préserver la liquidité de leurs marchés ou pour financer des dépenses liées à la pandémie. Dès lors que des pays frontières étaient confrontés à une accélération de l’inflation ou ne pouvaient pas accéder à tous les financements nécessaires au niveau national, ceux-ci ont toutefois pu bénéficier de prêts d’urgence. En effet, le FMI et d’autres institutions financières internationales ont accordé des prêts en devise forte aux pays qui en faisaient la demande. Cette source de financement est venue sans la liste habituelle des conditions politiques dans la mesure où la priorité était à l’utilisation rapide des fonds.

Vers la fin de l’année, il est devenu possible d’identifier les endroits où les cicatrices de la dette étaient les plus profondes. Six pays ont vu leur note être dégradée en 2020, dont plusieurs qui avaient déjà été confrontés à de graves risques de solvabilité en 2019 (Argentine, Liban et Zambie) et d’autres dont les économies ont été particulièrement touchées par la pandémie (Équateur, Belize et Suriname). La question clé dans l’esprit des investisseurs est de savoir si d’autres pourraient suivre en 2021.

Les risques liés aux niveaux d’endettement ont certes augmenté (se reporter au graphique ci-dessous), mais ils n’indiquent pas selon nous l’imminence d’une crise systémique de la dette dans les pays émergents. Les risques varient considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, le Brésil et le Mexique présentaient tous les deux d’importants déficits budgétaires en 2020, mais les pressions liées à la dette sont très différentes. Le Brésil devrait stabiliser sa dette publique à environ 103 % du PIB, tandis que le Mexique peut le faire à un niveau de 65 %.

Les plus grands pays émergents ont emprunté principalement sur leurs marchés intérieurs, souvent grâce à des flux de capitaux étrangers, ce qui suggère qu’une crise monétaire ou la nécessité de générer une certaine inflation est plus probable qu’un défaut de paiement sur la dette extérieure à la manière de l’Argentine. Mais, pour la plupart des pays frontières qui ont emprunté massivement à l’extérieur, les risques de change demeurent. Pour un portefeuille obligataire, c’est là que le choix du pays est essentiel en ce sens où il existe d’énormes divergences entre les pays. Certains possèdent des risques plus faibles, ont un accès au marché et peuvent rapidement ne pas se préoccuper de problèmes de liquidité lors d’une reprise, tandis que d’autres sont susceptibles de connaître des problèmes de solvabilité.

Thème 5. Un dollar américain en légère baisse

Les obligations des marchés émergents ont pâti d’importantes sorties de capitaux en mars 2020, mais les flux de portefeuille se sont redressés et ont clôturé l’année en territoire positif. Toutefois, le rythme des flux de capitaux à destination des obligations en devise locale s’est initialement avéré lent et n’a commencé à fortement s’accélérer que lorsque les prévisions relatives au résultat de l’élection présidentielle aux États-Unis se sont précisées. Cette tendance a été renforcée par les nouvelles positives sur le front des vaccins. L’amélioration des statistiques économiques au troisième trimestre et du positionnement des investisseurs a aidé même certaines des devises émergentes les plus durement touchées à rebondir au quatrième trimestre. Les devises émergentes ont été les principales victimes de l’ajustement nécessaire au début de la crise, mais ont eu tendance à se redresser au cours de l’année (se reporter au graphique ci-dessous).

Malgré la pandémie, l’année 2020 a été témoin de flux de capitaux étrangers record à destination des obligations chinoises en devise locale à la suite de l’entrée du pays dans des indices obligataires internationaux. Nous pensons que cette tendance est appelée à se poursuivre et qu’elle est susceptible de créer une nouvelle demande des investisseurs qui sera détournée des marchés développés et non d’autres marchés émergents.

Nous entrevoyons une poursuite de la dépréciation du dollar américain en 2021. Nous pensons que cela offrirait un coup de pouce aux devises émergentes et aux performances de la dette émergente en devise locale. Toutefois, tout fléchissement inattendu de l’économie mondiale entraînerait une modération de l’intérêt des investisseurs.

Thème 6. Le pétrole et les accords de l’OPEP

La Russie, les États du Golfe et d’autres pays exportateurs de pétrole émergents ont vu leurs économies être en proie à beaucoup d’incertitude et de volatilité suite à la lourde chute du prix du pétrole d’un pic de près de 69 dollars le baril au début de l’année à un point bas d’environ 20 dollars le baril. La reprise de l’activité économique, ainsi qu’une unité suffisante entre les membres de l’OPEP et de l’OPEP+ pour honorer les réductions de production prévues, ont permis au pétrole de se stabiliser à près de 50 dollars le baril. Les plans budgétaires pour 2020 ont dû être oubliés et remaniés dans la mesure où les besoins de dépenses liés à la pandémie ont augmenté alors même que les recettes tirées de l’or noir ont quant à elles chuté.

Les perspectives pour 2021 du prix du pétrole demeurent incertaines. Selon nous, elles seront fonction de la rapidité de la reprise mondiale, des tensions entre l’Occident et l’Iran et du succès du maintien de l’harmonie entre les membres de l’OPEP+.

Pour les pays exportateurs de pétrole qui ne disposent pas d’importantes réserves financières, les réformes à court terme seront essentielles afin de rétablir la viabilité des finances publiques. Beaucoup ne se sont jamais totalement adaptés à un prix du pétrole inférieur à 100 dollars le baril ou n’ont jamais progressé dans leurs plans de diversification de leur économie. C’est notamment le cas du sultanat d’Oman, du royaume de Bahreïn, du Nigeria, du Gabon et de l’Angola.

Pour les pays du Golfe qui disposent d’importants actifs financiers, le choix a été d’emprunter plutôt que de voir les actifs décroître trop rapidement. Ici, la réforme et la diversification sont tout aussi importantes, mais pas selon un calendrier aussi pressant. Depuis leur intégration, les États du Golfe ont connu une croissance rapide parmi les émetteurs en termes de taille et représentent désormais une part importante et grandissante des indices obligataires des marchés émergents. A en juger par les plans d’émission actuels, cette tendance devrait se poursuivre en 2021.

Thème 7. Les points chauds géopolitiques ont peu de chances de se refroidir

Si la politique étrangère américaine de l’ère Trump devrait être abandonnée, le paysage politique mondial a toutefois changé et il est peu probable que nous revenions à la politique à laquelle nous étions habitués sous la présidence Obama. Pour autant, un cadre politique plus éclairé par des experts est davantage prévisible que des réactions impulsives et des messages Twitter publiés tard dans la nuit. Des pays comme l’Arabie Saoudite, la Turquie et la Russie pourraient trouver la situation plus difficile, tandis que le Mexique et le multilatéralisme pourraient se voir offrir un nouvel élan. Si des changements de politique étrangère sont probables en 2021, nous pensons que certains prendront du temps à prendre forme et se concrétiseront plus tard durant le mandat de Joe Biden.

La géopolitique devrait jouer un rôle important sur les marchés émergents : certains vents contraires pourraient peser sur la classe d’actifs, tandis que certains vents de travers pourraient nécessiter une approche régionale ou nationale spécifique. Les relations sino-américaines devraient rester un thème central et il est peu probable que les tensions s’apaisent à mesure que la Chine gagne en importance et menace l’hégémonie mondiale des États-Unis. Dans le même temps, il conviendra de suivre la politique au Moyen-Orient, tout comme certaines élections, notamment au Pérou, au Chili et en Équateur.

Perspectives

Après une année 2020 difficile et imprévisible, nous attendons avec curiosité ce que 2021 nous réserve. Les rendements réels négatifs offerts par les trois quarts des obligations des marchés développés ne font que plaider encore un peu plus en faveur d’un investissement sur les marchés obligataires émergents.

Le segment des obligations « investment grade » des marchés émergents commence certes à apparaître moins intéressant du point de vue des valorisations, mais nous pensons que les spreads au sein du segment des obligations à haut rendement demeurent attractifs et les devises émergentes sous-évaluées.

Je vous propose aujourd’hui de faire un point sur mon indicateur à long terme favori des valorisations des marchés obligataires.  Je mets à jour ce graphique sur le blog depuis des années. Si vous avez effectué des transactions sur les bons du Trésor américain lorsqu’ils s’écartaient fortement de la fourchette implicite induite par les anticipations à long terme de la Fed en matière de taux, vous avez probablement enregistré des performances convenables.

Quel est donc le principal intérêt de mon graphique favori ?  Il illustre le rendement des bons du Trésor à 10 ans dans 10 ans.  Calculé à partir de la courbe des taux, il correspond au rendement implicite à 10 ans d’ici 10 ans, à savoir 2030.  L’intérêt d’un taux à terme, c’est qu’il « évacue » le bruit à court terme des marchés. Sur la période 2030-2040, fort heureusement, inutile de tenir compte de la dynamique, quelle qu’elle soit, de la reprise post-Covid ou du risque politique lié à la transition Trump-Biden.  Il s’agit d’un indicateur reposant sur les anticipations de taux à long terme qui, elles-mêmes, dépendent des tendances d’inflation, de la croissance potentielle, des mandats des banques centrales, de la mondialisation, des emprunts publics et de la démographie.  Actuellement, le taux à terme à 10 ans dans 10 ans aux États-Unis est de 2,09 %, alors que le rendement actuel des obligations à 10 ans est de 0,92 %.  N’oublions pas qu’il s’agit d’un taux nominal et que les objectifs d’inflation dans la plupart des pays développés sont proches de 2 %.  Autrement dit, cela signifie que le marché obligataire anticipe des rendements réels (ajustés de l’inflation) proches de zéro en 2030. 

Le graphique illustre également le niveau moyen des « dots » de la Réserve fédérale américaine, ainsi que les anticipations les plus hautes et les plus basses de ses membres.  Chaque trimestre, le Comité de politique monétaire (FOMC) publie son « Dot Plot », qu’il désigne officiellement comme le graphique illustrant la trajectoire probable de sa politique.  Chacun des 16 membres du FOMC essaie de prévoir le niveau des taux courts à la fin d’une période de 3 ans et à plus long terme.  C’est précisément ce taux à long terme qui m’intéresse, puisqu’il ne tient pas compte du bruit et des incertitudes économiques à court terme.  Hier, à la suite de la réunion du FOMC, la Fed a décidé de laisser son « dot plot » (ses prévisions) inchangé.  En 2021, le taux directeur devrait donc continuer à évoluer entre 0 % et 0,25 %, malgré un consensus qui anticipe un PIB américain en 2021 supérieur à sa tendance (à 3,8 %) et des anticipations d’inflation plus élevées. Gardons néanmoins à l’esprit que la Fed a adopté une cible d’inflation moyenne en 2020, qui permettra au taux d’inflation de dépasser le seuil des 2 % auquel il a longtemps été inférieur.  Le niveau moyen des « dots » est aussi resté inchangé à 2,5 %, ce qui correspond à un rendement réel proche de +0,5%.  Le taux d’intérêt réel à long terme est aussi connu sous le nom « R-star » (R*).  La Fed de New York a l’habitude de publier une estimation du R* en s’appuyant sur le modèle Laubach-Williams.  Ce dernier repose sur les données relatives aux PIB, aux taux d’inflation et aux taux des fonds fédéraux.  En début d’année, le R* était estimé à un peu plus de 1 % sur la base de ce modèle. Aujourd’hui, il est inférieur à 0,5% en raison de l’impact de la Covid, ce qui correspond à une moyenne à long terme des « dots » de 2,5 %.  Les résultats du modèle sont consultables ici : https://www.newyorkfed.org/research/policy/rstar

L’écart entre la croissance tendancielle et le niveau du R* est très élevé.  Auparavant, les gérants obligataires vieillissant, comme moi, appliquaient des modèles qui affirmaient, en s’appuyant sur l’hypothèse des marchés efficients, que les rendements nominaux des obligations devaient correspondre peu ou prou à la croissance nominale du PIB.  A posteriori, il ne devrait pas exister de différence entre la performance attendue de 100 dollars investis dans un bon du Trésor et celle issue d’un investissement de 100 dollars dans l’économie américaine (sauf en cas de volatilité).  Si vous aviez suivi cette approche pour acheter et vendre des obligations, vous auriez manqué 20 ans de rallye du marché obligataire.

Quoi qu’il en soit, voici le graphique.

Depuis le mois de mars dernier, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans d’ici 10 ans est même inférieur à l’anticipation à long terme la plus pessimiste des membres du FOMC.  Peut-on vraiment se dire que la Covid pèsera à ce point sur les taux entre 2030 et 2040 ?  C’est possible, mais improbable.  Il semblait intéressant de vendre des obligations à partir de mars 2020 mais, depuis, les rendements à 10 ans ont presque doublé, passant de 0,5 % à 0,92 %.  Toutefois, aujourd’hui, ils évoluent dans la fourchette ciblée par la Fed.  Ils restent dans le bas de cette fourchette et les obligations demeurent onéreuses.  Le marché anticipe un rendement obligataire à 10 ans de 1,3 % fin 2021 et de 1,5 % en 2022, avec une translation à la hausse sur les échéances longues.  Gardez à l’esprit que les marchés obligataires anticipent une hausse des rendements chaque année depuis des décennies et qu’ils se sont trompés presque à chaque fois.  J’admets que les rendements des bons du Trésor américain pourraient légèrement augmenter, mais leur niveau potentiellement le plus élevé pourrait être bien inférieur à ce qu’anticipent les intervenants baissiers.  Il faut avoir des arguments très solides pour expliquer pourquoi le marché haussier des bons du Trésor, qui a débuté il y a 40 ans, pourrait s’inverser brutalement.

Joyeux Noël et bonne année.

L’année 2020 s’est accompagnée du ralentissement économique le plus important et le plus brutal que l’économie mondiale moderne ait jamais connu. Toutefois, et comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises cette année, cette récession est plutôt étrange : cette fois, c’est vraiment différent (se reporter au graphique ci-dessous).

Cette récession n’a été provoquée par aucun des facteurs habituels, à savoir des conditions financières restrictives, l’éclatement d’une bulle réelle ou de marché, une forte augmentation des prix des matières premières ou une combinaison d’entre eux. Nous n’avons pas observé les répercussions de cette récession dans nombre des domaines qui sont habituellement touchés par un tel ralentissement de l’activité : en cela, je pense à tout, depuis le marché immobilier résidentiel et les revenus disponibles, jusqu’à la phénoménale appréciation des prix des actifs financiers intervenue cette année. Enfin, cette année a poussé les investisseurs à accepter plus que jamais l’étrange situation de payer pour le privilège de prêter leur argent – mettant ainsi à l’épreuve le seuil zéro » des taux d’intérêt et entraînant assurément des conséquences très étranges.

Selon moi, ce seuil de zéro s’accompagne de conséquences importantes pour les investisseurs, depuis la raison d’être d’un investissement jusqu’à l’indépendance des banques centrales.

La théorie de l’investissement

La pierre angulaire de l’épargne est la sécurité et la performance. Dans le cadre des Perspectives suivantes, nous allons nous concentrer sur les performances des obligations sans risque, et en particulier sur les conséquences étranges que nous observons lorsque cette classe d’actifs génère une performance négative.

Lorsque vous achetez une obligation, vous recevez une série de flux financiers en échange de votre investissement. Ceci est illustré de manière simple ci-dessous.

Comme le montre le graphique, vous percevez des revenus et le remboursement à l’échéance finale. Dans l’exemple théorique, cette série de revenus génère un rendement positif – la somme des flux financiers perçus est positive. C’est la base fondamentale de l’investissement obligataire. Toutefois, cette dynamique des flux de financiers a récemment été bouleversée. L’exemple réel montre les flux financiers que vous recevez à la suite de votre investissement dans une obligation à rendement négatif, comme c’est le cas par exemple des bunds allemands. Les flux financiers perçus sont négatifs et l’investisseur se retrouve avec moins d’argent qu’il n’en a investi à l’origine.

Les obligations à rendement positif offrent une performance totale positive si elles sont conservées jusqu’à l’échéance. Les obligations à rendement négatif offrent une performance totale négative si elles sont conservées jusqu’à l’échéance. Les manuels d’économie expliquent que les épargnants reçoivent des revenus et constituent ainsi leur patrimoine. Dans le même temps, les emprunteurs paient un revenu en contrepartie du privilège d’emprunter. Toutefois, dans un monde à rendement négatif, l’épargnant perçoit le flux financier négatif de l’emprunteur et l’emprunteur reçoit un revenu en échange de son emprunt. C’est là un monde très étrange en effet ! Dans le passé, cela aurait été un exercice très théorique, mais c’est aujourd’hui un phénomène réel que les investisseurs acceptent (se reporter au montant de la dette à rendement négatif illustré ci-dessous). [1]

Comment en sommes-nous arrivés là ? Le marché haussier du dernier cycle a fait tomber les rendements obligataires à de nouveaux niveaux historiquement bas, tandis que de nombreuses banques centrales ont abaissé leurs taux afin de tenter de stimuler l’inflation. La question est désormais de savoir si cette tendance baissière peut se poursuivre indéfiniment. Je ne pense pas : à un moment ou à un autre, les conséquences d’avoir des taux négatifs deviennent trop importantes pour que les investisseurs les acceptent. Actuellement, nous atteignons le seuil de zéro – proche de zéro, mais pas nécessairement exactement à zéro. Le graphique des rendements à 10 ans ci-dessous illustre la tendance des 30 dernières années : des rendements orientés à la baisse et s’arrêtant à « zéro « . Mais, pourquoi les taux s’arrêtent-ils à  » zéro  » ?

Pourquoi il existe un seuil zéro 

Les rendements obligataires ont du mal à baisser bien en dessous de zéro. En effet, si les investisseurs se trouvent face à une dette offrant un rendement négatif en yen japonais, par exemple, ils ont alors une alternative. Ils peuvent simplement détenir des liquidités en yen japonais à la place. Plutôt que d’échanger 100 yens et de recevoir moins de yens à l’échéance s’il achète une obligation, un investisseur pourrait simplement détenir 100 yens en espèces et ne pas accuser de perte. La détention d’argent liquide comporte des risques et des coûts potentiels en termes de sécurité et de stockage. Ces coûts déterminent effectivement où se situe la « limite zéro » et pourquoi elle n’est pas exactement à zéro : elle serait à zéro si la détention de liquidités au lieu d’obligations n’entraînait aucun coût. La présence de cet investissement alternatif sans risque explique pourquoi les banques centrales du monde entier n’ont pas adopté une politique de taux fortement négatifs : l’existence des liquidités est le principal obstacle aux taux négatifs.

Le rapport risque/rendement de la « limite zéro » – Il n’y a pas de rendement (« There Is No Yield », TINY)

Une fois que nous reconnaissons qu’il existe une « limite zéro » quelque part, qu’est-ce que cela signifie réellement pour les investisseurs obligataires ?

En ce qui concerne le rapport risque/rendement de la « limite zéro », le premier problème auquel nous sommes confrontés est qu’il n’y a pas de rendement (TINY). Compte tenu de rendements à des niveaux historiquement bas, les investisseurs ne sont quasiment pas rémunérés, voire doivent payer dans certains cas en échange du privilège de prêter. Deuxièmement, il est clair que les rendements ne peuvent pas baisser indéfiniment : le potentiel haussier lié à la détention de duration est limité par l’existence de la « limite zéro ». Une façon d’étudier ceci est d’utiliser les obligations à coupon zéro afin d’illustrer le profil de risque/rendement auquel sont exposés les investisseurs lorsqu’ils achètent des obligations dans le monde TINY.

Actuellement, si vous acceptez d’acheter un bund allemand à 10 ans avec un rendement négatif, vous acceptez pour l’essentiel d’accuser une perte s’il est conservé jusqu’à l’échéance. Cela diffère bien sûr d’un environnement de taux d’intérêt positifs dans lequel, si vous conservez l’obligation jusqu’à l’échéance, vous bénéficierez alors d’une performance positive. Le graphique ci-dessous illustre le gain ou la perte ainsi généré(e) : si vous achetez une obligation avec un rendement de -2,3 %, vous scellez la perte de la moitié de votre argent.

Le potentiel haussier lié à la détention de titres obligataires à faible rendement ou à rendement négatif est donc très limité et explique le pourquoi de la duration courte de mes fonds. Lorsque vous atteignez la limite négative, ou que vous vous en approchez, il devient difficile d’investir ; le potentiel de hausse est limité et les pertes peuvent rapidement s’accumuler (encore plus si vous détenez une dette à long terme jusqu’à son échéance).

Ainsi, s’il est possible d’avoir des taux d’intérêt négatifs en principe, c’est plus rare dans la pratique et il existe une limite : le potentiel haussier pour les investisseurs est limité, mais le risque baissier peut être assez important, raison pour laquelle, à un certain moment, les investisseurs ne seront plus prêts à l’accepter. Cela signifie qu’il est difficile selon moi de justifier d’être long en duration. En tant qu’instrument doté d’un rapport risque/rendement, détenir de la duration devient peu intéressant lorsque vous vous approchez de la « limite zéro ». Il existe également d’autres conséquences plus larges que le rapport risque/rendement de la détention d’obligations lorsque les rendements atteignent la « limite zéro ».

Les conséquences de l’atteinte du seuil zéro

L’une des conséquences les plus évidentes de l’atteinte du seuil zéro » est que les banques centrales ne peuvent plus stimuler l’économie en cas de détérioration de la croissance et de la demande. Dans la mesure où les taux ne peuvent pas être très négatifs, l’outil monétaire est de fait retiré de leur panoplie. Les initiatives des banques centrales dans les régions où les taux étaient déjà négatifs ou proches de zéro, comme l’Europe et le Japon, en sont d’ailleurs l’illustration : l’option de politique monétaire a disparu. Nous avons vu l’impact sur les détenteurs de duration au cours de l’année écoulée : dans les pays où les taux pouvaient encore être réduits (États-Unis et Royaume-Uni), la baisse des taux d’intérêt a offert un certain potentiel haussier aux investisseurs obligataires ; dans les pays où les taux étaient nuls ou proches de zéro (Allemagne et Japon), ils n’ont offert aucun potentiel haussier (se reporter aux graphiques ci-dessous).

Un autre effet des taux d’intérêt nuls ou négatifs à court terme est la mesure dans laquelle cela nuit au rôle traditionnel du système bancaire qui consiste à jeter un pont entre l’épargnant et le prêteur. Comme l’a suggéré l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, à l’occasion d’une récente interview télévisée : « [Des taux négatifs] ne peuvent pas aller de pair avec un secteur bancaire efficace, à moins que les banques ne puissent répercuter les taux négatifs sur leurs clients particuliers. Une fois fait, je pense que l’on devrait alors s’attendre à voir une longue file de clients cherchant à retirer leur argent des banques et à le conserver sous le matelas, ou tout au moins dans un nouveau coffre-fort chez eux. Je ne pense pas du tout que ce soit une perspective politiquement attractive ». [2]

Il est clair que l’existence de taux nuls ou négatifs constitue une menace pour la capacité des banques centrales à utiliser la politique monétaire et pour le fonctionnement efficace du système bancaire.

Incapables de réduire les taux, les banques centrales ont alors recours à d’autres options, ce qui a pour effet principal de faire baisser les taux tout le long de la courbe des taux via des mesures telles que le pilotage des anticipations (à savoir l’engagement à maintenir les taux directeurs au sein d’une fourchette basse) et l’assouplissement quantitatif. Ces mesures abaissent les taux sur l’ensemble de la courbe des taux et, ce faisant, l’aplatisse en poussant également les taux à long terme vers le seuil zéro. C’est d’ailleurs ce que montre le graphique ci-dessous du taux prêteur au jour le jour en livre sterling à 50 ans : il a lui aussi atteint la « limite zéro ».

De même, la mentalité des investisseurs qui ne souhaitent pas s’engager dans une perte garantie les conduits à prolonger l’échéance de leur investissement, contribuant là aussi à pousser l’ensemble de la courbe vers la « limite zéro ». Les achats par les investisseurs d’obligations à plus longue échéance conduisent à des courbes des taux extrêmement plates, comme on peut le voir ci-dessous. Cet effet est si puissant qu’au final des courbes obligataires entières peuvent présenter des rendements négatifs (se reporter au graphique ci-dessous).

La politique monétaire ayant atteint ses limites, la politique budgétaire doit dès lors jouer un plus grand rôle dans la relance de l’économie. C’est d’ailleurs ce que suggèrent les récents commentaires du président de la Réserve fédérale Jérôme Powell et de la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde. Les deux ont lancé un appel en faveur d’un soutien budgétaire plus prononcé afin de stimuler les économies touchées par la crise de la Covid-19 à l’aube d’un hiver s’annonçant difficile. Jerome Powell a déclaré que « un soutien insuffisant conduirait à une reprise anémique et, ce faisant, créerait des difficultés inutiles pour les ménages et les entreprises », tout en précisant que même si les mesures de relance étaient plus importantes que ce qui était nécessaire, « elles ne seraient pas pour autant gaspillées ». Dans le même temps, Christine Lagarde a souligné qu’il était « plus important que jamais que la politique monétaire et la politique budgétaire continuent de travailler main dans la main ». [3]

Les taux d’intérêt sont un mécanisme de prix qui fixe un niveau auquel les épargnants et les emprunteurs peuvent interagir et qui permet un recyclage efficace de l’épargne. Entre ces deux agents économiques, il y a un système bancaire qui recycle ces capitaux. Ces banques gagnent de l’argent grâce à l’écart entre les taux d’emprunt et de prêt, mais sont également très dépendantes de l’aide de la banque centrale. Lorsque la banque centrale fixe un taux élevé, elle garantit aux épargnants et aux banques un rendement élevé pour ne prendre aucun risque – en fait, elle offre une subvention et un transfert de richesse de l’État à l’épargnant. Dans un contexte de taux négatifs, la banque centrale taxe au contraire le système financier et les épargnants seront réticents à prêter. Dans ce cas, le recyclage des capitaux s’arrête.

Comment supprimer la « limite zéro »

Le moyen le plus simple de supprimer la « limite zéro » et de rétablir la capacité des banques centrales à abaisser leurs taux serait de supprimer la possibilité de détenir des liquidités. La monnaie électronique est une solution dans la mesure où, s’il n’y avait pas d’espèces, votre dépôt d’argent électronique pourrait se désagréger avec le temps, produisant ainsi des taux négatifs sans aucune autre alternative en termes de liquidités. Toutefois, ce serait politiquement très impopulaire pour diverses raisons évidentes – et les particuliers pourraient y voir un impôt sur le capital. D’autres alternatives à l’argent pourraient également être recherchées, ce qui compromettrait cette approche : l’or, une devise étrangère ou une autre version de cryptomonnaies telles que le Bitcoin en sont des exemples.

La deuxième solution serait de laisser la banque centrale prêter de l’argent en dessous de zéro afin de subventionner les banques. C’est l’approche de la BCE avec son programme TLTRO (opérations ciblées de refinancement à long terme) qui est destiné à stimuler le crédit et à jouer le rôle de simple subvention de la banque centrale aux banques du secteur privé. Toutefois, il s’agit d’une transaction intrinsèquement déficitaire pour les banques centrales et qui, in fine, a un pouvoir limité dans la mesure où elle crée une possibilité d’arbitrage entre les taux négatifs et les espèces sonnantes et trébuchantes.

La troisième option est d’imprimer de la monnaie. C’est peut-être le moyen le plus simple d’échapper à la « limite zéro », mais il soulève malheureusement la question difficile suivante : à qui donne-t-on l’argent imprimé ? Les banques centrales ont pour mission de prêter de l’argent, pas d’en offrir. Comme l’a dit le président de la Réserve fédérale Jerome Powell dans son discours en mai, « la Fed a des pouvoirs en matière de prêts, pas de dépenses ». [4]

L’impression de monnaie est une décision du gouvernement

Echapper au seuil de zéro requiert certain nombre d’éléments clés. Cela nécessiterait le soutien des gouvernements via des dépenses budgétaires, l’impression de monnaie par la banque centrale et, avec un peu de chance, une accélération de l’inflation. Mais pour cela, il faut que les banques centrales et les gouvernements travaillent ensemble. Les dépenses budgétaires relèvent de la compétence du gouvernement et, si la banque centrale imprime de la monnaie, la décision sur la manière dont cet argent est distribué est politique. Les banques centrales et les gouvernements se doivent de travailler ensemble.

Pas de banques centrales indépendantes

Le moyen ultime de parvenir à aligner la politique budgétaire et monétaire serait de supprimer l’indépendance de la banque centrale. On peut soutenir que nous avons commencé à en voir des signes au cours de l’année dernière au regard des achats importants de dette publique réalisés par plusieurs banques centrales. Les banques centrales indépendantes ont été créées en premier lieu pour aider à contrôler l’inflation et je dirais qu’en politisant les banques centrales, nous permettrions au génie de l’inflation de sortir de la bouteille. Pour échapper à la « limite zéro », nous avons besoin de l’inflation et, en politisant les banques centrales, l’inflation et les anticipations inflationnistes augmenteraient.

Bien sûr, il serait plus facile de supprimer l’indépendance de certaines banques centrales que d’autres. La simple distinction en la matière est celle des banques centrales fédérales par rapport aux banques centrales étatiques. Il serait relativement aisé de reprendre le contrôle total de la Banque d’Angleterre, par exemple – en fait, c’est déjà prévu par la législation existante : selon la loi Bank of England Act 1998, « le Trésor est doté de pouvoirs de réserve pour donner des ordres à la Banque dans le domaine de la politique monétaire, mais la loi stipule que cela n’est possible que si le Trésor est convaincu qu’ils sont nécessaires dans l’intérêt public et en raison de “circonstances économiques extrêmes” ». [5]

Dans le cas des banques centrales fédérales, c’est plus compliqué. Avec les banques centrales fédérales, il est généralement plus difficile de mener de concert la politique monétaire et la politique budgétaire, comme le montrent les défis auxquels est confrontée la Banque centrale européenne.

L’avenir des banques centrales

Les banques centrales sont une espèce en constante évolution. Leur besoin d’indépendance est né durant les conditions très inflationnistes des années 70. Ce régime a exceptionnellement bien fonctionné en abaissant l’inflation aux objectifs ayant été fixés. Si nous sommes désormais dans une situation dans laquelle l’inflation est ancrée en permanence autour d’un objectif de 2 %, alors, par définition, les banques centrales vont très probablement être confrontées à la question du seuil zéro. La diminution progressive de l’influence politique sur la politique monétaire a également contribué à réduire l’inflation, tout comme la mondialisation et les progrès de la productivité technologique.

Si les banques centrales sont attachées à leur indépendance, elles ont récemment fait entendre leur voix de façon exceptionnelle en invoquant que des mesures budgétaires (par nature du ressort des politiques) étaient nécessaires. Le fossé entre les politiques et les banques centrales s’est encore creusé dans la mesure où ces dernières émettent désormais des opinions et se polarisent sur ce qui était auparavant des thématiques politiques. Par exemple, elles se concentrent désormais davantage sur les inégalités de revenus et sur le réchauffement climatique, deux sujets politiques historiquement brûlants et qui ne relèvent pas de la compétence de banquiers centraux non élus. Ce faisant, il pourrait être pratique pour les banques centrales de devenir moins indépendantes et le biais politique pour générer l’inflation pourrait être un changement approprié de direction économique.

Les implications pour les investisseurs

Dans la mesure où les autorités vont faire ce qu’elles peuvent pour sortir de la « limite zéro », quelles sont les implications pour les investisseurs ? Il serait logique de présupposer que pour échapper à la « limite zéro », il conviendrait de mener une politique monétaire et budgétaire énergique. Cela signifierait que les taux courts seraient maintenus au plus bas pendant plusieurs années, tandis que l’inflation se doit d’être rétablie comme une caractéristique permanente. Cela laisse potentiellement entrevoir une courbe des taux extrêmement pentue, avec des taux courts ancrés, d’importantes émissions d’emprunts d’État et une inflation rendant peu intéressants les rendements obligataires réels. Il est probable que de telles mesures de relance monétaire et budgétaire offriront un puissant coup de fouet à l’économie mondiale. Quel type d’impulsion offriront-elles en 2021 et au-delà ?

Perspectives et conclusions

Le monde traverse une récession en forme de t : une chute brutale de l’activité avant un retour aux niveaux précédents. La question est de savoir à quelle hauteur se trouve la barre transversale du « t ». Étant donné que le secteur des services a été la principale victime de la récession liée aux mesures de confinement et des initiatives gouvernementales, la capacité de réouverture rapide pourrait signifier à l’extrême que nous nous approchons même d’une récession en forme de T. Plus le rebond est faible, mieux c’est pour le risque de taux d’intérêt et moins ça l’est pour le risque de crédit, et vice versa. C’est pourquoi les perspectives économiques sont si importantes en matière de gestion obligataire. Toutefois, le profil de risque/rendement lié à la prise de risque de taux d’intérêt est actuellement faussé : il existe un potentiel haussier limité grâce à de nouvelles baisses des taux d’intérêt si le seuil de zéro persiste. Cela a été démontré dans le monde réel de la gestion obligataire cette année.

Il est nécessaire d’échapper à ce seuil pour des raisons de politiques micro et macroéconomiques. Pour ce faire, les banques centrales vont devoir être moins indépendantes car elles travaillent en étroite collaboration avec les gouvernements. Dans un tel scénario, la politique budgétaire et monétaire devra rester accommodante pendant un certain temps, potentiellement avec l’aide des banques centrales grâce à l’impression de monnaie afin de fournir le carburant nécessaire pour échapper à la « limite zéro ». Ce type de politique conduit généralement à une accélération de la croissance et de l’inflation. Cela est de bon augure pour l’économie et pour le risque de crédit, mais laisse entrevoir une augmentation des rendements obligataires à long terme.


[1] Lorsque l’on examine des taux négatifs totaux, il convient de garder à l’esprit que les taux sont définis comme le taux d’une devise donnée. Si nous couvrions la dette mondiale en une devise de référence, l’euro par exemple, l’encours  de la dette à taux négatif serait accru ; si elle l’était en dollar américain, l’encours serait substantiellement réduit.

[2] Mervyn King, Bloomberg TV, 16/11/20.

[3] https://www.marketwatch.com/story/powell-says-u-s-economy-needs-more-fiscal-support-11601995205, https://uk.finance.yahoo.com/news/lagarde-pledges-forceful-ecb-stimulus-082057866.html

[4] Current Economic Issues: Remarks par Jerome H. Powell, président du Conseil des gouverneurs du Système de la Réserve fédérale au Peterson Institute for International Economics, Washington, D.C., 13 mai 2020 https://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/powell20200513a.htm

[5] https://www.bankofengland.co.uk/-/media/boe/files/quarterly-bulletin/1998/the-boe-act.pdf

Mois : janvier 2021

Soyez informés des dernières actualités du blog Bond Vigilantes

S'inscrire